vendredi 11 décembre 2015

CI : Réflexions sur la crise écologique en Côte d'Ivoire

L'urgence climatique et la nécessité d'un développement durable


On n'a pas coutume dans nos pays africains d'envisager les problèmes d'écologie et d'environnement comme des questions vitales. On a plutôt tendance à les considérer comme des débats de pays développés, où la population est plus à l'aise pour penser à un mieux-être, tandis que la priorité pour nous serait de d'abord nous assurer que nous ayons de quoi manger. Il y a aussi le fameux argument comme quoi « Les pays développés ont pu polluer dans le passé, pourquoi ne pas nous laisser polluer nous aussi ? » 

Sauf que c'est oublier que tous ces problèmes sont liés, et qu'aujourd'hui des technologies existent pour permettre à l'Afrique un développement durable et sain à la fois. De plus, il importe de ne pas fermer les yeux sur la véritable urgence que représente le changement climatique et la question de la disparition des ressources naturelles, qui menacent justement le potentiel de développement de nos pays.

– Jules Konan



Le réchauffement climatique

La hausse exponentielle de la quantité des gaz à effet de serre dans l'atmosphère est la cause du réchauffement climatique. On estime que 100 millions de personnes en Afrique sont menacées de perdre leurs terres suite à l'avancée du désert. Le climat devient de plus en plus imprévisible et les catastrophes naturelles de type incendies, tornades, sècheresses et inondations, de plus en plus fréquentes. 

Des mesures pourraient être prises pour pallier aux inconvénients de ces bouleversements : nouvelles techniques d'irrigation, reforestation, construction de digues et de canaux de détournement des eaux, systèmes d'aide d'urgence aux populations touchées… Malheureusement, comme c'est toujours le cas, on nous dit que l'Afrique n'a soi-disant pas les moyens de financer de tels programmes. Et c'est toujours les populations les plus précaires et les plus pauvres qui sont les premières touchées. 

Pendant que nos populations se voient contraintes de se battre pour les quelques lopins de terres arables qui restent, ce qui se traduit par des conflits « ethniques » entre cultivateurs autochtones et allochtones, entre cultivateurs et éleveurs… Pendant que nous sommes confrontés aux glissements de terrain et aux incendies, nos dirigeants, eux, coulent des jours tranquilles dans leurs résidences secondaires à Paris et à Londres !

La hausse de la température signifie aussi une hausse du nombre d'insectes et de maladies qui ravagent nos champs. De plus en plus d'argent et d'efforts dépensés en pesticides donc, avec toutes les conséquences que l'on connait sur la santé humaine. Sans oublier évidemment plus d'insectes et de maladies dans nos maisons ! Plus de mouches, plus de cafards, plus de moustiques, plus de malaria et de choléra.

Plus alarmant : la fonte des glaces fait monter le niveau des océans. Cela veut dire que la majorité des plus grandes villes du monde seront englouties par les flots. C'est notamment le cas d'Abidjan : si Cocody, Yopougon et Plateau sont relativement abrités, l'ensemble des quartiers de Treichville, Marcory, Koumassi, Vridi et Port-Bouët devraient disparaitre d'ici 50 ans si rien n'est fait, en plus de Grand-Bassam. Chez nos voisins, les villes de Monrovia, Cotonou et Lagos sont également très menacées. 

S'il est clair que ce n'est pas vraiment à notre niveau que nous devons lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, il est évident qu'il nous faut dès aujourd'hui plancher sur un plan d'urgence et de remédiation des effets du réchauffement climatique qui ne vont que s'aggraver au cours des années à venir. Cela nécessite le recrutement d'équipes de géographes, de biologistes, etc. et la mise en place d'enquêtes participatives à tous les niveaux afin d'identifier avec les villageois et les résidents les zones à risque et les mesures à envisager en anticipation de risques plus sérieux. 

