dimanche 13 avril 2014

Théorie : Histoire marxiste 3 : les sociétés esclavagistes

Grèce antique et Empire romain



Dans ce troisième article sur l'histoire des différentes sociétés qui se sont succédé jusqu'à nos jours, nous examinons la nature et la base sociale des sociétés qui ont constitué les premières véritables civilisations du continent européen, généralement considérées comment étant à la base de toute la civilisation dite “occidentale” en ce qui concerne la pensée, la philosophie, la religion, la science et le système politique. C'est-à-dire la Grèce antique et l'Empire romain – sociétés esclavagistes à grande échelle.

(Voir ici nos autres articles sur l'histoire des différentes sociétés telle qu'envisagée par les marxistes)

Spécificité de l'histoire européenne

Les sociétés esclavagistes telles que celles que nous allons écrire semblent avoir été un phénomène essentiellement européen. Certes, l'esclavage n'est pas en soi un phénomène purement européen, mais dans les sociétés que nous appelons “sociétés esclavagistes”, les esclaves jouaient un rôle prépondérant dans la production, constituant dans bien des cas la majorité de la population. On estime ainsi qu'à Athènes dans la Grèce antique, vivaient en l'an -432 environ trois esclaves pour chaque citoyen libre (sans compter les femmes et enfants de ces citoyens) : c'est-à-dire que les esclaves formaient une très grande partie de la population, que des quartiers entiers de la ville étaient occupés par des familles d'esclaves, etc.

Au contraire, avant cela et dans la plupart des sociétés en-dehors d'Europe (que ce soit en Afrique, en Asie ou en Amérique avant les invasions européennes), les esclaves ne jouaient un rôle que marginal : ils étaient employés comme domestiques, ou bien uniquement pour des travaux particulièrement pénibles comme les mines, les galères (rameurs), etc. Des personnes étaient réduites en esclavage pour non-paiement de dettes, après avoir commis un crime, ou bien en tant que prisonniers de guerre, mais le gros de la production agricole, artisanale, même le travail dans les grands bâtiments comme les pyramides d'Égypte, était accompli par des hommes libres (dans les limites de liberté que leur imposaient la domination des castes de guerriers, prêtres, et de bureaucrates, évidemment, qui variaient au fil des époques et des pays).

Les rameurs (esclaves ou condamnés) étaient très importants
 pour la propulsion des navires qui assuraient le commerce et
les transports à travers 
toute la Méditerranée
Au cours de l'histoire aussi, on a vu apparaitre des sociétés esclavagistes à la périphérie, en marge de la société capitaliste naissante (plantations d'Amérique, sociétés esclavagistes du Fouta Djallon, du Dahomey, etc.). Mais l'esclavage ne s'est pas développé dans ces pays de manière autonome et ne conditionnait pas la lutte des classes et l'avenir de ces sociétés : il s'agissait plutôt d'une extension du système capitaliste mondial à ses débuts. En particulier en ce qui concerne les sociétés “esclavagistes” africaines, il s'agissait de sociétés dont l'économie était basée sur la capture et la vente d'esclaves pour acheter des produits européens, plutôt que d'économies dotées d'une base productive forte, opérée par des esclaves. C'est-à-dire que l'esclave y était une marchandise et non un facteur de production.

Mais dans les sociétés purement esclavagistes comme celle de la Grèce antique ou de l'Empire romain, la majeure partie du travail, de la production, y compris dans les champs, dans les ateliers, dans l'administration même, est réalisée par des esclaves, au point que, dans le cas de l'Empire romain notamment, la société a besoin d'un apport constant de nouveaux esclaves afin de faire fonctionner son économie, d'où l'orientation particulièrement guerrière de cette société. Les esclaves y constituaient une classe sociale opposée à celle des maitres d'esclaves (petits et grands), qui considéraient tout travail comme honteux et étaient censés ne s'occuper que d'activités intellectuelles (art, philosophie, science) ou guerrières.

Les sociétés de « chasseurs d'esclaves » qui sont apparues en Afrique à partir
du 16ème siècle diffèrent des sociétés esclavagistes de l'antiquité européenne
en ce que 
les esclaves y étaient une marchandise à destination du marché
capitaliste en Amérique, et non un facteur de production

Bref, on le voit, les premières pages de la “glorieuse” histoire européenne ont été écrites à travers le sang de milliers d'esclaves.

