samedi 28 mars 2015

CI : Enseignement : Cessons de lutter en rangs dispersés !

L'heure est venue pour la constitution d'un véritable front commun pour sauver l'enseignement ivoirien


Les mouvements de grève se multiplient dans l'enseignement ces derniers temps. À la faveur de l'année électorale qui devrait être riche en promesses, les différents syndicats ont décidé de ne plus patienter mais de passer à l'offensive. Cependant, malgré leur bravoure et la combativité de la base, ces mouvements se heurtent à un véritable mur de la part du gouvernement.

Cependant, ce gouvernement a déjà montré à maintes reprises, cette année comme lors de la grève des enseignants de 2013 (voir notre analyse à l'époque) que lorsqu'il accepte de dialoguer, c'est uniquement pour gagner du temps et épuiser les mouvements, mais jamais pour concrétiser la moindre promesse. Face au front uni du gouvernement, il nous faut créer un front uni de l'enseignement à tous les niveaux : du primaire au supérieur, public et privé, enseignants, apprenants et personnel administratif et technique, main dans la main.

CIO-CI, en collaboration avec la CES (Conscience estudiantine et scolaire) et la plateforme Agir


Des revendications communes

Il est vrai que les revendications du public et du privé, des enseignants et des apprenants, ne sont pas les mêmes, et que le supérieur dépend d'un autre ministère que le reste de l'enseignement. Pourtant, au fond, tous ont la même revendication : l'argent du gouvernement. À tous, le gouvernement donne la même réponse : le déni, la répression, les arrestations, les passages à tabac, les promesses creuses, les mensonges, les insultes, les humiliations. Lorsque le gouvernement daigne donner une réponse argumentée, c'est toujours les mêmes éléments qui sont invoqués : trop de dépenses, caisses vides, dette de l'État, respect des engagements pris avec l'Uemoa ou les « bailleurs » ; et la « patience », toujours la « patience ».

Nous ne sommes pas face à un gouvernement « normal ». Il s'agit d'un régime d'un genre jamais vu dans ce pays d'excellence. Un régime de mythomanes invétérés, comme le ministre Bacongo qui jurait en aout 2013 (peu après son quasi lynchage en mai de la même année) que toutes les salles de TP avaient été équipées et que 1200 ordinateurs avaient été distribués aux étudiants. Un régime de jeteurs de poudre aux yeux, comme le président qui parle d'une université à San Pedro alors qu'on se demande toujours où est passée celle de Man. Un régime de voleurs qui prétend avoir déjà dépensé plus de 110 milliards dans la rénovation de l'université (soit deux fois le budget de l'opération Tchad-Niger-Cameroun contre Boko Haram ou encore cinq fois le bénéfice annuel de la banque SGBCI) et que par conséquent l'argent n'est plus là pour installer des toilettes dignes de ce nom sur le campus ou acheter des livres. Un régime hypocrite, qui jurait aux enseignants qu'aucune ponction n'allait être opérée sur leurs salaires d'avril 2013 pour fait de grève, alors qu'il l'a quand même fait.

C'est un régime complètement déconnecté de la réalité.

Pour obtenir quoi que ce soit d'un tel régime, on ne peut accepter de simples promesses et de lutter trois jours par-ci, trois jours par là. On ne peut plus considérer que l'ouverture d'un « dialogue » avec le pouvoir peut être une bonne chose, comme c'était le cas dans le passé. Comme c'est le cas dans d'autres pays comme en Belgique par exemple, le gouvernement qui nous a été imposé mène en réalité une véritable guerre contre sa population. Dans un tel cadre, les appels au « dialogue » ne peuvent être et ne sont rien de plus qu'autant de manœuvres pour gagner du temps, démobiliser, épuiser et contrattaquer – un jeu de dupes dans lequel les étudiants, les fonctionnaires, et par extension le peuple, sont les dindons de la farce.

Les syndicats doivent prendre conscience de cette nouvelle donne et développer non seulement des arguments politiques, mais aussi une stratégie adaptée à la tâche qui s'offre à nous.


Pas d'argent ?

L'argent est là ! La « pluie de milliards » dont parlait Alassane dans une de ses énièmes divagations n'attend que notre intervention pour se concrétiser. La Côte d'Ivoire est un pays riche de ressources naturelles et d'un important capital humain. De plus, de nouvelles ressources sont découvertes régulièrement et d'autres restent inexploitées, comme le secteur des mines, les vivriers, les fruitiers, l'élevage, l'industrie, les transports.

Pendant ce temps, le pays est tondu en permanence par des groupes étrangers qui s'accaparent les marchés et rendent désormais notre infrastructure payante. Comme si cela ne suffisait pas, nos dirigeants bouffent, bouffent, bouffent jusqu'à exploser, au vu et au su de tous : ils ne se cachent même plus !

La misère en Afrique porte trois noms : impérialisme, corruption et gaspillage, une trinité qui n'est que le triple visage d'une même réalité : le capitalisme.

Aujourd'hui, les étudiants anglais manifestent contre la hausse des frais d'inscription en occupant les siège du parti conservateur au pouvoir en 2010 ; les Québécois en 2012 manifestaient bruyamment la nuit dans la rue en tapant sur des casseroles tout en appelant la population à se joindre à eux ; les étudiants de Taïwan ont occupé le parlement national en 2013 ; les étudiants belges se sont positionnés à la tête de la marche nationale des syndicats de novembre 2014. La palme revient cependant aux étudiants du Chili qui, en 2011, ont réussi à convaincre les mineurs de se joindre à leur mouvement, avec pour revendication principale la nationalisation totale des mines pour assurer et l'emploi, et le financement de l'enseignement.

En effet, les étudiants en tant que couche n'ont aucun poids économique, c'est pourquoi pour que leur mouvement ait un impact sensible sur le gouvernement, ils se voient contraints d'aller chercher la seule force capable de faire plier tous les régimes : la classe ouvrière.


Qui a peur ?

Cependant, même si tout le monde a une critique à formuler envers le régime, ce qui retient la population aujourd'hui est la peur. Peur de la répression d'une part, peur d'être « catalogué politiquement » d'autre part. Et de manière général, peur de provoquer le chaos alors que le pays ne demande que la stabilité après dix longues années de crise.

Pourtant, ce régime est extrêmement faible et est lui-même paniqué. Il le démontre en intervenant de manière disproportionnée dès qu'il voit poindre le début d'un commencement de contestation. Pendant la crise des enlèvements d'enfants (voir notre article), le régime est resté sans réagir, jusqu'à ce que les mamans de Yopougon n'entament une marche. Sa première intervention a été de… disperser cette marche ! Ce n'est qu'après qu'on a commencé à reconnaitre officiellement dans les médias d'État que les enlèvements étaient un problème (même si on en a surtout profité pour critiquer le manque de responsabilité des familles et annoncer que les enlèvements étaient un signe « d'émergence »).

Ce gouvernement n'a aucune légitimité et son pouvoir repose uniquement sur la force armée. Une force armée qu'il ne contrôle d'ailleurs pas. Qui se souvient des grosses gouttes de sueur de HamBak à la RTI en décembre dernier ? C'est pourquoi il peut tomber très facilement, pour peu que nous adoptions une approche de la lutte qui tranche résolument avec les habitudes du passé.


Renouer avec des pratiques militantes pour construire un rapport de force

La Fesci a démontré cette semaine que sa force de mobilisation est entière malgré les manœuvres du régime pour la décrédibiliser et semer la zizanie en son sein. Depuis les nouvelles élections aux instances de la Fesci, la couche corrompue et « politicienne » regroupée autour d'Augustin Mian a été complètement écartée et de véritables étudiants ont pu reprendre la machine en main. Malgré le couac à la RTI en février qui avait soudain mis un terme au mouvement, sans doute le fruit de l'inexpérience, le BEN d'Afa a prouvé sa valeur et son désir de tisser des liens avec la sous-région. Il peut compter sur ses alliés de la Liges et sur la combativité de la Coeeci et d'autres syndicats et groupes comme la CES.

Des initiatives intéressantes voient le jour. Par exemple, à la Flash de Cocody, la nouvelle direction de Zorro le Renard a pris la décision d'organiser des assemblées hebdomadaires et d'entamer un cycle de formation dans lequel les camarades du CIO joueront un rôle de premier plan. Tout cela indique une nouvelle prise de conscience et une volonté de rompre avec les pratiques mafieuses et les guerres de positionnement.

Cependant, nous voyons que dans l'organisation du mouvement, de nombreuses erreurs ont été commises qui ont gravement nui à la portée de cette lutte.

Si une grève de trois jours a été correctement déclarée et bien suivie du lundi 23 au mercredi 25, on regrette un manque général de coordination et de communication entre organisations syndicales. Une fois le mouvement lancé, il semblerait que chacun ait cherché à se montrer plus radical que son voisin dans le cadre des éternelles guéguerres de positionnement entre syndicats. Chacun s'est donc retrouvé à planifier une action différente sans se concerter avec les autres. Pourtant, la CES, la Liges et la Fesci sont toutes trois regroupées dans la même plateforme Agir qui est censée coordonner les actions de la société civile.


Qu'aurait-il fallu faire ?

On voit que les étudiants et les élèves étaient prêts à lutter, que la grève était suivie à près de 80 % dans tout le pays, et même que le régime a laissé des élèves d'Adjamé marcher jusqu'à Riviera en délogeant chaque école sur leur passage. Cela montre que le potentiel était très présent pour mener de véritables actions.

