mardi 19 août 2014

Afrique : Ebola déclaré crise d'ampleur mondiale

Entre épidémie, psychose et business


L'épidémie d'Ebola est en train de s'étendre à toute l'Afrique de l'Ouest. Partie de Guinée-Conakry, elle touche à présent le Sierra Leone, le Liberia et a déjà fait des victimes au Nigeria. Des rumeurs non confirmées font état de cas en Côte d'Ivoire. Ce qui est sûr, c'est que vu l'ampleur qu'a pris cette épidémie, ce n'est qu'une question de temps avant qu'elle ne soit confirmée dans notre pays. Quoiqu'il en soit, cela suscite déjà une véritable crise qui se traduit d'une part par une réaction de panique de la part des populations, d'autre part par un profond questionnement sur la nature de cette maladie et de cette épidémie.

Dans cet article, nous allons expliquer plus en détail d'où vient cette maladie, mais surtout expliquer en quoi l'épidémie est aggravée par le système capitaliste qui une fois de plus révèle son caractère destructeur.

Mais avant d'entrer dans le sujet, nous voudrions tout d'abord exprimer au nom du CIO nos sincères condoléances avec toutes les victimes de cette maladie et à tous ceux et celles qui continueront à souffrir des conséquences de l'épidémie après qu'elle soit passée.

Article par Jules Konan, CIO-CI

Ebola c'est quoi ?

L'Ebola est un virus provoquant une fièvre hémorragique (c'est-à-dire, sanglante) meurtrière. Il doit son nom au fait que la première épidémie déclarée de cette maladie s'est produite au Congo (alors Zaïre) en 1976, dans un village près de la rivière Ebola. Les premiers symptômes de la maladie sont très semblables à ceux du palu : mal de tête, gorge irritée, fièvre, tremblement, diarrhée, douleurs aux articulations… Après 4 5 jours, surviennent les symptômes hémorragiques proprement dit : l'individu commence à manifester des éruptions cutanées, puis à vomir et pisser du sang ; du sang lui coule du nez, des gencives, des yeux, de l'anus… La personne meurt le plus souvent de déshydratation (perte d'eau intense causée par les saignements) après une ou deux semaines.

Ce virus se transmet uniquement par les fluides vitaux : sang, salive, sueur, sperme, urine… Les personnes guéries ou décédées demeurent contagieuses jusqu'à deux mois après la guérison ou le décès. La maladie par contre n'est normalement pas contagieuse par l'air. En outre, comme ce virus a la particularité de tuer très vite, il n'a habituellement pas le temps de se propager très rapidement et très loin. La plupart des épidémies sont jusqu'ici restées isolées à quelques villages, touchant 100-200 personnes (en tuant la majorité d'entre elles) avant de disparaitre. Entre deux épidémies, le virus vit vraisemblablement “caché” dans le corps d'animaux en brousse qui eux-mêmes ne sont pas affectés (un peu comme le palu et le moustique) ; on soupçonne les chauve-souris, mais aussi certains singes, les porc-épics, gazelles… La maladie en effet survient toujours en région forestière, jamais dans les savanes.
C'est donc bel et bien ici la toute première fois que l'on a affaire à une épidémie de pareille ampleur – qui parvient à s'étendre à toute une région puis à des pays entiers (et la toute première fois que cette maladie se déclare en Afrique de l'Ouest et non en Afrique centrale). Jusqu'ici, la flambée d'Ebola la plus grave avait été celle de 1976 au Zaïre, qui avait fait 280 victimes, avec une mortalité de 90 %. 

De fait, la variété de virus qui sévit en ce moment n'a une mortalité “que” de 60 %, ce qui laisse sans doute plus de possibilités aux victimes pour transmettre la maladie à d'autres personnes. Avec plus de 1000 personnes tuées dans quatre pays lors des 5 derniers mois (mais 500 rien que dans le dernier mois, vu que le nombre de morts et de cas est en accélération – à noter qu'il s'agit uniquement du nombre de cas rapportés ; encore plus de gens sont sans doute morts en brousse sans que personne ne l'apprenne), l'OMS a déclaré cette crise comme étant d'“intérêt mondial”.


