mercredi 16 mars 2016

Royaume-Uni : les socialistes et le référendum sur l'Union européenne

Quelle doit être la position des socialistes dans le débat sur la sortie ou non de l'Union européenne ?


Le référendum du 23 juin n'est pas un simple référendum sur l'adhésion à l'Union européenne : c'est aussi une chance pour nous de donner notre verdict par rapport à David Cameron et à son régime corrompu. En votant pour la sortie de l'Union européenne, nous signerions l'arrêt de mort de ce gouvernement. Nous obtiendrions ainsi l'organisation d'élections anticipées, ce qui nous permettrait de nous débarrasser des conservateurs au pouvoir. Il est donc très important pour nous de voter pour la sortie.

Dans cette bataille entre les forces pro- et anti-Union européenne, c'est sa tête que Cameron met en jeu, ainsi que celles de plusieurs autres ministres du camp « pro-UE », comme le ministre des Finances George Osborne et la ministre de l'Intérieur Theresa May. Même s'ils parviennent à une victoire, leur autorité pourrait être gravement endommagée, en fonction de la marge de victoire obtenue. Quel que soit le résultat du référendum, le débat a déjà provoqué une intense crise interne au sein de leur parti, qui risque bien de le déchirer.

Jeremy Corbyn et son parti, le Parti travailliste, appellent à rester dans l'UE : c'est une grave erreur, alors que ce vote pourrait conduire à la chute du gouvernement conservateur, déjà dans les cordes. Le Parti travailliste doit changer de cap afin de faire tomber Cameron et ses amis et provoquer la tenue de nouvelles élections nationales. Jusqu'à présent, les débats au sein du mouvement ouvrier n'ont pas assez porté sur le contexte économique et politique du référendum sur l'UE. Il nous faut donc nous pencher plus en détail sur le camp que doivent adopter les syndicalistes, les militants anti-austérité, les jeunes et les socialistes : pour ou contre l'Union européenne ?

– Article inspiré d'un dossier par Clive Heemskerk, Parti socialiste d'Angleterre et du pays de Galles (section du CIO) et membre de la Coalition syndicaliste et socialiste (TUSC)


En ce moment, les sondages d'opinion montrent qu'une majorité de la population est pour rester dans l'Union européenne. C'est particulièrement le cas pour les jeunes qui, tout comme la plupart des travailleurs, sont dégoutés par le nationalisme réactionnaire de ceux qui sont présentés par les médias comme étant le camp anti-UE : les conservateurs de droite et le Parti de l'indépendance (UKIP, droite populiste). Mais en cet « âge d'austérité », six mois sont une longue période. 

Poussés par la crise financière et la récession, les évènements se déroulent à un rythme renversant, provoquant de brusques revirements dans la conscience des masses. Une nouvelle plongée dans la récession, qui mettrait un terme à la soi-disant « reprise » des quelques dernières années, aurait pour effet d'intensifier les tensions au sein de l'UE.

Le dénouement de la crise grecque a aussi eu un impact. La capitulation humiliante de Syriza face à l'austérité brutale imposée par l'UE a peu fait pour renforcer l'image de cette institution.

Selon ses calculs, le Premier ministre Cameron espère pouvoir obtenir la confirmation de l'adhésion à l'Union européenne, tout en mettant un terme à la crise au sein de son parti. Mais ces espoirs pourraient être rapidement anéantis. Margaret Thatcher, une fervente partisane du capitalisme, disait en 1975 que les référendums sont « l'arme des dictateurs et des démagogues », ajoutant qu'un gouvernement ne devrait organiser un référendum que s'il connaissait la réponse à l'avance. Mais une défaite confirmerait la perte du statut de grande puissance du Royaume-Uni, tout en déchirant le Parti conservateur.

L'UE n'est qu'un club de patrons néolibéral

Pour définir notre position dans ce débat, le point de départ ne doit pas être la soi-disant « défense des intérêts britanniques » ni l'idée illusion d'un « renfort de l'union » des États bourgeois d'Europe. Il nous faut partir du point de vue de la classe prolétaire, contre la classe capitaliste, en prenant en compte le fait que les intérêts de ces deux classes sont irrémédiablement opposés, sur le plan national comme international.

L'Union européenne n'a, dès son origine, jamais été rien de plus qu'un accord entre les différentes bourgeoisies nationales d'Europe, dont le but était de créer un champ d'action aussi large que possible pour les multinationales européennes, et donc de sécuriser ainsi leurs profits en écartant toute une série d'obstacles. Depuis le traité de Rome de 1957 (fondation de la CEE), chaque traité n'a fait que développer et renforcer le marché commun européen, grâce à des règlementations et des normes commerciales paneuropéennes.

Le dernier traité a été celui de Lisbonne, en 2007, qu'on nous a présenté comme une « constitution européenne ». Ce traité a été signé entre autres par le Premier ministre britannique Gordon Brown (Parti travailliste), sans que ne soit tenu le référendum qui avait pourtant été promis lors des élections de 2005. Ce traité a gravé dans la loi européenne la politique néolibérale qui a dominé le capitalisme mondial tout au long des trente dernières années : la privatisation, la dérégulation, les attaques sur les droits des travailleurs, des coupes dans les systèmes de pensions, d'enseignement et des soins de santé. L'UE est donc à présent fermement établie en tant qu'agent d'austérité permanente paneuropéenne.
Tout cela ne veut cependant pas dire que le capitalisme a été capable de créer (ou sera capable de créer) une sorte d'« États-Unis d'Europe », comme certaines personnes se l'imaginent.

Les gigantesques pressions provenant de l'économie mondiale sont en train de pousser les différentes classes capitalistes nationales d'Europe à se liguer sur les plans politique et économique, dans le but de créer un bloc assez grand pour pouvoir rivaliser avec les concurrents de ces États, notamment les États-Unis, la Chine et le Japon. Mais, le système capitaliste, qui repose sur la propriété privée des moyens de production, est également fermement ancré sur l'État-nation. Ces États-nations ne sont pas de simples entités économiques, mais des formations sociales et politiques persistantes, issues de l'histoire. 

Ces États demeurent un obstacle qui se dresse face à toutes les tentatives d'une unification totale de l'Europe. L'Union européenne n'a jamais été qu'une alliance conclue entre les différentes classes bourgeoises de 28 États-nations, qui n'a jamais eu le moindre caractère permanent. Même si cette alliance est fortement inclusive et a permis d'aller assez loin en terme d'intégration, son caractère fondamental n'a jamais changé : elle reste une simple alliance et rien de plus.

Il est également vrai que les négociations entre pays européens visaient à une « égalité dans la concurrence » grâce à la mise en place d'un marché commun et de certaines règlementations environnementales, la liberté de mouvement, une certaine politique sociale commune, etc. Il s'agit d'autant de tentatives de résoudre les contradictions entre les différentes classes capitalistes des différents États-nations. Notre classe capitaliste britannique repose surtout sur les services financiers dérégulés et sur la fameuse « flexibilité » du marché de l'emploi dans notre pays, étant à la traine derrière les capitalistes français et allemands en termes des investissements, de la productivité et de la recherche. Ce qui fait que les objectifs et les aspirations des capitalistes britanniques sont assez différents de ceux de leurs « partenaires européens ». Mais ce n'est pas une raison pour laquelle le mouvement ouvrier du Royaume-Uni devrait soutenir l'adhésion à l'UE.

Ce genre de questions n'est pas nouvelle pour nous autres marxistes. Lors du congrès des conseils ouvriers d'octobre 1917 (au cours duquel a été votée la prise du pouvoir par les conseils ouvriers appelés « soviets » en russe), Lénine était pour l'annulation de tous les traités signés par le gouvernement du tsar (l'empereur de Russie), tout en faisant cette concession : « Tous ces gouvernements prédateurs ont conclu des accords entre eux non seulement pour piller le reste du monde, mais y ont également inclus des clauses concernant les bonnes relations entre leurs différentes nations … nous ne pouvons rejeter ces dernières ». Mais, afin de défendre les intérêts de la classe prolétaire, les conseils ouvriers ne pouvaient « être liés par les traités du tsar. Nous ne pouvons nous permettre d'être bloqués par des traités ». 

Aujourd'hui, la nature néolibérale de l'UE et de ses directives procapitalistes, antisociales, qui forcent la privatisation des services publics, interdisent les nationalisations, permettent de contester des conventions collectives conclues avec les syndicats, etc. a de réelles conséquences pour les travailleurs du Royaume-Uni et d'Europe en général. La classe prolétaire doit avoir sa propre position indépendante : Non à l'Europe des patrons ! Mais oui à une Europe socialiste.

Pour la population européenne, l'UE représente aujourd'hui un carcan
qui l'empêche de lutter pour une politique sociale

L'Union européenne ne peut-elle être réformée ?

Certains militants et syndicalistes de gauche pensent que l'on peut faire pression sur les chefs de l'Union européenne pour obtenir une révision de sa ligne politique, notamment par les élections au parlement européen. Cependant, aucune véritable stratégie n'a jamais été avancée pour ce faire, et on comprend facilement pourquoi.

L'autorité suprême qui dirige l'Union européenne est le Conseil européen, composé des chefs de gouvernement des 28 États-nations bourgeois membres de l'UE. L'ensemble des fonctions exécutives appartiennent à la Commission européenne, dont aucun membre n'est élu, et dont le président actuel est le conservateur luxembourgeois Jean-Claude Juncker.

Le parlement européen actuel compte 751 députés européens. Même s'il a permis à nos camarades du CIO Joe Higgins et Paul Murphy d'y trouver une tribune à partir de laquelle s'adresser aux travailleurs d'Europe et de jouer un important rôle de soutien pour de nombreux mouvements sociaux, ce parlement ne joue absolument aucun rôle politique, mis à part le fait de valider la Commission européenne une fois tous les cinq ans. C'est juste un endroit où on fait des discours.

Beaucoup de gens appellent à donner plus de pouvoirs au parlement européen. Mais à qui revient-il de prendre cette décision ? Au Conseil européen, composé des 28 chefs de gouvernement. Pourquoi ces politiciens de premier rang, chacun à la tête d'un État-nation capitaliste, accepteraient-ils de remettre leur pouvoir à un autre groupe de politiciens de seconde zone regroupés au sein du parlement européen ? L'appel pour plus de pouvoir au parlement européen – surtout si cet appel a pour objectif de faire de ce parlement un outil pour la défense des droits des travailleurs contre le capitalisme – doit donc forcément être un appel à un soulèvement de masse simultané des travailleurs et des simples citoyens de l'ensemble des pays européens – pas pour renverser une autorité centrale, mais simplement pour « contraindre » les représentants de 28 États-nations capitalistes de céder une partie de leur pouvoir.

Au cours de l'histoire, on a connu des parlements qui ont servi de points de ralliement pour des mouvements de masse en vue d'une prise du pouvoir et d'une rupture historique avec l'ancien régime : ça a notamment été le cas lors de la guerre civile anglaise (1642-1651) et de la révolution française (1789-1799). Mais cela n'a pas toujours fonctionné. Lors des révolutions européennes de 1848 (le « Printemps des peuples ») on a vu l'assemblée de Francfort en Allemagne tenter de prendre le pouvoir à la place des principautés féodales et des cités-États indépendantes dont l'association formait la confédération germanique, dans le but de créer une Allemagne unie. 

Mais même alors, à une époque où le capitalisme était en pleine croissance et où il ne faisait aucun doute que ces révolutionnaires étaient soutenus par une conscience nationale allemande largement répandue parmi les masses (avec une culture commune, une langue commune, etc.), les parlementaires bourgeois n'étaient pas prêts à accomplir les mesures révolutionnaires qui s'imposaient. Faut-il vraiment chercher ici un parallèle avec la situation actuelle, à une époque où le capitalisme n'est plus capable de jouer le moindre rôle progressiste, alors qu'il n'existe aucun mouvement populaire pour un État capitaliste européen unitaire, mais au contraire, une hostilité grandissante parmi les masses contre l'Union européenne et contre l'austérité qu'elle nous impose ?

