mercredi 6 avril 2016

Turquie : Non à la guerre, à la terreur et à l'exploitation

Pour l'unité des travailleurs turcs et kurdes !


Les deux attaques terroristes à Ankara qui se sont suivies en moins d'un mois ont non seulement emporté de nombreuses vies innocentes, mais ont également été extrêmement utiles au régime du président Erdoğan. Elles ont en effet totalement discrédité la lutte du peuple kurde pour sa liberté aux yeux d'une grande partie de la population turque. 

En termes de méthodes employées et de leur résultat, ce genre d'attentats terroristes ne diffère en rien des attaques perpétrées contre les Kurdes, les travailleurs et les socialistes par les bandits djihadistes à la solde d'EI. Le terrorisme n'est pas la solution pour aller vers un monde libéré de la violence et de l'oppression. 

Quelle qu'en soit la justification, le CIO ne pourra jamais cautionner des méthodes de lutte qui servent en réalité les intérêts de la classe dirigeante, puisqu'elles servent à discréditer la lutte légitime du peuple kurde aux yeux de la population. Le terrorisme individuel est la pire méthode qui se puisse employer.

– Sosyalist Alternatif (section du CIO en Turquie)


Ces deux attaques terroristes se sont produites au cœur des deux plus grandes villes de Turquie. 42 personnes sont décédées suite à ces attentats. L'un, à Ankara, a été revendiqué par les TAK, les Faucons de la liberté du Kurdistan (Teyrêbazên Azadiya Kurdistan) ; l'autre, à Istanbul, est l'œuvre de l'État islamique.

Comme ces attaques visent directement des civils et causent des craintes et de l'inquiétude, ceux qui défendent le régime tentent de nous faire croire que tout cela fait partie du « destin ». Ainsi, M. Abdulkadir Aksu, un célèbre journaliste pro-AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi, Parti de la justice et du développement, le parti au pouvoir), a déclaré que nous devons « nous habituer » à vivre avec le terrorisme.

Le président Erdoğan et son Premier ministre Davutoğlu ont tenté d'accuser les Kurdes et le PYD (Parti de l'union démocratique – Partiya Yekîtiya Demokrat – le parti des Kurdes de Syrie) pour l'attentat de janvier, en guise de prétexte pour une intervention militaire en Syrie et en particulier au Rojava (la zone contrôlée par les Kurdes, au nord de la Syrie et à la frontière turque). Le régime cherche à utiliser ces derniers attentats pour accuser de terrorisme toute personne qui lui résiste, ce qui lui donnerait le droit de réprimer. Selon la logique du régime, le terme de « terrorisme » devrait finir par s'appliquer à l'ensemble des opposants à Erdoğan ! Il a même déjà concocté le concept du « terroriste désarmé », qu'il a d'ailleurs déjà commencé à utiliser.

Erdoğan, qui adore s'opposer aux États occidentaux dans ses discours, ne fait en réalité que les imiter. Erdoğan et le gouvernement AKP utilisent les mêmes méthodes que les gouvernements impérialistes des États-Unis, de France et autres, en saisissant la moindre occasion qui s'offre à eux pour restreindre les droits démocratiques et renforcer les pouvoirs de la police. Ils comptent passer des lois allant dans ce sens, forts du sentiment de crainte que la dernière attaque a forcément suscité parmi de larges couches de la population.

Toutes les lois et régulations prévues par Erdoğan et par son gouvernement sont destinées à réprimer l'ensemble des revendications et droits des travailleurs turcs et kurdes. Tout cela sert une fin politique, qui est d'empêcher le moindre mouvement de se développer contre la corruption, le chômage, la cherté de la vie et la destruction de l'environnement (comme à Artvin où la population s'est organisée contre des activités minières afin de protéger le cadre naturel), en plus de contrer les revendications des Kurdes pour plus de droits nationaux. Ces lois seront utilisées contre les métallurgistes qui se battent pour de meilleurs salaires, et contre tout autre mouvement ouvrier qui surviendra dans la période à venir.


Erdoğan et son régime ne voient pas d'un bon œil le fait que le nord de la Syrie
ait été libéré par les milices de citoyens kurdes. Ils cherchent à les faire
passer pour des groupes terroristes afin de justifier un nouveau massacre.

Erdoğan et l'AKP sont responsables

Erdoğan et ses partisans du gouvernement AKP sont les premiers responsables de cette situation. Ils ont transformé la question kurde en une véritable guerre civile et ont soutenu des groupes djihadistes, poussés par leurs ambitions impérialistes « néo-ottomanes » vis-à-vis de la Syrie.

Aucun attentat terroriste ne pourra jamais empêcher un État de perpétrer des massacres. La population kurde connait une véritable tragédie depuis juillet 2015. Suite aux élections de juin qui ont vu une importante percée du HDP, Parti démocratique du peuple (Halkların Demokratik Partisi, de gauche majoritairement kurde, mais pas seulement), Erdoğan a mis un terme brutal aux négociations avec les Kurdes pour se lancer dans une grande guerre au nom de la lutte « antiterroriste » en utilisant l'ensemble des sections des forces armées. 

La situation à Cizre [pron. « Djizré »] après un couvre-feu de trois mois est semblable à celle que l'on connait à Alep ou à Kobanê, détruites par le siège des troupes de EI. Le mois passé, 200 civils, dont de nombreux blessés, ont été enfermés dans le sous-sol d'un bâtiment et tués devant les yeux de toute la Turquie. Rester insensible face à un tel massacre contre les Kurdes revient à garder le silence sur les attaques terroristes qui se produisent à Ankara et à İstanbul.

