vendredi 13 novembre 2015

Théorie : Le monde, l'Afrique et la lutte pour le socialisme

Le point sur la situation dans le monde et en Afrique – première partie


Nous traversons une des périodes les plus tragiques de l'histoire, caractérisée par la crise économique, des mouvements de masse et des troubles de proportions gigantesques. Sept ans après le début de la crise, le monde n'a toujours pas récupéré de la « pire crise financière depuis la Grande Dépression des années '1930 ». Malgré tous leurs efforts (plans de soutien à l'économie, assouplissement quantitatif, etc.), les défenseurs du capitalisme, n'ont pas pu restaurer les taux de croissance ni l'économie à leurs niveaux d'avant la crise. En ce moment, de plus en plus d'éléments indiquent que l'économie mondiale replongera bientôt dans une nouvelle crise.

Discours de notre camarade Hassan Taïwo Soweto (Mouvement socialiste démocratique, section du CIO au Nigéria), prononcé lors de notre école d'été ouest-africaine qui a eu lieu au mois de juillet de cette année à Abidjan.



Le cauchemar capitaliste

En tant que socialistes, nous devons comprendre que cette crise économique n'est pas un simple accident, mais est en réalité la conséquence inévitable des contradictions fondamentales inhérentes au capitalisme. Le capitalisme est un système économique de production de marchandises basé sur l'exploitation de la main-d'œuvre de la classe prolétaire et sur l'appropriation privée de la plus-value tirée de cette exploitation, que l'on appelle aussi profit. 

Établi il y a à peu près 300 ans pour remplacer le féodalisme – un système économique basé sur l'agriculture et la propriété de la terre –, le capitalisme s'est développé jusqu'à étendre, socialiser et transformer la production de marchandises à un niveau auparavant imaginable. Le capitalisme a également mis en marche un développement de la science et de la technologie sans précédent, qui offre à présent la possibilité de créer une vie heureuse et prospère pour l'ensemble des habitants de cette planète. Par exemple, vu le gigantesque développement des forces productives, il devrait être possible aujourd'hui de réduire la journée de travail de 8 heures à 6 heures de travail par jour ou moins, afin de répartir le temps de travail entre tous et de permettre à la population de vivre une vie mieux remplie et plus saine.

Mais comme Lénine l'a fait remarquer dans son livre L'Impérialisme : stade suprême du capitalisme, une des contradictions fondamentales du mode de production capitaliste est le fait que, alors que le procédé de production « devient de plus en plus collectif, l'appropriation de cette production reste individuelle. Les moyens de production collective demeurent la propriété privée de quelques-uns ». De ce fait, nous voyons qu'à cause du capitalisme, les immenses possibilités offertes par la technologie et la science ne bénéficient finalement qu'à ces mêmes quelques personnes – les capitalistes. Résultat : une inégalité d'une ampleur sans précédent  dans l'histoire de l'humanité : les 85 personnes les plus riches du monde possèdent autant que les 3,5 milliards les plus pauvres !

Les crises économiques qui reviennent régulièrement (y compris celle dans laquelle nous nous trouvons en ce moment) nous rappellent douloureusement du fait que le capitalisme qui, pendant toute une période, nous a permis de faire des avancées spectaculaires dans le domaine du développement social en général, est à présent devenu un frein au développement des forces productives et de la société dans son ensemble. Le capitalisme, qui était un système économique extrêmement progressiste au moment de son triomphe sur l'aristocratie terrienne féodale, est aujourd'hui devenu une véritable absurdité !

Un simple exemple : l'Organisation des Nations-Unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO) nous informe du fait que 842 millions de gens dans le monde (soit 12 % de la population mondiale) souffrent de faim. Alors qu'en même temps, le développement des techniques moderne d'agriculture devrait nous permettre de cultiver n'importe quelle plante n'importe où dans le monde, ou presque. Chaque élève apprend que notre planète est recouverte d'eau sur 70 % de sa surface. Pourtant 783 millions de gens n'ont aucun accès à de l'eau potable, et 2,5 milliards de gens n'ont même pas de toilettes correctes ! Voilà ce qui se passe dans ce monde où l'« immense surabondance de capital » ne parvient plus à trouver le moindre investissement « profitable ».

Nous lisons dans le rapport sur le développement humain des Nations-Unies de 2014, que « malgré les derniers progrès effectués sur le terrain de la réduction de la pauvreté, plus de 2,2 milliards de gens approchent ou vivent dans un état de pauvreté multidimensionnelle. Cela représente plus de 15 % de la population mondiale ». Dans le monde, 1,2 milliards de gens vivent avec moins de 1,25 $ par jour (moins de 750 francs CFA). Suite à l'impact de la crise financière mondiale de 2007-2008, l'Organisation internationale du Travail estime que le nombre de travailleurs pauvres (c'est-à-dire, des gens qui, malgré le fait qu'ils ont un travail, ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins) s'est accru de 50 millions de personnes en 2011.

Une idée du fonctionnement du capitalisme…

La crise économique dans le monde

Aux États-Unis, en Europe, en Amérique latine, dans le monde arabe, en Asie et en Afrique, l'économie capitaliste mondiale chancelle toujours à la suite de l'effet dévastateur de la crise financière qui a commencé en 2007. Le PIB mondial ne s'est accru que de 2,4 % en 2013, et de 2,6 % en 2014.

Même si aux États-unis, on observe une reprise depuis 2012, avec même une croissance de 5 % à la fin 2014, une grande partie de la population demeure en situation de « chômage de longue durée ». En décembre 2014, alors qu'on annonçait le retour de la croissance, le taux de chômage n'avait diminué que de 0,2 % dans ce pays (pour s'établir à 5,6 %), tandis que le niveau de vie de la population américaine ne cesse de diminuer. En 2007, avant la récession, 26 millions d'Américains dépendaient de l'aide alimentaire pour leur survie ; en 2013, ils étaient 48 millions (sur une population de 320 millions d'habitants). 80 % des Américains sont convaincus du fait que leurs enfants ne vivront pas aussi bien qu'eux-mêmes, alors que ce chiffre était de 50 % en 1980. Dans l'ensemble, nous voyons donc que l'économie américaine reste très vulnérable.

Politiquement, nous assistons à un véritable éveil des consciences dans ce pays. Au cours des dernières années, nous avons vu le développement du mouvement Occupy, en plus du mouvement 15Now (« 15 $ de l'heure maintenant» ), lancé par le CIO, qui se bat pour l'augmentation du salaire minimum garanti. L'assassinat de citoyens noirs par la police raciste a aussi déclenché le mouvement national BlackLivesMatter (« La vie des Noirs compte »). La section du CIO aux États-Unis, le groupe Alternative socialiste, joue un rôle très important dans tous ces mouvements. En particulier, nous sommes parvenus à obtenir dans la ville de Seattle la première victoire du mouvement pour le nouveau salaire minimum à 15 $ par heure (9000 francs de l'heure minimum pour tout le monde). Selon de récents sondages, 60 % des Américains sont à présent à la recherche d'un « troisième parti » qui représenterait une alternative crédible par rapport aux deux principaux partis capitalistes, le Parti républicain (le parti de Bush) et le Parti démocrate (le parti d'Obama). 

C'est dans ce contexte qu'à Seattle (ville de 3 millions d'habitants, siège de la compagnie d'avions Boeing et ville natale de Bill Gates, le créateur de Windows), Kshama Sawant, une de nos camarades du CIO, a été élue au conseil communal et est depuis réputée au niveau national en tant que « leader socialiste incorruptible ». Kshama a été la première socialiste à être élue au conseil communal de Seattle depuis 100 ans. Cela faisait aussi des dizaines d'années qu'on n'avait pas vu un socialiste remporter la moindre élection aux États-Unis. Nos camarades américains mènent une campagne active pour la création d'un nouveau parti prolétarien de masse aux États-Unis, pour rompre avec les deux partis financés par les capitalistes.

60 % des Américains sont à la recherche d'un troisième parti pour contrer
les Républicains et Démocrates

Pendant ce temps, en Europe, la Grèce est le symbole de la crise économique. Prise entre le piège de l'inflation de l'euro et les exigences incessantes des bailleurs de fonds de la « troïka » (FMI, Union européenne et Banque centrale européenne) qui demandent de plus en plus d'austérité, la Grèce connait à présent une situation plus analogue à la plupart des pays africains qu'à un pays européen. Le taux de pauvreté y est à présent de 26 %, le taux de chômage de 52 %. Après une petite croissance de 0,7 % en 2014, la prévision de +1,0 % pour cette année a dû être revue à la baisse : le pronostic semble à présent être que l'économie diminuera de 2-2,5 % à la place. Tout porte à croire que la Grèce « connaitra la récession l'année prochaine également », vu « le contrôle sur les flux de capitaux instaurés par le gouvernement au mois de juin, qui a nui à la consommation, aux investissements et aux importations » (The Guardian de Lagos, 24 juillet 2015).