Penchons-nous à présent un peu plus en détail sur l'histoire de ces sociétés, puis sur la manière dont ces sociétés fonctionnaient.


Esclaves travaillant dans une mine de charbon

L'histoire des sociétés esclavagistes de l'antiquité européenne

La Grèce antique n'a jamais été véritablement un pays unifié, mais plutôt une civilisation composée de cités-États indépendantes mais partageant une culture commune, situées dans les actuelles Grèce et Turquie. Certaines de ces cités étaient dirigées par des clans guerriers (Sparte), d'autres étaient célèbres pour leurs artistes et philosophes (Athènes). Les cités grecques fondaient également des colonies un peu partout dans la Méditerranée mais aussi en Ukraine, etc. – ainsi, la ville française de Marseille était à l'origine une colonie grecque, fondée il y a 2600 ans.

La Grèce antique était une zone civilisationnelle située à cheval
sur les territoires de la Grèce et de la Turquie modernes

La menace d'invasion de la part de grands empires tels que la Perse (actuel Iran mais qui recouvrait également à l'époque l'ensemble du Moyen-Orient) poussa les cités grecques à s'unir contre l'ennemi commun. Ce processus culmina vers l'an -334 avec Alexandre dit “le Grand”, qui lança une grande expédition militaire avec pour résultat la conquête de l'Égypte, du Moyen-Orient (Babylone, Perse) et même une partie de l'Inde ! Alexandre, parti de chez lui à l'âge de 22 ans pour conquérir le monde, mourut sur le chemin du retour à l'âge de 32 ans. 

À sa mort cependant, son empire fraichement créé fut partagé entre quatre de ses généraux – faute d'une structure étatique commune capable d'unifier le tout. La période suivante (dite “hellénistique”) fut une période d'expansion de la culture et de la philosophie grecque à l'Égypte, etc. faisant énormément progresser la civilisation de l'Occident. À ce jour, de grands penseurs tels qu'Aristote, Platon, Anaximandre, Archimède… sont toujours étudiés dans le monde entier, 2500 ans après leur mort. La pensée et la science grecques ont également surtout jeté les bases de l'idéologie et de la structure sociale qui ont été celles de l'Empire romain, qui constitue à ce titre en quelque sorte une certaine continuation de la civilisation grecque.


Les conquêtes d'Alexandre le Grand s'étendaient de la Grèce (en vert)
à l'Iran (en jaune) en passant par l'Égypte (en bleu) et la Turquie (orange)

La civilisation romaine, contrairement aux cités-États grecques, était centrée sur la seule ville de Rome, en Italie. À partir des années -300, les Romains ont conquis le reste de l'Italie, puis sont entrés en guerre contre leur grande rivale, Carthage (dont les ruines sont aujourd'hui situées non loin de Tunis). Les Romains se distinguaient par une culture beaucoup plus orientée vers les techniques, notamment au niveau de l'art militaire et de l'infrastructure. L'âpreté de la lutte de classes entre riches et pauvres, patriciens (descendants de familles autochtones) et plébéiens (descendants de familles allogènes) au sein de la société romaine a aussi donné naissance à tout un art de la science politique et de la rhétorique (art du discours) dont les grands noms sont Cicéron, Quintilien…

À l'origine petit royaume, Rome est devenue à la suite de troubles sociaux une république gérée par un sénat élu et par un jeu complexe de tribuns du peuple, magistrats, consuls, etc. avant que la “crise de la république romaine” et une âpre guerre civile (dont les principaux auteurs ont été César, Pompée, Cléopâtre…) ne se solde par l'établissement définitif de l'empire, sous l'empereur Auguste Octave.

L'empereur Auguste, statue du 1er siècle

Au cours des siècles qui ont suivi, l'Empire romain est devenu une grande puissance englobant l'ensemble de la Méditerranée, le Maghreb et le Moyen-Orient et une grande partie de l'Europe, de la Roumanie à l'Écosse en passant par l'Espagne et la France actuelles. La plupart des peuples conquis étaient soumis, réduits à l'esclavage à une échelle de masse, ou tout simplement décimés. Les nombreux troubles sociaux, rébellions et crises politiques qui ont émaillé la vie de l'empire ont également grandement favorisé la propagation d'une nouvelle religion – le christianisme, devenu religion officielle d'État sous l'empereur Théodose en l'an 380.