D'autre part, la faiblesse des émissions de gaz à effet de serre aujourd'hui en Côte d'Ivoire (et en Afrique) n'empêche pas que nous pourrions montrer l'exemple en élaborant un plan de développement « vert » basé sur les énergies renouvelables. Si le capitalisme européen n'a pas pu se passer du charbon et du pétrole, il est clair qu'aujourd'hui de nombreuses technologies existent pour envisager un développement de l'Afrique « zéro pollution », qui garantisse un mieux-être et une croissance inclusive pour l'ensemble de la population sans tous les effets négatifs que nous constatons en ce moment en Chine ou en Inde, pour ne citer que ces deux exemples.

En bref : l'Afrique n'a pas à suivre pas à pas le cheminement de l'Occident, car malgré son retard, aujourd'hui, elle est capable d'effectuer un « bond technologique » qui lui permette de passer directement à une technologie verte sans devoir franchir les étapes suivies par d'autres continents au développement plus précoce. N'avons-nous pas connu les camions avant de connaitre la charrette ? Est-ce que pour beaucoup de nos habitants, l'alphabétisation ne se fait pas déjà sur smartphone avant même de connaitre le papier ? De même, l'Afrique peut devenir dès aujourd'hui un continent à haute technologie sans devoir se vautrer dans la crasse des révolution industrielles des époques passées.


Tout Abidjan-Sud et Grand Bassam condamnés à disparaitre sous la mer
d'ici 100 ans si rien n'est fait pour arrêter la pollution au niveau mondial
et pour pallier à la montée des eaux

Les ressources naturelles


Quand on parle d'environnement, ce n'est pas seulement le climat qui est en cause. Le développement ne peut se faire sans ressources naturelles sur lesquelles doit s'exercer le travail humain. Or, en Côte d'Ivoire, nos ressources sont clairement surexploitées, surtout lorsque nous parlons de nos terres et de nos forêts.

Où est passée la grande forêt ivoirienne ? Même les quelques parcs nationaux qui nous restent sont mis sous pression, occupés illégalement. Nos grands arbres quant à eux sont coupés sauvagement, souvent avec la complicité d'agents véreux des eaux et forêts, pour être aussitôt débités et exportés sans la moindre transformation (ou presque), alors que le bois est devenu tellement cher à Abidjan ! 

Lorsqu'on parle du problème d'occupation des sols, on aime critiquer les étrangers qui seraient soi-disant trop nombreux dans le pays, mais réellement, depuis quand est-ce que les Ivoiriens prennent soin de leur terrain ? Sinon comment expliquer que le cacao ne soit plus cultivé chez les Agni mais que c'est uniquement dans l'Ouest que l'on cherche encore à en planter ? 

Par manque de formation, par manque d'outils, par manque de produits à épandre, par l'application de mauvaises techniques et le défrichage irraisonné de la forêt au-dessus d'une plante qui apprécie pourtant l'ombre, les paysans ivoiriens sont en train de se tirer une balle dans le pied. La suite, on la connait : les sols sont fatigués, les plantations, mal entretenues, abritent plus de maladies que d'arbres bien portants, finalement on arrache et c'est le sékou-touré qui prend tout.

Bref, on gaspille la terre ! 

Alors on part défricher un nouveau coin de forêt, peu importe qu'il soit occupé ou non. Et c'est la nature qui paie, tandis que les hommes se tailladent à la machette et incendient le champ de leur voisin. 

Ici aussi, on ne peut que montrer du doigt les régimes irresponsables qui ont toujours abandonné les planteurs à leur propre sort plutôt que de mettre en place dès le début une agriculture durable, intensive et inclusive. Où ira le pays une fois que toutes les forêts auront été dévastées ? De quoi vivra la Côte d'Ivoire ? Question à laquelle aucune réponse n'a été encore proposée ou du moins appliquée jusqu'à présent.