Les remèdes ?

Le plus gros problème de cette maladie est qu'il n'y existe en ce moment aucun remède connu, aucun vaccin, aucun médicament. Comme il s'agissait jusqu'ici d'une maladie ne touchant que quelques centaines de personnes par an dans des régions isolées et dans des pays pauvres, les entreprises pharmaceutiques (pour la plupart privées et entre les mains de capitalistes occidentaux) préfèrent concentrer leurs recherches sur des maladies à profits garantis, comme le cancer, la grippe ou l'obésité. De leur côté, les laboratoires africains sont sous-équipés et les meilleurs chercheurs sont partis depuis bien longtemps servir de manœuvres dans les hôpitaux américains ou européens. Le manque d'un remède ne vient donc pas du fait que cette maladie est le fruit d'une “conspiration” ou d'un “châtiment divin”, mais est tout bonnement le fruit des contradictions du système capitaliste pour lequel seul comptent les profits immédiats.

Pour les victimes donc, le seul espoir aujourd'hui est de recevoir des soins intensifs de la part des équipes médicales, soins qui ne servent pas à tuer la maladie (vu qu'il n'aucun remède n'existe encore), mais à aider le patient à survivre aux effets de la maladie (notamment en lui faisant boire ou en lui injectant beaucoup d'eau afin de lutter contre la déshydratation causée par la perte de sang), en attendant que la maladie passe d'elle-même. Pour les malades en phase terminale par contre, la seule aide que l'on peut apporter est une série d'antidouleurs et de calmants pour faciliter le décès de la personne.

Un aspect très important du travail des équipes de secours est l'isolement des malades afin de protéger leurs proches. Cela inclut non seulement la mise en place et le respect de mesures de protection très strictes, mais aussi de nourrir tous ces malades (dans des conditions souvent difficiles), les laver, etc. mais aussi leur tenir compagnie vu qu'ils se retrouvent seuls dans une sorte de cage, ce qui ne fait qu'aggraver l'impact psychologique pour des personnes qui voient déjà la mort arriver. De plus, comme aucun fluide provenant de ces malades ne peut quitter la zone de quarantaine, des procédures spécifiques doivent également être suivies en ce qui concerne les objets touchés par ces malades : la vaisselle, les serviettes, les nattes, etc. doivent être brulées après usage.

Le travail des équipes de soins est loin d'être facile, d'autant que comme les docteurs et infirmiers sont en contact permanent avec les malades, la moindre erreur dans le suivi des procédures peut s'avérer rapidement fatale. En Guinée, des docteurs ont même fait grève à un moment car ils ne bénéficiaient pas d'un équipement adéquat leur permettant de s'approcher des malades sans être eux-mêmes contaminés.

Des ONG très bien équipées et au personnel spécialement formé, comme Médecins sans frontières, sont arrivées sur le terrain. S'il faut saluer le travail de ces personnes, véritables héros – dont les exploits et le sacrifice sont comparables à ceux effectués par les sauveteurs de Tchernobyl –, il est évidemment à regretter que les effectifs et moyens déployés restent insuffisants, et qu'une fois de plus, les pays africains dépendent d'une aide extérieure pour faire face à une crise à laquelle ses pays n'étaient pas préparés.

Et les églises et mosquées n'ont jamais été aussi remplies…


Prévention

La seule solution pour arrêter l'épidémie est de l'empêcher de s'étendre en la contenant. Comme la maladie se transmet par le contact physique avec des liquides corporels, des mesures de sécurité sont recommandées comme par exemple le fait de ne pas se serrer la main ni s'embrasser, et d'éviter tout contact physique de manière générale. C'est ici l'occasion de saluer le comportement responsable de pasteurs qui recommandent à leurs fidèles de suivre une procédure alternative lors du traditionnel geste de paix lors de la messe (ne pas se serrer la main mais simplement se sourire, etc.). N'oublions pas non plus de nous laver les mains avec du savon aussi souvent que possible !

Toute personne s'approchant d'un malade ou d'un individu suspect doit impérativement porter un équipement spécialisé : masque, lunettes, gants, chemise en plastique, pantalon, bottes… Qui seront désinfectés après utilisation et ne quitteront pas la zone de quarantaine.

Évidemment, ces conseils sont faciles à donner, mais beaucoup moins à respecter. Il est estimé que la distance de sécurité à respecter par rapport aux personnes suspectes est de un mètre. Si on peut éviter de se serrer la main à l'église, il est tout de même difficile de ne pas être touchée par la sueur ou les postillons d'une personne potentiellement contaminée lorsqu'on monte dans le gbaka ou le woro-woro (surtout pendant les embouteillages dans la chaleur). De même, on dit de se laver les mains régulièrement, mais que faire pour les personnes qui vivent en brousse ou pour tous ces habitants des quartiers pauvres d'Abidjan où les coupures d'eau sont si fréquentes ?

On dit aussi qu'il faut disposer de manière sécurisée des corps des malades décédés. En effet, on estime que 80 % des cas de contamination sont dues au fait d'avoir touché le corps d'une personne décédée de la maladie. L'évacuation sécurisée des corps des malades va cependant à l'encontre de nombreuses traditions, selon lesquelles le corps du mort doit non seulement être ramené au village et non enterré ou incinéré à l'hôpital comme il est recommandé, mais en plus être exposé pendant un certain temps pour que ses proches puissent se recueillir auprès de lui ; dans certains pays, il est même de tradition de danser avec le corps à travers le village. Les équipes médicales ont parfois du mal à convaincre les habitants de les laisser enterrer, voire incinérer les corps, aussi rapidement que possible après le décès. 

Les effets personnels (vêtements, etc.) des victimes doivent également être brulés, les cercueils désinfectés… Tout cela est très dur à accepter pour beaucoup de familles, et cela a dans certains cas même mené à des attaques de la part de la population sur les équipes de secours. Il faut pourtant bien comprendre que dans certains cas, la tradition doit être mise de côté afin d'éviter la mort de toute une famille ou de tout un village. Mais les moyens manquent aussi souvent pour transmettre le message et faire comprendre aux populations qu'il s'agit d'une question de vie ou de mort. Dans certains cas aussi, c'est la pauvreté qui pousse les proches à tenter malgré les avertissements de se saisir d'une chemise ou des bijoux de leur parent décédé – ainsi on voit que la misère endémique, fruit du système capitaliste, aide la maladie à se propager.

Il faut contenir les foyers d'épidémie autant que possible. Cela signifie bloquer les accès aux villages touchés, bloquer les frontières des pays touchés (y compris au niveau des aéroports), et effectuer des tests médicaux sur chaque personne désirant passer. Ces mesures doivent être prises de la manière la plus humaine possible, mais ferme et sans exception aucune. Par exemple, au Nigeria, les autorités non seulement ont laissé rentrer des personnes infectées du Liberia alors qu'elles avaient déclaré la fermeture totale des frontières, mais en plus ont autorisé une des infirmières infectées par le virus à rester à domicile plutôt qu'à l'hôpital. Cette dame a depuis pris la fuite pour se réfugier dans son village, et a peut-être infecté des dizaines d'autres personnes en cours de route. On n'ose imaginer les conséquences qu'aurait l'épidémie si elle survenait à Lagos…

Quelques symptômes d'Ebola


Une maladie de pauvres ?

Si aucun remède n'existe contre Ebola, on remarque que comme pour d'autres maladies comme le choléra, etc., certaines personnes résistent mieux que d'autres. Des personnes ayant une alimentation variée et contenant assez de vitamines ont plus de chances que d'autres de s'en sortir. C'est pourquoi il est recommandé de manger autant de légumes et fruits que possible, en prenant en compte aussi le miel, les noix, les œufs, etc. Mais évidemment, les “régimes miracles et naturels” promus par de nombreuses personnes sur internet sont loin d'être pratiques et à la portée de la plupart des bourses, en particulier dans les campagnes africaines où certains produits sont carrément impossibles à trouver.

Cette crise a une fois de plus mis en relief le sous-développement des pays africains, causé par l'influence délétère de l'impérialisme et la corruption sans borne des élites locales qui en est la conséquence, qui ne fait qu'aggraver la crise. Le manque d'infrastructures pour les soins ou la protection des populations (le CHU de Treichville à Abidjan ne dispose par exemple pas de zone de quarantaine), la faiblesse des moyens de communication et le manque d'instruction de la population qui rendent plus difficile la transmission des messages de prévention, la pauvreté et le manque de structures d'accompagnement qui poussent certaines personnes à tenter d'aller travailler ou voyager malgré la maladie parce qu'elles n'ont pas le choix pour pouvoir gagner de quoi manger…

C'est notamment le cas dans l'Ouest ivoirien, où de nombreuses personnes viennent tout de même du Liberia ou de Guinée commercer sur les marchés ivoiriens, faute d'autres ressources ; tandis que des Ivoiriens continuent eux aussi à tenter de se rendre pour commercer dans ces pays, ne sachant si on les laissera revenir chez eux. 

De même, comme la maladie peut se transmettre par voie animale, notamment par la faune sauvage, il est recommandé de ne pas toucher ni consommer aucune viande de brousse tant que l'épidémie est présente. Pourtant, on dénonce le fait que des braconniers continuent leurs activités de chasse et de vente de viande de brousse malgré l'interdiction, et tentent de convaincre les habitants d'acheter leur gibier en dépit des risques.

En outre, la crise profite aux églises et mosquées, mais aussi à de nombreux charlatans, faux pasteurs et soi disant marabouts qui prétendent guérir ou protéger d'Ebola par des “médicaments” connus d'eux seuls et moyennant un fort prix. Encore une fois, la crise est aggravée par l'ignorance et la misère qui pousse les gens à adopter des comportements dangereux pour eux et pour leur entourage.

Il n'est donc pas étonnant de voir que les pays les plus touchés sont des pays qui souffrent depuis des années d'une grande instabilité, de guerres civiles, de conflits ethniques et coups d'État à répétition, et où l'économie est sous développée et les ressources naturelles mal utilisées : Guinée, Liberia, Sierra Leone. L'épidémie qui s'est déclarée dans ces pays vient s'ajouter à la longue liste des souffrances de leur population, souffrances dont la cause est également à aller chercher du côté du système qui entretient les divisions et aide des criminels à se maintenir au pouvoir.

Par ailleurs, il convient aussi de souligner le fait que ces pays qui vivaient depuis des années à l'écart de toute aide étrangère, se retrouvent tout à coup au centre de l'attention et reçoivent des centaines de millions d'euros dans le cadre de la lutte contre l'épidémie, alors que ces pays ne disposent de toute façons pas de l'infrastructure ni du personnel adéquat pour y faire face. En plus, vu la déficience des institutions étatiques et le caractère d'urgence, il ne fait aucun doute qu'une grande partie de cet argent sera facilement détourné à d'autres fins par les cadres de ces États.

Certaines personnes se laissent emporter par la psychose

Impact économique et social

Comme les frontières sont bloquées, qu'il y a des barrages partout, et que certains villages sont encerclés par l'armée qui tire à vue, le commerce s'est arrêté dans de nombreux endroits. Certaines personnes n'ont également même plus accès à leur champ. C'est pourquoi le prix des denrées alimentaires est en train de flamber à Conakry ou même à Bissao. Les villages et régions concernées de leur côté ne reçoivent plus d'essence ou autres produits de première nécessité leur venant des villes. Au Bénin, des rumeurs selon lesquelles l'oignon protègerait de la maladie, ont fait grimper le prix de ce légume à des hauteurs inimaginables.

Puisque la circulation des avions s'est également littéralement interrompue, de nombreux projets de développement ou entreprises sont à l'arrêt vu le rapatriement du personnel ou l'absence prolongée de cadres étrangers. Les États de plusieurs pays ont d'ores et déjà annoncé revoir leurs chiffres de croissance à la baisse. C'est aussi de nombreuses familles qui se retrouvent séparées par la fermeture des frontières.

De manière plus anecdotique, de nombreuses équipes sportives ont également été privées de tournée à l'étranger : l'équipe américaine de basketball par exemple a décidé de ne pas se rendre au Sénégal de peur du virus. D'autres sportifs d'Afrique de l'Ouest ont été privés d'accès aux Jeux olympiques de la jeunesse de Nankin en Chine. Ailleurs, ce sont les réfugiés pro-Gbagbo au Liberia qui cherchent maintenant à revenir en Côte d'Ivoire coute que coute, et qui sont à présent confrontés au refus du gouvernement, alors que celui-ci les invitait encore à rentrer il y a quelques mois, ce que eux refusaient de faire.

Les dégâts psychologiques seront par contre dans de nombreux cas irréparables. Des reportages font état de familles entières emmurées vivantes par leurs voisins : si le père a contracté la maladie, on soupçonne tout de suite l'ensemble de la famille, et la mère, la fille, le fils sont enfermés dans leur maison et bloqués dedans. Les habitants attendent ensuite, les larmes aux yeux, que l'ensemble des occupants de la maison soient morts de la maladie ou de faim, restant sourds aux appels à l'aide qui viennent de l'intérieur pendant plusieurs jours, puis cessent… D'autres personnes ou familles soupçonnées d'être porteuses du virus, pour éviter pareil sort, courent se réfugier dans la forêt et tentent d'y survivre en mangeant des plantes sauvages ou en volant sur les champs de leurs voisins. Certains villages sont bloqués par l'armée. Lorsque les habitants tentent de les quitter, on leur tire dessus à vue, sans même aucun avertissement.

Certains malades aussi refusent d'admettre qu'ils sont touchés d'Ebola, et cherchent à convaincre leur entourage, voire les médecins, qu'ils ne souffrent que d'un petit palu. Cela soit pour des raisons psychologiques (le fameux « Ça ne peut arriver qu'aux autres »), soit parce qu'ils espèrent cacher leur maladie de peur de voir leur famille et leurs proches se faire maltraiter comme d'autres avant eux. Si les États disposaient de moyens suffisants pour traiter et isoler les malades, ce genre de choses n'arriveraient pourtant pas.

Le personnel soignant est lui aussi rejeté par son entourage, chassé par sa famille, vu qu'il a le plus de chances de contracter la maladie. C'est un véritable sacrifice qui est demandé aux infirmiers et docteurs. Pour les encourager à accepter ce choix, dans certains cas, le personnel soignant voit tout d'un coup son salaire passer à 100 € par jour au lieu de 100 € par mois ! Et parfois, cela crée des jalousies et des rumeurs parmi les populations qui pensent que ces gens viennent profiter de leurs souffrances.

Même les survivants continuent de souffrir, sont rejetés par leur entourage, quand bien même ils portent un certificat garantissant qu'ils ne sont plus porteurs du virus. Et ces personnes se souviendront sans doute toute leur vie de ces jours passés avec la maladie, la mort en face, sans aucun autre espoir autre qu'un miracle… Et que dire de ces enfants qui sont seuls survivants de toute leur famille, de ces quelques habitants survivants dans un village dont tous leurs voisins sont décédés ?

Les périodes de psychose comme celle-ci aussi, comme à chaque fois, sont aussi le moment où éclatent les jalousies, où une personne en accuse une autre d'être malade dans son seul intérêt personnel. De nombreux “innocents” meurent ainsi abandonnés par leurs proches.

De nombreuses rancœurs subsisteront longtemps après la crise. Des personnes fragilisées, des familles dévastées, des haines, des maisons vides et des villages fantômes, des soldats et des médecins dont les nuits resteront à jamais peuplées de cauchemars… L'épidémie est dans une certaine mesure pire qu'une guerre, car l'ennemi est invisible et il est impossible de parlementer avec lui.

Une fois que l'épidémie sera passée, de nombreuses personnes ayant perdu leurs proches vivront dans une pauvreté et un désespoir pires encore que ce qu'ils avaient connus auparavant. Cela signifie que la Guinée plongera encore un peu plus dans son état de sous-développement et de barbarie latente, tandis que le flot de réfugiés vers les pays “riches” comme la Côte d'Ivoire continuera à s'accroitre.

Les moyens manquent gravement en milieu rural pour éviter la propagation
de l'épidémie : ignorance des populations, pas d'accès à l'eau ou
aux désinfectants, conditions insalubres…

La situation en Côte d'Ivoire

La Côte d'Ivoire semble aujourd'hui encore épargnée par l'épidémie, en raison notamment du contrôle des frontières par l'armée, de la fermeture des marchés dans les villages de la frontière avec le Liberia, etc. Une quarantaine de cas suspects ont été identifiés, mais aucun n'a été confirmé comme porteur du virus, même si des rumeurs persistantes font état de victimes dans le nord du pays. Si l'épidémie se déclarait en Côte d'Ivoire, ce serait extrêmement grave, vu que le pays n'est clairement pas prêt non plus à affronter ce défi en termes d'équipement, de moyens ou de personnel. Toute la sous région est menacée, il n'y pas lieu de croire qu'un pays sera a priori épargné plutôt qu'un autre.

Mais on comprend bien que si un ou plusieurs cas d'Ebola venaient à être déclarés en Côte d'Ivoire, le gouvernement ivoirien pourrait être tenté de tout faire pour ne pas que ça se sache, afin d'éviter les nombreuses conséquences économiques et diplomatiques que cela pourrait avoir. Par exemple, malgré le fait que seul quelques cas aient été déclarés au Nigeria, la France recommande désormais déjà à tous ses ressortissants d'éviter ce pays coute que coute. Imaginez ce qui se passerait en Côte d'Ivoire !

En plus, si le gouvernement ivoirien parvenait à se sortir de cette crise en affirmant qu'aucun malade ne s'est déclaré dans le pays, cela augmenterait grandement l'image de Ouattara et de son équipe aux yeux de la population, notamment par rapport à son électorat traditionnel et par rapport aux personnes qui aujourd'hui regrettent d'avoir voté pour lui. Mais ce serait un jeu extrêmement dangereux, parce que le fait de taire la présence de la maladie plutôt que d'y répondre tout de suite risquerait de la voir se propager à tout le pays avant que le gouvernement ne se voie finalement contraint de réagir. Encore une fois, la crise risque de s'aggraver du fait des jeux d'argent et des calculs politiciens inhérents à ce système.

La crainte est également de voir se renforcer le chauvinisme ivoirien, c'est-à-dire le mépris affiché par de nombreux Ivoiriens envers les ressortissants des pays voisins. Il faut pourtant bien comprendre que si nos frères et sœurs guinéens, libériens ou sierra-léonais se retrouvent dans pareille situation, c'est parce qu'ils sont eux aussi des victimes du même capitalisme, du même impérialisme (qui n'est qu'une extension du capitalisme) que nous autres qui connaissons la crise depuis vingt ans, victimes de ce même impérialisme qui aujourd'hui encore fait et défait les gouvernements, pille les richesses et crée la misère dans notre pays et dans les pays voisins.

Le gouvernement ivoirien se prépare à la très probable entrée du virus
sur son territoire

Une conspiration ?

De nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer le fait que cette maladie serait une invention de l'Occident pour décimer la population africaine. Il convient cependant de relativiser quelque peu. Rappelons tout de même que Ebola, depuis son apparition en 1976, n'a jamais tué au total que 2500 personnes (1000 cette année, 1500 au total auparavant), alors que le paludisme continue à tuer chaque année 660 000 Africains sans que personne ne crie au scandale – c'est-à-dire que si Ebola a tué 1000 personnes au cours des six derniers mois, on peut aussi supposer que 330 000 personnes sont déjà mortes du palu au cours de la même période. Pourtant, aucune psychose et tout le monde trouve ça normal. C'est sans compter aussi les accidents de la route, la faim et les violences…