L'AKP n'a jamais hésité à soutenir des organisations djihadistes ultraviolentes, poussé par ses ambitions « néo-ottomanes » et par la peur de voir son « cauchemar » se réaliser : voir les Kurdes du nord de la Syrie prendre leur indépendance. C'est pour ça que l'État turc s'est tourné vers les djihadistes. Ces djihadistes ont commis des attaques contre les Kurdes, contre des syndicalistes, contre des socialistes et contre des touristes non musulmans. Ces bouchers ont tué 33 jeunes socialistes à Suruç, 102 manifestants demandant « La paix, la démocratie et du travail » à Ankara et 16 touristes à İstanbul. 

Apparemment, EI n'a pas visé les forces étatiques. Lorsqu'il commencera à s'en prendre à l'État, ce sera le début de la « pakistanisation » de la Turquie. Les partisans de EI en Turquie et les militants qui combattent dans leurs rangs en Syrie apprécieraient certainement de faire de la Turquie un nouvel Afghanistan ou un nouveau Pakistan, où toute l'infrastructure sociale est détruite et où des gens perdent la vie chaque jour ; bien que la société turque soit bien plus développée que dans ces pays et que la classe ouvrière y soit beaucoup plus forte.

Pendant ce temps, Erdoğan et son gouvernement continuent à accuser chaque voix critique et chaque opposant au régime d'être des agents étrangers ou de soutenir le terrorisme. Les journalistes Can Dündar et Erdem Gül ont ainsi été accusés et condamnés pour espionnage après avoir révélé des documents d'État sur la politique de soutien à des forces djihadistes. Se taire face à cette situation revient à accepter la « pakistanisation » de notre pays.


Le centre d'Ankara après l'attentat d'octobre 2015 qui visait une manifestation
pour la paix et contre la dictature d'Erdoğan. Même si le régime s'est empressé
de pointer du doigt les Kurdes, le fait que la police ait empêché les ambulances
d'accéder au lieu parait suspect aux yeux de beaucoup de gens.

Nos méthodes sont les grèves, les marches et les occupations

Il est vraiment ironique de constater que les deux attaques perpétrées par les TAK qui prétendent lutter ainsi pour les droits du peuple kurde sont perçues aux yeux de la population comme identiques à celles perpétrées par EI qui décapite des gens ou les brule vivants sans distinction.

Dans son interview à la BBC, M. Serhat Varto, porteparole du KCK, Groupe des communautés du Kurdistan (Koma Civakên Kurdistan, lié au PKK), disait : « Nous ne luttons pas uniquement pour le peuple kurde. Nous luttons pour que l'ensemble des peuples de Turquie puissent vivre dans l'égalité, dans la liberté et dans la fraternité … De tels actes nuisent à nos objectifs. Nous appelons tout le monde à tout faire pour éviter cela. Tout en accomplissant des actions orientées contre les forces étatiques, nous devons nous distancer des attitudes qui pourraient nuire au désir et à la volonté de coexistence des différents peuples ». Il a nié tout lien avec les attaques. Cependant, on peut encore douter du fait que les attaques perpétrées par les TAK le soient sans que le PKK (Parti des travailleurs kurdes, ex-stalinien et anciennement partisan de la lutte armée) ne soit consulté.

Si cette situation continue, il sera de plus en plus difficile de construire une unité entre la lutte légitime du peuple kurde et la lutte de la classe prolétaire au sens large. Le HDP a condamné les attentats terroristes. Cette prise de position correcte a déçu Erdoğan et les nationalistes. Sosyalist Alternatif (militants du CIO en Turquie) applaudit cette déclaration du HDP. La population qui vit dans l'ouest de la Turquie n'est pas responsable des massacres accomplis par l'État contre les Kurdes de Turquie ou de Syrie ; les citoyens Kurdes qui réclament des droits démocratiques ne sont pas eux non plus responsables des attaques terroristes.

Il faut une lutte contre Erdoğan et l'AKP. Un régime qui détruit jusqu'aux derniers vestiges de la légalité, qui arrête des professeurs d'université pour le simple fait d'avoir signé une déclaration en faveur de la paix, qui enferme des journalistes qui n'ont rien fait d'autre que leur travail, qui répond à la moindre petite manifestation par des canons à eau, – un tel régime ne peut survivre que par la division systématique de la population. 

Nous devons rejeter toute tentative de la part de la classe dirigeante de maintenir son règne en nous divisant. Si nous regardons la réalité de la lutte de classes, nous remarquons que nous sommes une immense majorité, et qu'ils ne sont qu'une poignée de gens. Nous sommes plus forts, à condition que nous soyons organisés consciemment pour cette lutte. La classe ouvrière détient un grand pouvoir au sein du processus de production et de l'économie dans son ensemble. Rien ne pourra jamais changer tant que nous ne déclenchons pas ce pouvoir par des grèves, des marches et des occupations de masse.

Non à la guerre, aux massacres et à l'exploitation, que ce soit à Ankara ou à Cizre !

Le grand mouvement de 2013 a ébranlé le régime et a préparé le terrain
pour la percée du parti de gauche HDP. C'est dans cette voie qu'il faut continuer,
vers l'unité et non la violence gratuite.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire