mardi 26 avril 2016

CI : Grève sur le campus

La lutte légitime des étudiants requiert d'autres méthodes pour aboutir


L'université de Cocody et plusieurs établissements ont été touchés par un mouvement de grève dans la semaine du 11 au 15 avril, dirigé par la FESCI. Si les revendications portées par ce syndicat sont légitimes et portent sur de vrais problèmes (manque d'infrastructures sur le campus, problèmes au niveau des inscriptions, projet de déguerpissement des étudiants des résidences pour faire place aux athlètes des Jeux de la Francophonie), force est de constater les limites de la lutte et l'existence de sérieuses lacunes tant au niveau de l'organisation du mouvement que des mots d'ordre donnés, mais aussi et avant tout, au niveau de la conception même de ce que devrait être le syndicalisme et la grève.

CIO-CI


Il est clair que les étudiants ne peuvent accepter le projet de déguerpissement des résidences au profit des Jeux de la Francophonie. Ces jeux, organisés dans l'unique but de rehausser le prestige du gouvernement Ouattara et de lancer une nouvelle opération de communication afin de vendre la « destination Côte d'Ivoire » pour les investisseurs étrangers, sont financés à coups de milliards par les institutions qui régissent la Francophonie, des investissements qui devraient permettre la construction et la réhabilitation de nouveaux stades et centres sportifs dans tout le pays. Mais au lieu de ça, le gouvernement semble vouloir organiser des jeux avec le moins de dépenses possibles, au détriment des populations : le prestige avant tout !

Quand bien même le gouvernement parle de « solutions » alternatives pour reloger les étudiants sur d'autres cités, cela pose toute une série de questions : si les autres résidences universitaires sont en état d'accueillir les étudiants, pourquoi n'ont-elles pas été ouvertes depuis ? pourquoi ne pas loger là-bas les athlètes ? Comment assurer le transport entre les résidences et le campus pour les étudiants relogés ? Sans compter aussi que ces nouvelles cités ne seraient pas à même d'accueillir l'ensemble des étudiants logés en ce moment sur le campus. Forcément, les étudiants qui se plaignent sont taxés d'« ingrats » et d'« égoïstes » par le gouvernement, eux qui seraient des privilégiés logés aux frais de l'État, refuseraient de faire passer l'intérêt de la « nation » (traduisez : du régime) avant leur intérêt propre.

Parallèlement à cela, on déplore toujours le non équipement des salles de labo des facultés de médecine et de pharmacie, qui a déjà entrainé plusieurs années blanches dans ces facultés. Même si on dit qu'un budget aurait enfin été alloué pour pallier à ce manque, on ne comprend toujours pas pourquoi il aura fallu tant de temps. Le régime ayant déjà fait plusieurs annonces qui ne se sont jamais concrétisées, rien ne garantit que les salles seront bel et bien équipées cette année.

Sans parler de l'absence du Wifi sur le campus, du manque de places et de la vétusté du matériel dans les amphis, des nombreux retards dans les cours et la tenue des examens, du scandale de détournement de l'argent des inscriptions (même si les fautifs auraient été épinglés, on demande toujours aux étudiants de repayer les frais d'inscription une deuxième fois plutôt que de demander aux coupables de rembourser), du manque de bus entrainant de nombreux accidents mortels sur les quais de chargement, etc., etc.

Il est donc tout à fait légitime de se révolter face à cette situation, et c'est la FESCI qui a pris l'initiative de lancer un mouvement de lutte à grande échelle sur le campus, soutenu par de nombreuses personnes. Saluons au passage le dévouement et le sens du sacrifice des militants de la FESCI, qui ont déjà montré à plusieurs reprises qu'ils sont prêts à en découdre pour l'amélioration du sort des étudiants, quelles qu'en soient les conséquences.


Les limites objectives du mouvement

Cependant, il ne suffit pas, pour nous marxistes, d'applaudir le moindre mouvement de lutte sans chercher à comprendre la manière dont la lutte a été organisée, quels objectifs ont été atteints, et sans chercher à pointer du doigt les erreurs qui auraient été commises, dans le but de chercher à y trouver une solution pour une prochaine fois. Il nous est par conséquent difficile d'applaudir corps et âme ce qui s'est produit au cours de la semaine du 11 avril.

En effet, le mouvement a été porté par la seule FESCI qui, comme à son habitude, a décidé de faire cavalier seul et de lancer un mouvement sans consulter qui que ce soit parmi les autres mouvements présents sur le campus. Selon la FESCI, les autres mouvements auraient abandonné la lutte en acceptant d'entrer dans la plateforme dénommée « Association des étudiants de l'université Félix Houphouët-Boigny » (AE-UFHB), créée à l'initiative de la présidence de l'université. En entrant dans l'AE, ces mouvements auraient perdu toute autonomie et tout pouvoir de mobilisation, ils se seraient mis dans une posture d'acceptation du statu quo à l'université.

Il faut cependant rappeler qu'une des raisons pour lesquelles la FESCI, tout comme sa rivale l'AGEECI, n'est pas entrée dans l'AE est que l'accès lui y a été refusé vu la responsabilité que ce syndicat porte concernant la mort du camarade Konin Wilfried en novembre 2015. Depuis lors, la FESCI a été fortement isolée et attaquée : la décision de lancer un mouvement de blocage du campus décrété de manière unilatérale n'avait-il pas pour objectif de simplement prouver que la FESCI existe encore et qu'il faudra malgré tout compter avec elle ?

Au-delà de la concertation avec les autres structures syndicales, il y a la manière dont le mot d'ordre a été lancé : la grève a été décrétée par la direction, coïncidant, comme par hasard, le 11 avril, avec le 5e anniversaire de l'arrestation de Laurent Gbagbo, sans que la moindre AG n'ait été convoquée. De même, après que le secrétaire général AFA ait été arrêté, le mot d'ordre de grève a été levé par une annonce à la télévision d'État, à nouveau sans la moindre consultation avec la base. Alors qu'il était annoncé une pause de « 72 heures » pour « se donner du temps avant de remobiliser plus largement », force est de constater que rien, depuis plus d'une semaine, les cours ont repris comme si de rien n'était. Tout porte donc à croire que la levée de la grève a été le résultat d'un accord conclu par-dessus la tête des étudiants, entre la direction de la FESCI et le régime, sans que de véritables acquis n'aient été obtenus en-dehors de nouvelles vagues promesses de la part du gouvernement.

Et les professeurs ? Tout le monde sait que le personnel enseignant de l'université connait à peu près les mêmes problèmes que les étudiants sur le campus, et a lui aussi ses propres revendications. Il est bien connu que la CNEC, le principal syndicat des professeurs, entame un nouveau mouvement de grève de son côté. Ne serait-ce pas là une belle occasion pour mener une grève conjointe, autour d'un carnet de revendications commun ? Mais là aussi, l'avis des dirigeants de la FESCI est que « Comment les étudiants peuvent-ils faire grève, si les amphis sont déjà vides ? »

Le problème se pose donc sur la manière dont nous concevons l'idée même de grève, au niveau du concept. Une grève est un mouvement de blocage devant permettre à la masse des étudiants et des acteurs de l'enseignement de s'exprimer et de s'organiser pour exercer une pression sur le gouvernement, dans le but d'obtenir satisfaction aux revendications. Mais trop souvent en Côte d'Ivoire, on estime qu'il doit s'agir d'un mouvement suscité par une minorité agissant au nom des étudiants, sans les concerter. Dès lors, la pression exercée sur le gouvernement ne dépend pas du nombre d'étudiants touchés, de leur détermination et de leur niveau d'organisation, mais uniquement du pouvoir de nuisance de la part de ces petits groupes vidant les amphis contre l'avis de la majorité, afin de « faire monter les enchères ». Ce n'est pas du syndicalisme, mais du mercenariat. À ce jeu, les étudiants n'ont rien à gagner, et surtout pas les simples militants de la FESCI qui sont en première ligne du combat mais ne bénéficient d'aucune faveur de qui que ce soit.


Comment la grève doit-elle être organisée selon nous ?

Tout d'abord il faut que les différents syndicats aient l'humilité de s'asseoir ensemble pour envisager l'organisation d'une action. Ne serait-ce que pour se donner plus de légitimité. Ensuite, il faut que la masse des étudiants soit non seulement informée du projet, mais donne son aval. Il est vrai que dans le contexte de répression que nous connaissons, il est difficile d'organiser une AG en plein air devant aboutir à un vote. Mais pourquoi ne pas organiser le vote dans les amphis, pendant les cours, suite à une descente conjointe de plusieurs représentants de différents syndicats ? Cela permettra au moins de jauger l'adhésion effective des étudiants vis-à-vis des actions proposées.

Mais il importe aussi de réfléchir aux objectifs et à la stratégie à adopter pour atteindre ces objectifs. Veut-on simplement « faire du bruit » pour démontrer sa capacité de mobilisation aux yeux des uns et des autres ? Ou bien s'agit-il d'une grève politique destinée à influer sur la politique du gouvernement en matière d'enseignement ?

Dans ce dernier cas, nous pensons qu'aucune lutte véritable ne pourra aboutir tant que le mouvement consistera à vider les amphis et à se battre avec la police sur le campus. Une véritable pression ne pourra jamais être exercée sur le gouvernement tant que la masse de la population et en particulier la classe ouvrière, les travailleurs, ne sera pas intégrée à cette lutte dans le cadre d'une plateforme commune pour un enseignement gratuit et de qualité en Côte d'Ivoire.

Pour cela, il importe de gagner les professeurs à la lutte, mais aussi, dans un premier temps, d'autres catégories de travailleurs du service public. Les problèmes du système d'enseignement ivoirien sont nombreux et touchent tous les niveaux, de la maternelle au supérieur, dans le public comme dans le privé. Il n'y a pas un habitant de Côte d'Ivoire qui ne soit conscient de ce problème. Ce qui manque, est une plateforme capable d'unir ce mécontentement et d'en faire un mouvement de lutte d'ensemble. Plutôt que de mener nos petites grèves chacun de notre côté, enseignants du primaire, du secondaire, élèves, étudiants… unissons-nous !

Pour susciter l'adhésion de la population, il faut pouvoir trouver les bons arguments. Faisons en sorte que notre lutte concerne tout le monde ! L'objectif doit clairement être un enseignement gratuit, accompagné d'une prise en charge des élèves et étudiants par l'État. Les ressources existent amplement dans notre pays pour financer une telle politique. Si c'était possible du temps d'Houphouët, pourquoi cela ne serait-il pas possible aujourd'hui encore ?

Mais le problème est avant tout politique, voire idéologique. Cela fait des années que nos dirigeants – y compris les dirigeants de la majorité des syndicats et les dirigeants des partis dits de « gauche » – ont été acquis au discours néolibéral selon lequel seul le privé peut fonctionner, les universités doivent être gérés comme des entreprises, être autofinancées, etc. Or, cela ne peut qu'aboutir à un système d'enseignement à deux vitesses qui, curieusement, profite à nos mêmes dirigeants qui investissent tous à foison dans l'enseignement privé, un excellent business soutenu de plus par l'État (par les subsides, les orientations, « l'école obligatoire », etc.). Dans ce cadre, on comprend que mener de petites actions ponctuelles dans le seul but de protester contre tel ou tel problème est bien dérisoire par rapport aux véritables enjeux !

Les étudiants doivent utiliser leur potentiel de mobilisation pour aller dans les quartiers et dans les zones industrielles, y entrer en discussion avec les travailleurs et les convaincre de la nécessité de soutenir et de rejoindre la lutte des étudiants. Ce n'est pas au Plateau qu'il faut marcher, mais à Yopougon, à Koumassi, à Port-Bouët, à Adjamé et à Abobo.

C'est donc ici le lieu d'appeler les étudiants et notamment les membres des différents syndicats à interpeller leurs dirigeants pour l'organisation de cette plateforme de lutte commune que nous appelons de tous nos vœux. Des assemblées doivent être organisées avec l'ensemble des militants, suivies de campagne de mobilisation sur le campus et de rencontres avec les professeurs. Un premier objectif vers la mobilisation du soutien populaire pourrait être l'organisation d'une marche pacifique de la communauté universitaire, professeurs en toge à la tête, hors du campus et à travers les rues de Cocody, en tant que préalable vers de nouvelles actions de plus en plus larges, ayant pour but la rénovation totale de l'enseignement, la gratuité et la prise en charge des élèves et étudiants à tous les niveaux.













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