Il aurait fallu organiser mercredi soir, au moment de la fin de la grève, une rencontre entre organisations syndicales pour faire un bilan de l'action, tirer des conclusions et décider de la suite des opérations. Ç'aurait également été l'occasion de lancer une conférence de presse. Ensuite, la journée de jeudi aurait pu servir à rassembler les étudiants sur le campus pour un grand meeting auquel on aurait pu voter le lancement d'une marche. On aurait même pu se donner un jour de plus pour prendre le temps de réaliser du matériel (bannière, pancartes, etc.) et de se mettre d'accord par rapport aux détails pratiques avant de lancer une marche vendredi à partir du campus, ou toute autre action.

Au lieu de ça, la Fesci, sans se concerter avec qui que ce soit, a décidé d'à nouveau déloger le campus jeudi matin. Les étudiants sont rentrés à la maison, le campus est resté vide, et avec le début des vacances de Pâques, la lutte a ainsi été enterrée.


Pour une stratégie gagnante !

Ce gouvernement ne pliera pas tant qu'on ne lui fait pas peur ! Ça ne sert à rien de lancer une grève où on reste à la maison. Kandia l'a bien dit : pour elle, les écoles et l'université peuvent rester fermées jusqu'à l'an prochain, elle s'en fout ! Cela ne la touche pas personnellement.

Les annonces de « sit-in » au Plateau ne servent à rien non plus, vu que dans ce cas les manifestants arrivent un par un et sont rapidement chassés dès qu'une vingtaine de personnes aura pu se rassembler. Toute nouvelle action doit partir du campus.

Que faut-il faire pour amener le mouvement plus loin ?

Différentes options s'ouvrent :
  • Une marche à partir du campus. Il peut s'agir d'un simple aller-retour jusqu'à l'Insaac avant de préparer de nouvelles actions, ou d'une marche plus longue. Cette marche devra se faire dans la discipline et avec le matériel approprié (bannières, etc.). Il y aura bien plus de chances de la réussir si l'on parvient à faire marcher des professeurs en toge à l'avant de la manifestation – il sera plus difficile pour le régime d'envoyer la police attaquer une telle marche. Les flics du régime adorent taper les étudiants, c'est leur plaisir et leur passe-temps favori ; mais oseront-ils frapper des professeurs d'université, l'élite de la nation ? À six mois des élections ?
  • Une série de marches convergentes à partir de différents points de la ville. Les élèves, étudiants et enseignants pourraient tous quitter les différentes écoles, collèges, lycées et campus pour marcher et se retrouver à un même endroit. À partir de là, un meeting pourrait être organisé au cours duquel on débattrait avec la masse de la suite des évènements.
  • Une occupation. Le campus pourrait servir de point de ralliement fortifié par des barricades et à partir duquel organiser diverses actions. Mais on pourrait tout aussi bien imaginer une occupation d'un carrefour important, d'une zone industrielle ou d'une institution.

Quelle que soit la piste choisie, cela ne peut se faire que si on laisse les étudiants se rassembler sur le campus au lieu de les en déloger à tout bout de champ. Aussi, cela ne peut se faire que si les différents syndicats acceptent de travailler main dans la main, en accord total, et fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour associer les professeurs du supérieur comme du secondaire à leur mouvement.

À partir de là, une véritable fronde pourrait être lancée. Vu le mécontentement de plus en plus général dans la société, un appel pourrait être lancé à partir du mouvement envers les médecins, les fonctionnaires, les policiers (menacés d'expulsion de leurs logements), etc. Des discours doivent être adoptés pour pouvoir s'adresser aux forces de l'ordre, y compris aux FRCI par des orateurs capables de leur parler en dioula pour leur expliquer les raisons du mouvement et leur démontrer en quoi ils ont été trahis par le régime. La plateforme Agir (et éventuellement, le FPI) a également un rôle à jouer dans la mobilisation de la population en soutien à cette lutte.

La société ivoirienne est mure pour une chute du régime RHDP, mais il reste à concrétiser ce potentiel en actes et par une véritable stratégie.

  • Pour une lutte commune de tous les acteurs de l'enseignement, du primaire au supérieur, public comme privé ! Enseignants, apprenants, personnel administratif, parents, main dans la main !
  • Pour un enseignement gratuit, de qualité et accessible à tous, partout en Côte d'Ivoire !
  • Pour la (re)nationalisation des secteurs stratégiques de l'économie, sous contrôle populaire, afin d'assurer le financement et le développement harmonieux du pays !
  • Pour la chute de Ouattara et de son régime malade ! Pour l'égalité, la justice, la paix et la démocratie populaire !




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