Si les politiciens bourgeois des différents États-nations de l'UE n'ont jamais pris pour base des traités européens les idées de « justice sociale avant les intérêts des multinationales », c'est tout simplement parce que ces politiciens représentent uniquement les intérêts de leurs différentes classes capitalistes. La classe prolétaire est la seule classe qui n'a aucun intérêt au maintien du capitalisme et dont les intérêts sont identiques, qu'elle soit allemande, britannique, italienne, grecque ou polonaise. Il s'agit donc de la seule classe qui a un véritable intérêt à la solidarité internationale. 

Mais si nous parlons de construire un mouvement prolétarien à travers toute l'Europe – puisque c'est bien ce que nous voulons –, pourquoi alors vouloir limiter son action à une réforme des traités européens ? Si ce mouvement pouvait contraindre les différentes classes capitalistes d'Europe à des concessions très importantes (cela n'est pas impossible, si les capitalistes voyaient l'intérêt d'une retraite tactique, bien que temporaire, au cas où leur règne serait menacé), pourquoi alors ne pas poursuivre sur cette lancée jusqu'au renversement des gouvernements capitalistes d'Europe et la mise en place d'une nouvelle alliance des peuples d'Europe, une Europe socialiste ?

Les États-Unis socialistes d'Europe, dont la forme première sera sans doute une confédération d'États socialistes indépendants : voilà le programme du marxisme. Mais entre-temps, nous voyons des mouvements d'opposition contre l'austérité émerger sur différents terrains nationaux : la crise grecque, le mouvement contre la facturation de l'eau courante en Irlande, les indignés en Espagne… Même si tous ces mouvements restent non coordonnés entre eux. Que doivent répondre alors les socialistes, lorsque ces mouvements sont pris à partie par leurs gouvernements capitalistes nationaux, qui leur disent que leur action est « contraire aux normes européennes » et qu'ils risquent donc de « remettre en question l'avenir de l'Europe » ?

Le « rêve européen » a pris fin

Ne laissons pas le champ libre à la droite !

Quelques jours après que le Front national soit sorti vainqueur des élections européennes de mai 2014 en France, sa dirigeante Marine Le Pen a affirmé que cette victoire lui donnait un mandat pour exiger du président François Hollande la nationalisation de Alstom (l'entreprise qui construit les trains TGV à grande vitesse), quand bien même cela serait « contraire aux règles de l'Union européenne, afin de sauver cette entreprise stratégique ».

Que doivent répondre à cela les partisans de l'UE au sein du mouvement ouvrier ? Appeler les travailleurs à accepter les « règles de l'UE » ? Appeler la Commission européenne à « autoriser » la sauvegarde de l'emploi ? Ou bien, suivre l'avis de Lénine, qui est de ne jamais s'accepter lié par des traités dont la classe ouvrière n'est pas responsable ?

Il est dangereux de poser les problèmes d'une manière qui renforce l'idée selon laquelle il existerait des solutions durables aux problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs endéans les limites de l'État-nation. Même la nationalisation sous le contrôle démocratique des travailleurs d'importants secteurs de l'économie d'un pays (comme nous le défendons en Grèce) ne serait qu'un premier pas, visant à briser le pouvoir du capitalisme mondial. La lutte pour le renversement du capitalisme et pour le début de la transition vers le socialisme commence évidemment au niveau d'un pays, mais ne peut s'y arrêter.

Mais le plus grand danger est de laisser la voie libre à la droite sur le terrain national. L'effroyable dette placée sur le dos des travailleurs de Grèce et d'autres pays depuis la crise bancaire de 2007-2009, via les institutions de l'UE et de la zone euro, peut être comparée au fardeau imposé au peuple allemand par les « vainqueurs » de la Première Guerre mondiale à titre de « réparations de guerre », telles que définies par le traité de Versailles. Ce sentiment d'avoir été « puni » par le Royaume-Uni et la France était très brulant dans la conscience de masse du peuple allemand : il devait donc être considéré par la gauche de ce pays.

Dans les années '1930, un peu avant la prise de pouvoir par les Nazis en 1933, Léon Trotsky critiquait Ernst Thälmann, le dirigeant stalinien du Parti communiste allemand (KPD). Selon Thälmann, le problème portait principalement sur la « libération nationale », vu que « l'Allemagne était devenue un jouet entre les main des vainqueurs de la guerre ». Mais Trotsky écrivait que la France et l'Angleterre sont elles-mêmes devenues des jouets entre les mains de l'Amérique : « États unis soviétiques d'Europe, voilà le seul mot d'ordre correct apportant une solution au morcellement de l'Europe. » (La lutte contre le fascisme en Allemagne).