L'Empire romain à son apogée sous Trajan
L'Empire romain a fini par tomber, victime de ses crises, sous le poids des “invasions barbares” qui ont démarré vers 375. Après les invasions barbares, l'Empire a été divisé en plusieurs pays dominés par des rois germaniques (dont les Francs qui s'installent dans le nord de la Gaule et renomment le pays “France”). Dans la région où la culture grecque est restée dominante, centrée autour de la ville de Constantinople (aujourd'hui Istanbul, capitale de l'actuelle Turquie), l'Empire romain a plus ou moins survécu sous l'appellation d'“Empire byzantin” (qui se maintiendra jusqu'à l'invasion des Turcs, en 1453).


L'Empire byzantin, qui survécut jusqu'en 1453, était une continuation
de l'Empire romain qui recouvrait les territoires de la Grèce antique.
Son système de production n'était déjà plus tout à fait esclavagiste, mais
plus proche du système féodal européen.

Structure de la société esclavagiste

Comme expliqué plus haut, le gros du travail dans les sociétés esclavagistes était effectué par des esclaves. La plupart des citoyens libres s'adonnaient aux loisirs, au sport, à la culture – pour cette raison, ces sociétés ont énormément contribué au progrès de la civilisation sur le plan philosophique, scientifique, artistique, etc. Les citoyens pauvres (plébéiens) ne pouvaient cependant pas se permettre un train de vie aussi oisif et luxueux, et s'adonnaient au petit commerce, à l'artisanat, à l'agriculture… dans la mesure où ces emplois n'étaient pas déjà occupés par des esclaves.

À Rome s'est constitué un prolétariat, une masse de personnes sans aucune propriété, mais qui ne participaient pas à la production. Ces gens étaient bien souvent nourris par l'État et abreuvés de loisirs tels que le théâtre ou les fameux “jeux” du cirque où sont organisés des combats de gladiateurs, des courses de chars, des combats navals, ou bien où on observait des prisonniers se faire déchiqueter par des bêtes sauvages. Ces prolétaires étaient fondamentalement différents du prolétariat que nous connaissons aujourd'hui, car ils n'occupaient absolument aucun rôle dans la production. C'était une couche parasitaire dont la seule méthode de lutte était l'organisation d'émeutes afin d'obtenir pour eux plus de subsides de la part du gouvernement. Beaucoup d'entre eux étaient également “clients” de familles patriciennes (descendants des premiers habitants de Rome, généralement plus riches et privilégiées par la loi) dont ils dépendaient pour de petits boulots, etc. et servaient d'hommes de main lors des vendettas entre familles, ou de “bétail électoral” à la solde de leurs bienfaiteurs.

Les principales composantes de la société romaine :
patriciens à gauche, plébéiens à droite,
au centre, un légionnaire et un esclave
Le conflit entre les couches pauvres et riches de la société, et notamment entre patriciens et plébéiens (descendants de familles allogènes qui n'avaient au départ que très peu de droits), a eu pour conséquence de nombreux troubles et de nombreuses réformes politiques, avec diverses formes de partage du pouvoir et de distribution du surproduit social entre ces différentes couches, même si ces différentes classes restaient fondamentalement toutes intéressées au maintien de la structure esclavagiste – c'est pourquoi les révolutions à Rome (ou d'ailleurs dans la Grèce antique) sont restées de l'ordre politique (changement dans la forme de l'État) et non social (changement dans la nature de l'État). Le conflit entre plèbe et patriciat a joué un rôle important dans la “crise de la république” (guerre civile) du premier siècle av. J-C, dont les acteurs les plus célèbres ont été Jules César, Pompée, Cléopâtre… et dans l'institution de l'Empire à la place de la république. À d'autres époques, ces conflits ont pu être à l'origine de réformes de moindre amplitude comme la création de tel ou tel poste, la révision de tel ou tel procédé électoral, l'abandon de telle ou telle taxe, etc.

De nombreux esclaves, s'ils servaient bien leur maitre, pouvaient être affranchis (libérés) au moment du décès du maitre ; leur liberté pouvait également être rachetée. Ils restaient alors souvent membres de la maisonnée du maitre et de sa famille, rejoignant sa “clientèle”. Les petits-enfants des affranchis pouvaient devenir citoyens romains, étant incorporé dans la plèbe. Puisqu'ils ne pouvaient prétendre à des postes réservés aux citoyens (comme celui d'empereur), de nombreux affranchis étaient en outre employés à des postes critiques au sein de l'administration qu'il aurait été dangereux de confier à des citoyens trop ambitieux (notamment sous l'empereur Claude, mais on a également vu des affranchis devenir empereur comme Dioclétien). Il arrivait également que des maitres de nombreux esclaves les affranchissent en masse avant des élections, afin que ceux-ci, devenus citoyens, votent pour eux.

Ainsi, on estime que la ville de Rome au deuxième siècle (à l'apogée de l'Empire) comptait une population de 1 million d'habitants. Ce chiffre est assez incroyable pour l'époque. Une telle population ne pouvait être maintenue que grâce à une organisation remarquable de la production et des transports. Par exemple, les deux-tiers de l'approvisionnement de la ville de Rome en blé venaient d'Égypte. On voit également bien l'effort terrible, le drain des ressources du continent exercé par une seule ville, alors que les moyens (outils) de production restaient en réalité très limités. Après la chute de l'Empire, la population de la ville de Rome est d'ailleurs rapidement tombée à 30 000, et n'a plus atteint le chiffre d'un million avant l'année 1936.


La ville de Rome comptait un million d'âmes au 2ème siècle,
un chiffre inouï pour l'époque

Idéologie de la structure esclavagiste

Les sociétés esclavagistes considéraient le travail comme quelque chose de fondamentalement dégradant, d'inhumain. C'est pourquoi les citoyens étaient encouragés à posséder au moins quelques esclaves pour effectuer le travail à leur place. Une bonne manière de gagner une propriété terrienne ou des esclaves était de s'engager dans l'armée, qui était mobilisée en permanence, vu que la guerre était le seul moyen de garantir un flot continu d'esclaves dans l'Empire.

Par conséquent, l'idéal romain faisait une large place à la force et à la violence, à la “vertu” : un citoyen doit se faire respecter par la force, ne doit jamais avoir peur de se battre, doit éviter tout sentimentalisme. À tous les niveaux de la société, on voit un manque de considération pour la vie humaine, avec une violence omniprésente. Les “jeux” du cirque où des gens sont exécutés uniquement dans un but de spectacle étaient également parfaitement révélateurs de cet état d'esprit. Ils avaient également un but pédagogique : il fallait que les enfants puissent voir des gens mourir et apprendre comment tuer sans en ressentir le moindre dégout, car c'était là le fondement de la société. Le spectacle contribuait en outre à l'affirmation de la suprématie romaine.


Combat de gladiateurs dans l'arène. Le vainqueur demande l'avis du
public 
avant de savoir s'il doit achever le vaincu. Si le public a apprécié
le spectacle, le vaincu peut être sauvé. Sinon, il est mis à mort.

Car l'empire romain était une nation extrêmement xénophobe – surtout à ses débuts, moins lorsqu'elle est devenue plus cosmopolite. Un trait net était tiré entre le citoyen romain de souche, capable de tracer son ascendance jusqu'à un des ancêtres mythiques de la race, et le “barbare” étranger – tout étranger représentant en effet un esclave potentiel. Ainsi, la religion romaine était un panthéon national de dieux nationaux veillant sur les différents clans et lignées à l'origine de l'empire.

De manière générale, la vie était très courte à l'époque romaine : l'espérance de vie n'était que de 25 ans, non seulement à cause de la violence généralisée, mais aussi du fait des maladies comme la malaria, la peste… de la malnutrition, de l'âpreté de la vie, du manque de confort, et des nombreux accidents de la vie de tous les jours.


Autre type de spectacle hautement apprécié des Romains :
l'exécution de prisonniers par des bêtes sauvages
Une philosophie alors très en vogue était celle du stoïcisme, surtout à la mode parmi l'élite : selon le stoïcisme, l'homme ne doit employer que sa raison et doit faire fi de ses sentiments. Les émotions telles que l'amour, la compassion, la tristesse… sont des traits animaux dont il faut se débarrasser. L'individu “stoïque” est donc prêt à endurer la pire violence, la pire injustice, commettre les pires atrocités, et endurer les pires souffrances et brimades, au nom de la “raison” froide. Une autre grande philosophie de l'époque était celle de l'épicurisme, qui disait que l'homme doit éviter une trop grande recherche de plaisirs et apprécier les bonheurs de la vie quotidienne.

Ces idéologies sont révélatrices d'un monde violent, amoral, et qui ne connait aucun progrès technique au niveau de l'économie ou de la science. Certes, les Romains comme les Grecs ont découvert de très nombreux principes physiques, et ont jeté les bases de la science occidentale. Mais ces découvertes n'ont que très rarement été employées à des fins pratiques. Les Grecs par exemple connaissaient la machine à vapeur, ou la technologie du moulin à eau. Mais ces procédés n'ont que très rarement été utilisés dans la production (la machine à vapeur servait uniquement à des fins d'expériences amusantes), car celle-ci était basée sur l'esclavage.


La machine à vapeur mise au point par
le philosophe Héron d'Alexandrie n'a jamais
dépassé le stade de simple gadget amusant

Contrairement au prolétaire salarié de la société capitaliste actuelle, l'esclave n'a aucun respect pour l'outil de travail. Il ne risque pas de perdre son travail, et sa seule motivation est d'éviter le fouet, et un éventuel affranchissement à la mort du maitre (qui ne valait généralement que pour des esclaves domestiques qui avaient tissé une relation humaine avec leur maitre, pas pour la grande masse). L'esclave n'a pas de vie de famille, pas de logement, etc. qui lui appartienne ; il n'a pas de plans pour le futur, vu que ses enfants et sa/son partenaire peuvent lui être enlevés à tout moment. C'est pourquoi on ne peut lui confier d'outils trop fragiles ou trop complexes – ainsi les Romains utilisaient des bœufs pour cultiver leurs terres, moins puissants mais beaucoup plus résistants aux mauvais traitements qui leur étaient infligés par les esclaves que les chevaux.

La production était donc limitée sur le plan technique et restait extensive (et non intensive). Sans un incitant pour faire progresser la technique, la seule manière d'accroitre la production était d'intensifier la chasse aux esclaves. Les nouveaux territoires conquis étant également utilisés pour la production (notamment agricole), il fallait de plus en plus d'esclaves. Les esclaves devaient aussi être importés de manière constante, vu leur courte durée de vie et leur faible natalité.

Le “butin de guerre”

La culture extensive des terres à grande échelle par des armées d'esclaves (on estime à 80 % la part de la population active dans l'agriculture) et selon des méthodes peu rationnelles, a mené à une déforestation et à une érosion intenses tout le long du bassin méditerranéen, menant à un assèchement du territoire, à des inondations, à la formation de marais qui attiraient les moustiques porteurs du paludisme, à l'ensablement des ports… La déforestation a également été accentuée par le fort taux d'urbanisation, inédit à l'époque, qui requérait la coupe de bois a grande échelle pour entretenir les foyers, et l'importance des constructions militaires et navales. Dans certains cas, les soldats romains défrichaient des forêts entières pour empêcher leurs ennemis de s'y cacher. Bref, il fallait non seulement sans arrêt étendre l'empire à la recherche d'esclaves, mais aussi de nouvelle terres.

L'importance de la recherche de nouvelles terres était également accentuée par le fait qu'en Italie, la plupart des terrains était concentrés entre les mains de quelques très riches familles patriciennes, alors que les plébéiens enrôlés dans l'armée se voyaient traditionnellement promettre une propriété à la fin de leur service. Cette institution était un important moyen de contrôle du mécontentement social, qui permettait aux plébéiens d'avoir un espoir d'une vie meilleure après services rendus à la nation. 

C'est ainsi que l'histoire des différentes phases d'expansion de la république d'abord, de l'empire ensuite, est intimement liée à l'histoire des différentes phases de la lutte des classes à Rome même.

C'est donc ce besoin constant de terres et d'esclaves qui explique les tendances expansionnistes de l'empire romain. Lorsque l'empire romain a cessé de croitre après avoir atteint ses limites naturelles (les forêts froides de l'Allemagne au Nord, le désert du Sahara au Sud, l'océan à l'Ouest, et la forte résistance de l'Empire perse à l'Est), il a cessé de se développer et est tombé dans la crise.


Esclaves occupés à presser le raisin duquel on extrayait le vin

La crise de l'Empire romain

L'Empire romain a en fait été parcouru par de nombreuses crises à répétition.