La Côte d'Ivoire vue de l'espace. La tache vert sombre à gauche,
le parc de Taï, est la seule véritable forêt qui reste encore dans le pays

On a aussi tout le problème du recyclage des matières premières. Tous ces sachets plastiques et ces batteries usagées que l'on jette dans tous les caniveaux et dans tous les villages, ont un impact sur la santé, sur la qualité des eaux et du sol, mais pourraient de plus être réutilisés et créer de la richesse ! 

Sans même parler de tous les déchets ménagers qu'on laisse pourrir à l'air alors qu'ils pourraient très facilement être convertis en engrais organique bon marché, naturel et bio !

Le compostage est une solution facile à mettre en œuvre et bon marché
pour restaurer nos sols dégradés, mais négligée faute d'une véritable promotion
par les pouvoirs publics

L'énergie

La question de l'énergie est également un gros problème qui menace le développement du pays et ses potentialités pour l'avenir. En effet, tout travail, toute transformation demande de l'énergie. Mais voilà que notre production d'électricité dépend presque exclusivement de combustibles fossiles (gaz naturel, pétrole), tandis que tout notre système de transport dépend de l'essence. Cela renforce notre dépendance à des produits importés de l'étranger, et pose de gros problèmes en termes de pollution atmosphérique, avec des conséquences préoccupantes pour la santé des citadins, notamment à Abidjan.

Pendant ce temps, dans de très nombreuses cuisines du pays, on se chauffe exclusivement au bois, procédé qui aggrave la déforestation et qui fait perdre inutilement énormément de temps et d'efforts aux femmes rurales.

Même si le régime RHDP est aujourd'hui occupé sur un projet de barrage hydroélectrique de grande envergure à Soubré, cela ne règle pas vraiment le problème. L'énergie hydroélectrique reste plutôt aléatoire car elle dépend de la force du cours d'eau, en outre la construction de tels barrages pose de gros problèmes en termes de déplacement de villages et de plantations, et de mobilisation de moyens financiers. 

Il est temps d'exiger pour notre pays une politique de « À chaque toit son panneau solaire ». Plutôt que de tirer des câbles pour relier chaque village de brousse au réseau alimenté par l'énergie fossile et les barrages, autant simplement poser un panneau solaire sur chaque toit. Cela résoudrait énormément de problèmes. On doit aussi penser à la mise en place de microbarrages sur les petits cours d'eau, beaucoup plus respectueux de l'environnement, et d'éoliennes sur les nombreuses hauteurs du pays et en bord de mer. Mais évidemment, une telle politique, qui verrait dans les faits la population devenir autonome sur le plan de sa consommation d'électricité, pourrait ne pas plaire à tout le monde, notamment à la CIE…

C'est pourtant pas compliqué !?
« À CHAQUE TOIT SON PANNEAU ! »

Concernant les transports, là aussi, il faut sortir du gaspillage que représente l'omniprésence des voitures personnelles qui sont responsables notamment de l'embouteillage permanent à Abidjan. Toutes ces voitures polluent, font perdre leur temps et la santé à nos concitoyens, et finalement gaspillent énormément d'essence. Il nous faut passer à un système de bus électriques en tant que première étape vers la mise en place d'un véritable métro. Ici aussi, comme pour le cas des panneaux solaires, le problème n'est pas le financement, comme on voudrait nous le faire croire, mais c'est un choix purement politique. En effet, nos élites locales sont beaucoup plus intéressées à maintenir le système anarchique des taxis communaux, warren et gbakas dans lequel « tout le monde mange », plutôt que de procéder à une revitalisation décisive de la Sotra, qui ne leur apporte rien en termes de revenus. Pendant ce temps, encore une fois, c'est la population qui souffre.

Le transport longue distance pourrait lui aussi être réalisé de manière beaucoup plus efficace par l'édification d'un réseau de chemins de fer national ainsi que par l'aménagement de nos grands fleuves. Techniquement, il devrait être possible de charger des bateaux à Abidjan et de les faire passer par la lagune pour remonter le Bandama jusqu'à Yamoussoukro et Bouaké (voire jusqu'à Korhogo) – d'autant plus qu'un canal long de 16 km existe déjà qui relie la lagune Ébrié à la lagune de Grand-Lahou ! –, ou de remonter le Sassandra jusqu'à Daloa.