Mais Trotsky insistait sur le fait que la classe ouvrière ne peut abandonner ce terrain à la droite nationaliste, comme ses organisations de masse (les partis social-démocrate et communiste) l'avaient fait en 1929 à l'occasion d'un référendum, promu à l'époque par le Parti national du peuple allemand (DNVP, Deutschnationale Volkspartei), pour rejeter les dettes de réparation de guerre. Le Parti communiste a appelé à une abstention, tandis que les députés sociaux-démocrates voulaient continuer à payer ces dettes, « en vertu du droit international ».

Lors de la campagne pour ce référendum, le Parti national-socialiste (« nazi ») a participé aux côtés du Parti national : c'était la première fois qu'une importante faction des capitalistes allemandes décidait de collaborer avec Hitler. Cette participation a été un des facteurs qui a expliqué la hausse phénoménale du nombre de voix pour le parti nazi lors des élections de septembre 1930, passant de 810 000 voix (2,6 % des suffrages) en 1928 à 6,3 millions (18,2 %), tout cela dans le contexte de la grave crise économique de 1929. 

Trotsky, dans son analyse des résultats des élections, a conclu que la classe ouvrière avait reçu une nouvelle chance de se placer à la tête de la nation en tant que couche dirigeante, mais que, suite à de nombreuses occasions gâchées lors des dix années précédentes, elle n'avait pas été capable de démontrer qu'elle pourrait changer le destin de l'ensemble des classes sociales de la nation, y compris de la petite-bourgeoisie. C'est ainsi qu'avait été ouverte la voie à une terrible réaction.

Les dettes du traité de Versailles étaient bien entendu appuyées par une force militaire étrangère (notamment l'invasion de la Ruhr en 1923, une importante région industrielle allemande). Ce n'est pas le cas avec les traités actuels de l'Union européenne. Même si le fait que certains hauts cadres de l'UE aient parlé de la nécessité d'un « état d'urgence » en cas de rupture avec la Grèce (causant de nombreuses inquiétudes dans un pays où les coups d'État sont relativement habituels) montre bien à quel point ils sont prêts à accepter une réaction « légitime ».

Néanmoins, il est dangereux de parler de l'UE en tant que « super-État », comme le fait le Parti communiste britannique : cela représente une exagération de la véritable puissance de l'UE, avec le risque de démobiliser les travailleurs en leur disant qu'« il n'y a rien à faire face » à la « loi européenne », etc. Bien au contraire, on a déjà vu des grèves bien organisées s'opposer frontalement aux directives européennes et obtenir des victoires, sans que l'UE ne puisse faire quoi que ce soit contre cela. Si les patrons utilisent les lois européennes contre des grévistes, elles sont toujours appliquées par des avocats britanniques commandités par le gouvernement britannique. 

En d'autres termes, les lois « européennes » ne sont jamais appliquées que par des représentants nationaux de nos grands patrons nationaux. Une fois de plus, la conclusion est que la classe prolétaire a besoin de son propre parti, indépendant de la bourgeoisie, pour pouvoir combattre les politiciens capitalistes, qu'ils se trouvent à Londres ou à Bruxelles.

Nous ne pouvons nous permettre de laisser la droite populiste se positionner
comme seule force opposée à l'Union européenne
(ici, Nigel Farage, le dirigeant du Parti de l'indépendance)

Un référendum contre la classe dirigeante

Certains militants de gauche qui disent vouloir voter pour rester dans l'UE pensent contrer l'argument des socialistes selon lequel « l'UE n'est qu'un club de patrons » en disant que « le Royaume-Uni aussi n'est jamais qu'un club de patrons ». Mais ils ne comprennent pas que c'est justement pour cela que nous devons voter pour sortir de l'UE. Si on demande aux socialistes « acceptez-vous les relations économiques, sociales et politiques au Royaume-Uni aujourd'hui ? », devrions-nous répondre oui ?