Une première source de conflits était la contradiction entre le monopole des seuls citoyens sur les postes d'État et surtout sur l'accès à la propriété, alors que l'Empire était de plus en plus constitué d'une grande diversité de nations qui demandaient de plus en plus leur participation à la vie de l'Empire. Les nombreux affranchis, prolétaires, et plébéiens en général ne trouvaient aucun sens à leur vie, vu que d'un côté ils n'avaient pas accès à la propriété, mais que de l'autre ils ne pouvaient travailler, la plupart du travail étant effectué par les esclaves et une grande partie de la propriété étant concentrée entre quelques riches familles patriciennes.

C'est sur cette base que s'est développée rapidement une nouvelle religion en apparence révolutionnaire, qui prônait l'égalité entre les hommes et le partage : le christianisme. Celui-ci représentait une sorte de fusion entre d'une part le mouvement “cynique” et la religion juive. Le “cynisme” (c'est-à-dire, “la pensée du chien”) était une philosophie dont les maitres étaient entre autres Diogène ; cette pensée prônait le non-respect des institutions et la remise en question de toute forme d'interdit social, avec l'abandon des richesses, l'amour libre, et un retour à une vie plus simple, dans la pauvreté mais libre de toute prétention. Le judaïsme était quant à lui à l'époque une religion nationale, le culte du dieu des Hébreux, qui n'avaient jamais jusque là prétendu que leur dieu valait plus que le dieu des autres peuples, ni cherché à propager leur religion. Mais la société romaine dans la crise était à la recherche d'une idéologie capable de lui apporter un soulagement spirituel.

Le christianisme était perçu comme une réelle menace face à l'autorité de l'empereur, et les premiers chrétiens étaient cruellement persécutés par des tortures plus terrifiantes les unes que les autres. Cependant, les chrétiens ne voyaient pas de solution sur le plan social, n'avaient pas de propositions concrètes pour sortir de la crise de la société esclavagiste ; c'est pourquoi leur discours révolutionnaire restait limité à l'attente du “règne céleste”, c'est-à-dire, l'égalité non pas dans la vie, mais dans la mort. D'ailleurs, les pères de l'Église enjoignaient aux esclaves chrétiens de ne pas se révolter contre leurs maitres, en attendant une vie meilleure après leur mort ! (1 Pierre 2:18-19, etc.)


Les premiers chrétiens ont été très durement réprimés car leur fanatisme, leur
 intolérance envers les autres religions et leur discours pseudo-révolutionnaire
remettaient en question les fondations de l'Empire.
(image tirée de l'excellent film “Agora” qui raconte la destruction de
la Grande Bibliothèque d'Alexandrie et le meurtre de la philosophe Hypatie
par des fanatiques chrétiens)

La deuxième grande contradiction était au niveau de la taille de l'empire. D'un côté, l'empire était condamné à s'agrandir sans cesse pour trouver de nouveaux esclaves et de nouvelles terres pour les citoyens romains désœuvrés, afin de servir de “soupape” de sécurité. D'un autre côté, l'incorporation de nouveaux peuples, la difficulté des relations, etc. nécessitait une administration extrêmement centralisée afin d'assurer le maintien de l'infrastructure, et la domination de la seule ville de Rome sur l'ensemble du continent européen. D'autant que les habitants de nombreuses provinces en avaient assez de voir l'entièreté du fruit de leur travail être transféré à Rome. 

C'est comme si une seule ville était en train d'aspirer la production de l'ensemble du continent. Les tentatives de sécession étaient donc nombreuses de la part des dirigeants des provinces (comme l'“empire des Gaules” et l'“empire de Palmyre” brièvement constitués lors de la crise du 3ème siècle par certaines provinces), soutenus par la population locale. Toutes ces raisons ont poussé à fonder la structure impériale, centralisée et “cosmopolite”, à la suite d'une guerre civile longue de plus de cent ans contre les partisans patriciens de la “république”.