Ebola est une maladie très grave et qui effraie de part son caractère impressionnant et son haut taux de mortalité. Cependant, il faut bien se rendre compte que ce n'est pas la maladie la plus mortelle au monde, et que l'épidémie pourrait être facilement contenue si seulement nos pays étaient développés comme il se doit, si la population était éduquée et bien nourrie, si du personnel était disponible sur place… 

Ebola n'a donc pas été inoculée à la population africaine dans le but exprès d'exterminer cette population ou de nuire aux pays concernés (qui voudrait nuire au Liberia ??). Il a été avancé que cette épidémie est le fruit de tests militaires par certaines puissances qui désireraient voir quel effet cette maladie pourrait avoir si elle était employée comme arme de guerre. Cela est possible, même si l'hypothèse d'une origine naturelle nous semble tout de même plus probable. Si l'épidémie était le fruit d'une machination, cela ne devrait que nous renforcer dans notre conviction d'en finir avec ce système. Mais quoiqu'il en soit, nous n'avons pas besoin de contes de fées pour regarder en face l'horreur du système capitaliste : la réalité est sans doute beaucoup plus terre à terre, mais elle n'est que le fruit logique du fonctionnement de ce système.



D'autres évènements sont à déplorer : à Monrovia, après l'attaque d'un centre de soins par des bandits qui ont fait sortir les malades et emporté les couvertures infectées et souillées de sang malade. Il semblerait que les bandits aient été motivés par la croyance qu'Ebola n'existe pas mais est une invention du gouvernement qui désirerait s'en servir à des fins politiciennes. Du coup, on est en train d'envisager de bloquer tout le quartier de West Point, qui compte 75 000 habitants. La mobilisation des jeunes du quartier par leur association n'a pas permis de retrouver les 17 malades enfuis, et on craint qu'ils soient partis se cacher ailleurs en ville, risquant une nouvelle vague de contaminations.

D'autres pensent que tout cela ne serait qu'une machination pour inoculer de force aux Africains un sérum expérimental à l'effet non prouvé et qui pourrait avoir des effets secondaires inconnus. Il s'agit en fait bel et bien d'un médicament expérimental, mais qui a déjà prouvé son efficacité après avoir guéri plusieurs malades de nationalité américaine – sans savoir quelles seront les conséquences que ce “médicament” pourrait avoir sur leur santé par après. Mais face à cela, d'autres personnes haussent le ton en disant que « Ces personnes ont été soignées uniquement parce qu'elles sont blanches, alors qu'un médicament existe, les États-Unis préfèrent le garder pour leurs propres ressortissants et laisser mourir les Africains » – nous avons donc ici deux théories conspirationnistes qui se contredisent l'une l'autre !

Vu la souffrance quotidienne et l'inégalité et l'injustice qui caractérisent l'existence des millions d'Africains, vu le manque d'éducation et de culture générale aussi pour beaucoup de gens, il est compréhensible que certaines personnes commencent à tout mélanger et à se croire victimes d'un complot téléguidés par des sectes sataniques à l'étranger. Il faut cependant savoir se pencher sobrement sur les faits et faire la part des choses : oui, ça va mal, mais non, tout ce qui arrive n'est pas le fait d'une machination ou d'un complot. Et ce n'est pas non plus parce que quelqu'un tire profit d'une situation, qu'il a forcément provoqué cette situation.

D'ailleurs, ce “masochisme” africain est aussi lié à l'illusion qu'en Europe, tout va mieux, et que seuls les Africains sont laissés pour compte : pourtant, il a été récemment révélé que même des pays comme le Royaume-Uni ou la Belgique ne possèdent quasiment aucune structure pour l'accueil et la quarantaine des malades – une capacité de quelques dizaines de personnes au grand maximum ! S'il est vrai qu'au jeu de la crise du capitalisme, l'Afrique a quelques longueurs d'avance, cela ne veut pas dire que la crise ne touche pas les pays européens, loin de là ! Ce n'est pas pour rien que des enfants s'évanouissent de faim dans les écoles en Grèce, que 3000 jeunes Irlandais quittent leur pays chaque mois, ou que toute la presse belge parle en ce moment de l'apparition des délestages électriques.