Et si les socialistes ont raison de refuser des lois britanniques qui imposent l'austérité à la classe prolétaire (qui ne sont que des accords conclus par les représentants politiques du capitalisme qui sont assis à Londres), pourquoi auraient-ils tort de refuser des accords conclus entre les représentants politiques des différentes classes capitalistes nationales d'Europe, qui visent à imposer la même austérité à la classe prolétaire à travers tout le continent ?

Le référendum sur la sortie de l'UE sera dans les faits un référendum sur l'acceptation la classe dirigeante britannique et de sa politique. Malgré toute la propagande nationaliste dans les médias, le retrait de l'UE n'est pas le souhait de la grande majorité des capitalistes britanniques. Même la faction « atlantiste », qui suit les néoconservateurs états-uniens dans leur souhait de « dissoudre » l'UE, est surtout désireuse de contrer les efforts des différentes classes capitalistes nationales d'Europe désireuses dans leur résistance à l'influence états-unienne en Europe, que de désintégrer l'UE dans sa totalité. 

Après les concessions obtenues par Cameron au cours de ses « négociations » avec l'UE, l'ensemble des principales forces du capitalisme, au Royaume-Uni comme a l'étranger, soutiendra le maintien au sein de l'UE : les politiciens, la monarchie, la BBC, Obama, le pape… et même le Parti travailliste et les dirigeants de la Confédération syndicale britannique.

Pour la majorité des travailleurs cependant, le problème ne sera pas tellement de savoir sur quoi au juste porte le référendum, mais plutôt de comment exprimer leur ras-le-bol face à ce « gouvernement sans aucun mandat » : rappelons que seuls 24 % des électeurs a voté pour le Parti conservateur aux dernières élections ! Il s'agit donc d'une occasion pour eux d'exprimer leur colère contre l'élite politique capitaliste, tout comme le référendum écossais s'est changé en une révolte de masse contre l'austérité. Les socialistes doivent lutter pour convaincre les syndicats, les jeunes et le mouvement anti-austérité d'apporter leur voix à cette révolte.

Les référendums ne sont pas une méthode de lutte « classique » du mouvement ouvrier, pas comme les actions collectives telles que les marches, les grèves et les occupations, ou la participation aux élections d'un parti prolétarien. Un référendum peut être utilisé par la classe dirigeante pour distraire le mouvement ouvrier, mais en d'autres occasions, il peut être utilisé par le mouvement ouvrier pour organiser ses forces, tout en infligeant un coup à la classe dirigeante. 

En France par exemple, le président Charles de Gaulle usait et abusait de référendums pour renforcer sa dictature, en mobilisant régulièrement la paysannerie et la petite-bourgeoisie des campagnes (politiquement plus conservatrices) contre les électeurs prolétariens des villes. Mais finalement, en 1969, c'est à la suite d'un référendum sur une question constitutionnelle sans importance qu'il a été battu et s'est vu contraint de quitter le pouvoir : il s'agissait dans les faits d'une continuation, par d'autres voies, de la vague révolutionnaire de 1968.

La classe ouvrière doit organiser sa propre campagne pour le référendum, pour quitter l'Union européenne des patrons, tout en présentant notre propre alternative : une confédération paneuropéenne socialiste.

En France, un référendum a été organisé en 2005 sur le traité de Lisbonne.
Les syndicats s'étaient mobilisés pour le « Non », qui a fini par triompher.
Même si le résultat de ce scrutin n'a finalement pas été respecté.

Une voix prolétarienne indépendante

Au cours de la campagne pour le référendum de 1975 sur l'adhésion ou non du Royaume-Uni à la CEE (l'ancêtre de l'UE), le Parti travailliste a organisé une conférence extraordinaire au cours duquel le camp du « Non » s'est imposé à une majorité écrasante. 39 syndicats ont également opté pour le « Non ».