La retraite du Premier ministre Alexis Tsipras représente une trahison historique de la classe des travailleurs, non seulement en Grèce, mais aussi internationalement. En échange d'un nouveau plan de renflouement d'une valeur de 86 millions d'euros (56 milliards de francs), le gouvernement Syriza (« Coalition de la gauche radicale ») sera contraint d'augmenter les taxes, de diminuer le budget de l'État, de privatiser de nombreux secteurs de l'économie et de mettre en place de nombreuses autres soi-disant « réformes » telles que des coupes dans les pensions ! Pourtant, c'est par la lutte contre ce même genre de mesures d'austérité que Syriza avait été élue massivement au début de cette année ! 

Tsipras n'a même pas honte de justifier ce mauvais compromis, ce véritable coup d'État contre la volonté du peuple exprimée par le référendum du 5 juillet, en prétendant qu'il est nécessaire pour éviter l'expulsion de la Grèce de la zone euro, qui serait selon lui catastrophique. La vérité, c'est que tant qu'elle restera dans le cadre du capitalisme, la population grecque sera confrontée à la catastrophe, qu'elle reste dans la zone euro ou non. La seule issue est de rompre avec le capitalisme. Une sortie de la zone euro aurait pu être le point de départ à la mise en place d'une véritable politique socialiste. Mais Tsipras, qui se définit comme un « eurocommuniste », n'est pas prêt à rompre avec le capitalisme. 

L'austérité permanente cause déjà une véritable crise humanitaire en Grèce. Vu que le budget pour la santé a été coupé de 25 %, un million de citoyens n'ont désormais plus accès aux hôpitaux. Pour la première fois depuis 40 ans, le paludisme et d'autres maladies rares sont revenues en Grèce. Alors que la Grèce connaissait le taux de suicide le plus bas d'Europe, ce taux s'est élevé de 60 % ! Un rapport de la Croix rouge, publié en octobre 2013, révélait même que le nombre de suicides de femmes grecques avait doublé.

À présent, même après ce dur compromis en vue d'un soi-disant « plan de sauvetage », aucune reprise de l'économie n'est en vue. Les économistes grecs « doutent de la possibilité pour l'économie grecque, sérieusement affaiblie, de pouvoir survivre à ce nouveau programme d'austérité, après six années de récession qui ont fait perdre au pays un quart de sa production et fait grimper le taux de chômage à 25 % ».

Si la Grèce décidait de tenir tête pour de bon aux institutions de la zone euro, même si cela entrainerait très certainement une expulsion de la zone euro, cela aurait également de gigantesques répercussions sur l'ensemble de l'Europe et du monde entier. Plus encore, si cette sortie de la zone euro était accompagnée d'un appel internationaliste, elle pourrait déclencher une révolte de masse à travers toute l'Europe, ce qui aurait pour effet de lancer le début d'une lutte pour renverser le capitalisme en Europe et pour mettre en place une économie planifiée de type socialiste, en vue de démarrer la tâche urgente de la reconstruction des économies déjà fortement endommagées par plus de 6 années d'austérité.

Après la trahison de Tsipras, la Grèce est de nouveau ébranlée par les grèves
à répétition. La population cherche un nouveau canal de lutte contre
l'austérité imposée par la Troïka

L'économie chinoise est elle aussi plongée dans la crise. Elle connait sa croissance la plus faible depuis 25 ans. « La croissance réelle du PIB ne dépasse pas les 3 ou 4 %. Un tiers des provinces de Chine sont en récession. L'industrie est en train de licencier les travailleurs en masse ». Au mois de juin, les bourses chinoises se sont effondrées. En l'espace de trois semaines, 3000 milliards de dollars ont été perdus (2 millions de milliards de francs, soit 2 milliards de millions). La Chine est de loin le plus grand importateur de matières premières au monde. L'économie des pays africains dépend fortement de l'économie chinoise et de la demande en pétrole et en autres matières premières, notamment les minerais. C'est pourquoi un ralentissement de l'économie chinoise pourrait déclencher une nouvelle phase de crise économique mondiale.

Dans l'ensemble, malgré une petite reprise de la croissance, les perspectives pour l'économie mondiale restent extrêmement déprimantes. Partout règne l'incertitude, d'autant que de nombreux autres facteurs pourraient intervenir pour encore plus nuire à la croissance. Le Conseil économique des Nations-Unies pour l'Afrique concluait dans son rapport de 2015, par une note plutôt morose : « Malgré les prévisions de forte croissance, l'avenir reste incertain, étant donné la fragilité de la reprise dans la zone euro, le déclin économique de la Chine et de la Russie, et la baisse des prix des matières premières ».