Le train de vie luxueux des riches romains n'était possible
qu'au pri
x de l'exploitation de l'ensemble du continent

Les empereurs romains cherchaient en outre une nouvelle religion d'État universelle et neutre qui reflèterait dans le “ciel” la réalité du système mis en place sur “terre”. Le polythéisme romain traditionnel, en tant qu'expression idéologique du chauvinisme romain, empêchait l'intégration des autres peuples à la structure nationale. Il fallait passer au monothéisme, à la vénération d'un dieu unique dont le représentant sur terre serait l'empereur. On procéda d'abord à la divination des empereurs, dès le premier empereur, Octave Auguste. Puis on inventa le culte du Soleil. Enfin, vu l'expansion du christianisme, propulsé par la profonde crise sociale, cette religion fut adoptée en tant que religion d'État. L'Empire romain est devenu officiellement chrétien, d'abord avec la conversion de l'empereur Constantin vers 313, ensuite un peu plus tard, avec l'adoption du christianisme en tant que religion d'État et l'interdiction des autres religions sous Théodose, en 380.

Cependant, on peut difficilement parler d'une victoire pour les chrétiens : en effet, la religion originelle des premiers chrétiens a été complètement remodelée afin de servir les besoins de la bureaucratie impériale. Les opposants et courants divergents ont été exclus, traités d'hérétiques, exécutés, la Bible réécrite afin de mieux correspondre aux intérêts impériaux. Seuls quatre évangiles ont été sélectionnés sur tous ceux qui avaient été écrits, certains textes étaient supprimés, d'autres ajoutés, etc. avant de recevoir le “cachet” de la soi-disant “inspiration divine”. Le christianisme, loin du “communisme” des premiers chrétiens, est devenu idéologie officielle d'État. Tous les débats quant à la véritable nature de Jésus (était-il fils de Dieu, simple prophète, Dieu incarné ?), de Marie, etc. ont été tranchés dans le sang et par le feu sur une base purement politique. Le résultat en est la Bible que certains chrétiens aujourd'hui tiennent toujours – à tort selon nous – comme œuvre divine alors qu'elle n'est que le fruit des institutions étatiques impériales et d'une politique donnée à un instant donné.

L'empereur Constantin préside au brulage des livres du
  prêtre Arius, pour qui Jésus était d'essence divine mais
  engendré par le Père 
et donc non éternel ; ce qui remettait
en question la Trinité 
et donc la doctrine du Salut que
l'Empereur voulait imposer 
en tant que doctrine officielle

Le troisième facteur de crise, le plus fondamental, est que la société se trouvait dans une impasse. Les esclaves ne pouvaient prendre le contrôle collectif de l'appareil de production car les outils étaient trop rudimentaires que pour passer à un type de société supérieure, contrairement à ce qui se produit sous le capitalisme. Le but des révoltes d'esclaves avait soit pour but une évasion collective pour aller vivre en liberté hors de l'empire, lorsque cela était encore possible – c'est le cas de la révolte la plus célèbre, menée par Spartacus en -73 – soit la sécession d'une province avec à sa tête un des chefs de la rébellion, et qui se formait sur le modèle esclavagiste elle aussi, les maitres d'hier devenant les esclaves d'aujourd'hui. D'autres révoltes avaient simplement pour but de tuer autant de maitres que possible avant la répression finale (l'exécution de masse). On tournait donc en rond.

Les prolétaires et autres classes intermédiaires (plébéiens) ne jouaient qu'un rôle mineur dans la production, voire aucun, et n'avaient aucun levier pour organiser une nouvelle société. Les révoltes de la “plèbe” (le peuple) avaient en général pour but l'obtention d'un repartage de la propriété des grands maitres, ou de plus de subsides, plus de distribution de pain, etc. Ces révoltes n'étaient pas économiques mais simplement des émeutes violentes afin de contraindre les maitres à écouter la voix du peuple.


Après la grande révolte des esclaves dirigée par Spartacus à la fin de la République,
6000 des rebelles vaincus ont été crucifiés le long de la route nationale

Les maitres eux-mêmes, évidemment, étaient au-dessus de la société, n'avaient aucun intérêt à la changer, s'assassinaient les uns les autres pour le pouvoir politique, la propriété et les postes dans l'administration, et cultivaient leur stoïcisme. Ceux qui s'adonnaient à la science et à la philosophie se considéraient comme faisant partie d'une élite privilégiée par les dieux (ou par Dieu), et ne voyaient pas le moindre intérêt de se soucier du sort du bas-peuple ; ils ne voyaient en outre pas moyen de se passer du travail des esclaves, même lorsqu'ils éprouvaient de la pitié pour eux.

La population européenne avait cessé de croitre et même, décroissait en raison d'une faible natalité (beaucoup de nouveaux-nés étaient exécutés après leur naissance).