Mais vu que le Parti travailliste, qui était un parti « ouvrier-bourgeois » (dont la direction était acquise à la cause du capitalisme, même si la base était composée à majorité de travailleurs, et dont le programme défendait l'idée de nationalisations, etc.), est entre-temps devenu un parti purement capitaliste, sa position par rapport à l'UE s'est elle aussi modifiée. Par exemple, le célèbre militant socialiste Tony Benn, qui siégeait au BEN du Parti travailliste, relatait dans ses mémoires qu'un jour, en 1989, lors d'une réunion où il cherchait à défendre le droit des travailleurs à se prononcer en cas de rachat de leur entreprise par un autre groupe, il a été mis en minorité par les autres dirigeants du parti, car sa proposition était « contraire aux règles de la CEE ». Seul quatre des personnes présentes ont défendu pour sa proposition, dont Hannah Sell, présidente des Jeunes socialistes, qui est aujourd'hui SGA du Parti socialiste (section du CIO en Angleterre et au pays de Galles).

Depuis lors, vu que le Parti travailliste est fermement dévoué au marché capitaliste et que la majorité des dirigeants syndicaux s'accrochent au rêve d'une « Europe sociale » qui leur garantirait soi-disant plus de droits et une prospérité toujours croissante, nous n'avons plus vu la moindre voix prolétarienne se prononcer en faveur d'une alternative claire à l'Union européenne. C'est pourquoi nous avons applaudi la décision du syndicat des transporteurs, le RMT, de lancer une liste « Non à l'UE, Oui à la démocratie » lors des élections de 2009 et avons rejoint ce mouvement, qui a mené à la mise en place de la Coalition syndicaliste et socialiste (TUSC) en 2010.

Mais la TUSC reste une « préformation ». Elle n'a pas la prétention d'être « le » nouveau parti prolétarien du Royaume-Uni. Même si cette coalition a pu tout de même compter sur 300 000 voix lors des élections de 2010, ce score reste encore très modeste. Si un syndicat décidait de lancer une campagne pour un vote de retrait de l'Union européenne, la TUSC pourrait jouer un rôle intéressant dans ce cadre, mais elle ne pourrait pas encore devenir la force principale dans cette campagne.

Les syndicats doivent tout faire pour éviter que la droite réactionnaire soit la seule à se prononcer contre l'UE. Les lois sur les référendums exigent des organisations qui désirent participer à la campagne (y compris les partis politiques et les syndicats) de tout d'abord s'enregistrer auprès de la Commission électorale en tant que « participants autorisés ». La Commission a également le droit de décider seule quels sont ceux, parmi ces « participants autorisés », qui deviendront les représentants « officiels » du « Oui » et du « Non » ; ce qui donne accès à l'octroi de fonds publics, à des passages dans les médias, etc.

Mais la Commission électorale n'est pas obligée de désigner un de ces « participants autorisés » en tant que représentant officiel d'un des camps, au cas où ce statut serait contesté par différentes forces. Si les syndicats de gauche se positionnaient fermement en faveur d'un « Non » à l'UE en lançant une campagne expliquant pourquoi les syndicalistes et les socialistes doivent défendre le « Non » et ne pas laisser ce terrain aux seuls populistes de droite et à leurs riches soutiens, ils interdiraient donc à la Commission électorale d'octroyer des fonds publics et l'accès médiatique à la campagne de la droite nationaliste. Nous ne pouvons pas laisser des politiciens de droite réactionnaire se faire passer pour les représentants de la colère prolétarienne contre l'austérité.

Mais si aucun syndicat en-dehors du RMT n'est prêt à lancer une campagne pour le « Non », alors, vu que le RMT fait partie de la TUSC, ce sera à la TUSC à jouer ce rôle. Une occasion a été manquée lorsque le Parti communiste a refusé de rejoindre la TUSC en 2014, ce qui a fait que la coalition s'est représentée aux élections sous le nom de « Non à l'UE » au lieu de son nouveau sigle. Il ne faut pas que cela se représente. Il faut renforcer le profil de la TUSC dans les syndicats et dans les élections (y compris lors de ce référendum) : c'est une tâche cruciale qui concerne la future formation d'un parti prolétarien de masse, capable de rassembler l'ensemble des syndicats, des travailleurs non organisés, des socialistes, des jeunes, des groupes opprimés et des militants de la société civile, dans une lutte pour le socialisme au Royaume-Uni et en Europe.

« Non à l'UE, Oui à la démocratie »
La coalition des syndicats pour les élections européennes,
qui a donné naissance à la TUSC


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