Le Japon est tombé dans la récession depuis la mi-2014. La croissance qui était de 1,5 % est passée à 0,8 % à cause de l'imposition d'une nouvelle taxe sur la consommation en avril 2014. Même si cette taxe a dans un premier temps permis une nouvelle croissance, elle a fini par peser sur la consommation, qui diminue. On estime que le Japon ne connaitra pas plus de 1,2 % de croissance en 2015. De même, la Russie n'a connu que 0,5 % de croissance en 2014 contre 1,2 % en 2013, et on suppose que 2015 ne sera pas meilleur.

La persistance d'un taux de chômage élevé, à 7,8 % en moyenne, continue à menacer la faible croissance observée dans les pays développés. Le taux de chômage mondial a un peu baissé en 2013, passant de 6,0 % à 5,9 % en 2014. « Les jeunes sont particulièrement touchés par le chômage. Le taux de chômage des jeunes dans le monde était de 13,0 % en 2014, et devrait passer à 13,1 % en 2015 ».

Chine : action contre les licenciements à l'usine de téléphones Motorola

L'Afrique

Vu la faiblesse de la croissance en Europe, les stratèges du capitalisme mondial espèrent que l'Afrique offre une bouée de sauvetage au capitalisme. Mais à présent, cet espoir est remis en cause au vu de la chute du prix des matières premières, notamment.du pétrole et des minerais qui sont la principale source de croissance de nombreux pays africains.

Il est vrai que le PIB des pays africains s'est beaucoup amélioré ces dernières années, contrastant fortement avec le déclin constaté dans le reste du monde. Alors que la croissance de l'Union européenne n'était que de 1,4 % en 2014 et de 0 % en 2013, la croissance de l'Afrique est passée de 3,7 % en 2013 à 3,9 % en 2014. De même, tandis que l'Union européenne prévoit une croissance de 1,2 % en 2015 et de 1,4 % en 2016, les pays africains misent sur 4,5 % en 2015 et 4,8 % en 2016. Dans les faits, l'Afrique n'est dépassée en termes de croissance que par les pays d'Asie de l'Est et du Sud (Chine, Inde, etc.), qui ont fait +5,9 % en 2014.

Mais dans ce contexte de croissance fantastique de l'économie, quel est le constat pour les masses populaires, les travailleurs, les paysans et les jeunes d'Afrique ? Il est évident que leur situation ne s'est en rien améliorée. Malgré la croissance fantastique du PIB, notre continent reste frappé par la pauvreté de masse qui le caractérise. L'Afrique est d'ailleurs une des régions du monde où on trouve les plus grandes inégalités de revenu : l'indice Gini pour l'Afrique est de 0,529, alors que le reste du monde a un indice Gini de 0,4 (cet indice mesurant l'inégalité). 

La Banque mondiale estime qu'en 2015, 366 millions d'Africains vivent toujours avec moins de 1,25 $ par jour (850 francs). L'espérance de vie pour l'Afrique subsaharienne était de 56,8 ans en 2013, contre 74,9 ans en Amérique latine. 4 millions d'enfants africains meurent chaque année avant d'atteindre l'âge de 5 ans. Le Nigeria, le plus grand pays d'Afrique en termes de la taille de son PIB (de plus de 568 milliards de dollars, contre 35 milliards de dollars pour la Côte d'Ivoire), est aussi le deuxième pays au monde en termes de nombre d'enfants mal nourris (après l'Inde). Le Nigeria regroupe 10 % des 160 millions d'enfants en retard de croissance du monde. 300 millions d'Africains n'ont aucun accès à de l'eau potable. En Afrique subsaharienne, seul 23 % des jeunes filles des rurales terminent l'école primaire. Le chômage des jeunes a atteint un seuil extrêmement préoccupant. En Afrique du Nord, le chômage des jeunes s'élevait à 30 %, soit quatre fois le taux de chômage des adultes, qui n'était « que » de 8 %.

En Afrique comme partout dans le reste du monde, le capitalisme fait en sorte que les bénéfices de la croissance économique ne sont pas partagés équitablement. C'est ce qui explique le paradoxe de cette situation où on a une forte croissance économique en même temps que des taux de chômage et de pauvreté élevés. Les seules personnes qui tirent profit de cette belle croissance en Afrique sont les millionnaires du continent, les politiciens et dictateurs corrompus, et bien entendu, les multinationales étrangères.

(voir la deuxième partie de cette analyse ici)

Les dirigeants africains sont complices de l'exploitation impérialiste
et de la misère du peuple


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