Exemple de bus électrique pouvant être déployé à Abidjan à peu de frais
pour garantir un transport en commun non polluant et bon marché,
sans devoir sacrifier des voies de circulation

Le chauffage au bois constitue, nous l'avons dit, une perte de temps et d'efforts considérable pour les femmes rurales, en plus de menacer la forêt (surtout dans le Nord). Savez-vous que dans un pays comme le Vietnam, qui possède le même climat que la Côte d'Ivoire, la plupart des ménages ruraux cuisinent au gaz ? De plus, c'est un gaz totalement gratuit, qui provient de la récupération et de la fermentation des déchets ménagers et d'élevage, selon un processus quasi automatique. Et qui a l'avantage d'éliminer totalement l'odeur associée aux enclos d'élevage. Que faut-il pour obtenir cela en Côte d'Ivoire ? Simplement une politique énergique et volontaire d'investissement de l'État via les coopératives et communes rurales. 

En quelques années nos foyers et nos villages pourraient être totalement transformés, et nos mamans et sœurs libérées de la lourde corvée du bois. Mais là aussi, il est clair qu'une telle politique ne profiterait pas à certains lobbys des hydrocarbures, et demanderait sans doute « trop d'efforts » à nos politiciens qui ont sans doute d'autres soucis en tête que le dos de nos mamans ?

Cuisine au gaz dans un village typique du Vietnam. Fini les corvées bois.
Fini la fumée dans la cuisine. Madame peut passer à autre chose. 
Et la forêt respire.

Le développement durable ? Impossible dans le cadre du capitalisme !


On voit donc par ces divers exemples que les solutions ne manquent pas pour permettre un développement véritablement durable de la Côte d'Ivoire, qui soit respectueux de l'environnement tout en assurant une meilleure répartition des richesses et des fruits de la croissance parmi les populations. 

Mais toutes ces solutions nécessitent un autre type d'économie, une économie qui ne soit pas soumise aux caprices des multinationales et de nos potentats locaux, mais qui soit beaucoup plus inclusive et soumise au contrôle des populations. Toutes les mesures citées : panneaux solaires, transports publics, etc. ne permettent pas de faire le moindre profit. Au contraire, ils représentent autant de « couts », c'est-à-dire d'investissements. 

Mais la politique du laissez-faire actuel ne représente-t-elle pas elle aussi un « cout » pour les populations ? Enfin, la Côte d'Ivoire n'est-elle pas un pays riche et dotée d'innombrables ressources naturelles, mais dont beaucoup sont gaspillées et pillées, tandis que d'autres sont inexploitées ? Sans parler de nos incroyables ressources humaines, gaspillées elles aussi vu le chômage de tous ces jeunes diplômés. 

D'ailleurs, les quelques « mesurettes » citées ci-dessus ne représentent qu'une infime partie de ce qui pourrait et devrait être appliqué dans notre pays pour atteindre cet idéal vert. Nous n'avons par exemple même pas parlé ici des solutions qui existent pour garantir des logements frais en permanence et sans climatisation (« ventilation naturelle »), par la simple magie d'une architecture raisonnée. Ni de tous les avantages que peut avoir la construction en hauteur afin de réduire les distances à parcourir pour le transport, dégager des espaces verts, la possibilité de cultures maraichères « hors-sol » pouvant être installées sur les dalles des immeubles en ville, etc., etc., etc. les possibilités sont en réalité innombrables, la seule limite est le manque d'imagination et la soif de profit des capitalistes.

Face à l'urgence que pose l'arrivée du réchauffement climatique, on comprend donc la nécessité pour tous nos lecteurs de rejoindre le CIO dans ses efforts pour construire une Côte d'Ivoire et une Afrique débarrassée du capitalisme et de la crise environnementale que celui-ci engendre.

Et pourquoi pas ?!

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