Comme nous l'avons déjà dit plus haut, en tant que marxistes, nous comprenons que la réalité du système capitaliste est beaucoup plus prosaïque, ce qui n'enlève pourtant rien au fait qu'il s'agit d'un système horrible dont nous devons nous sortir à tout prix. Le “conspirationnisme” est une tendance extrêmement dangereuse et sournoise, que les militants anti-impérialistes et anti-capitalistes doivent éviter à tout prix. Mais nous reviendrons sur ce thème dans un article futur.

Exemple typique de réaction absurde face à l'épidémie

Dénoncer ce qui doit l'être

Tout comme nos camarades du Mouvement socialiste démocratique au Nigeria, nous ne pensons pas qu'il n'existe « aucun remède » à Ebola. Qui cherche trouve ! Cette maladie a longtemps été négligée par les grands laboratoires de recherche car pour eux, seul compte le profit. On préfère se concentrer sur maladie de riche que maladie de pauvre. C'est pour la même raison que la recherche traine aussi par rapport au palu, au choléra, etc. Il faut également dénoncer le fait que pratiquement aucune recherche indépendante n'est accomplie en Afrique même, faute de moyens, d'équipement et de personnel – de ce fait, nous restons dépendants de la recherche occidentale. Équipons-nous, finançons notre recherche, on va trouver et on va soigner !

En attendant, si le seul remède potentiel est le fameux sérum Zmapp, il faut bien se rendre compte que nous n'avons pas le choix, vu l'urgence de la situation, que de tenter cette solution de rechange en attendant mieux. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas continuer à dénoncer le manque de clairvoyance et l'irresponsabilité de tous les dirigeants capitalistes et acteurs du secteur pharmaceutique, pour qui tant qu'un problème ne s'est pas mué en une crise d'ampleur sous-régionale ou mondiale, il n'existe pas !

Il faut dénoncer également le sous-développement et la pauvreté qui aggravent l'épidémie et facilite sa propagation, par l'adoption de comportements à risques. Quand des gens sont prêts à mourir d'Ebola plutôt que de voir bruler la chemise de leur frère, il est clair que ça ne va pas. Il faut dénoncer aussi tous ceux qui sèment des mensonges en cherchant à maintenir leur réputation où à tirer un profit personnel.

Mais au-delà de ça, ce qui revient à dénoncer, c'est une fois de plus, le capitalisme en tant que système pour qui seul compte le profit, qui remet les problèmes à plus tard, crée le chaos, pousse les gouvernements à sans cesse dire que “tout va bien” et mentir à la population, et dont le mode de fonctionnement gâte la population à sa racine et la pousse à la malhonnêteté et à des actes désespérés afin de survivre.

C'est pourquoi, malgré les nombreuses menaces qui pèsent sur nous, suivons l'ensemble des recommandations sanitaires pour éviter la contamination – nous appelons d'ailleurs à ce titre la Cici à organiser des comités populaires de sensibilisation dans les quartiers et à l'intérieur du pays pour ne pas que cette activité reste le monopole des chefs religieux, des politiciens bourgeois et des ONG occidentales…

…Mais surtout, continuons aussi à nous organiser et à lutter pour la reconstruction d'un puissant mouvement prolétaire qui chassera tous ces vautours qui jouent avec nos vies et avec notre santé – un mouvement populaire qui reprendra le contrôle de la société en vue de sa reconstruction totale sur des bases socialistes : une société débarrassée de la misère, de l'ignorance, de la recherche de profits et de l'insalubrité, afin que de telles crises ne puissent plus jamais se reproduire dans le futur ! C'est cet objectif que vise le CIO en Côte d'Ivoire, en Afrique et dans le reste du monde !

Pour les compagnies pharmaceutiques, c'est la course au remède.
Une véritable aubaine, sachant que 1) celui qui trouvera le médicament gagnera
beaucoup d'argent ; 2)  pas besoin d'effectuer de tests de laboratoire,
la population africaine servira de cobaye !


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