Cette société esclavagiste, dans une impasse, ne pouvait être modifiée de l'intérieur.

Néron, l'empereur fou, jouant de la harpe devant la “beauté”
de la ville en flammes

La fin de l'Empire romain

L'Empire dès ses débuts à eu une tendance à la dislocation avec de nombreuses tentatives de sécession, mais le début de la fin se situent au 3ème siècle lorsque l'empereur Dioclétien a instauré la “Tétrarchie” (ou “règne des Quatre”), avec quatre “empereurs” chargés d'administrer chacun un quart de l'Empire. Sous Théodose, l'Empire est officiellement scindé en deux : Rome à l'Ouest, et Byzance à l'Est. Byzance, l'actuelle Istanbul (capitale économique de la Turquie), dominait l'ensemble des provinces de culture et de langue à dominance grecque : Grèce, Turquie, Moyen-Orient et Égypte actuels.

À la suite de la crise du 3ème siècle, dite “Anarchie militaire”, les réseaux commerciaux au sein de l'Empire ont en grande partie cessé de fonctionner. En effet, à l'époque, l'armée romaine s'est divisée en plusieurs factions qui ont commencé à batailler l'une contre l'autre et ont mené à la sécession de plusieurs provinces, menées par des généraux qui prétendaient au titre d'empereur. En même temps, de nombreux peuples barbares ont profité de la crise pour lancer des raids dans l'Empire, voire s'y installer. 


Soldats romains en prise avec des envahisseurs barbares
(image tirée du jeu Total War : Rome II)

Vu que les voies commerciales ne fonctionnaient plus, beaucoup de grandes plantations (“latifundias” et “villas”) commerciales ont arrêté d'exporter leurs produits à Rome et ont à la place commencé à planter du vivrier et à vivre en autonomie ou à produire uniquement pour le marché local, tout en commençant à se doter d'ateliers pour produire leurs propres outils, etc. De nombreuses villes qui jusque là n'étaient pas défendues, se sont entourées de fortifications. Des habitants des villes à présent affamées par la rupture des réseaux d'échange ont quitté la ville pour aller vivre en brousse et y trouver de quoi manger. 


Des citoyens libres à la recherche d'une protection militaire, se sont rangés sous la tutelle de notables locaux – pour la plupart de grands propriétaires terriens qui leur donnaient un lopin de terre, et auxquels ils devenaient dès lors légalement attachés et ce, de manière héréditaire. D'un autre côté, face à cet “exode urbain”, des lois ont été adoptées pour interdire aux citoyens de déménager ou de changer de métier, et rendre ces métiers héréditaires. Tous ces changements ont donc graduellement préparé la société au passage à un nouveau système économique et social : le féodalisme.

Moissonneuse de l'époque impériale
À partir du 4ème siècle en outre, de nombreux peuples germains – les ancêtres des Allemands, des Anglais et des Français modernes – mais aussi slaves – Serbes, Slovaques… – ont commencé à migrer en masse à l'intérieur des frontières de l'Empire, afin de demander la protection face à un autre phénomène : l'expansion des Huns, une confédération de peuples nomades extrêmement violents venus d'Asie centrale et qui avait chassé ces cultivateurs germains des plaines d'Ukraine et d'Europe de l'Est où ils s'étaient installés. Beaucoup de Germains ont été intégrés dans l'armée impériale en tant que mercenaires ou officiers (au 4ème siècle, le général Stilicho, de père vandale, devient même l'homme le plus important de l'Empire). 

Les Huns poursuivaient leur avancée et ont commencé à envahir des régions entières. Cela a fini par provoquer la dislocation finale de l'Empire : dans de nombreuses régions, après le départ des Huns, les Germains se sont établis en tant que conquérants. Dans le contexte de chaos, de violence et d'anarchie, alors que de nombreuses bandes rôdaient dans le pays, de nombreux habitants étaient contents de bénéficier de la protection d'une nouvelle caste de guerriers. Les communications avec Rome étaient interrompues, ce qui voulait dire que le fruit de la production demeurerait sur place.


Les Huns, le “fléau de Rome”, étaient une confédération de peuples nomades
venus d'Asie qui a déferlé sur les terres de l'Empire, poussant
les barbares Germains à assumer la protection des populations locales

La société a été réorganisée sur une base locale autour de points fortifiés, comme les anciens camps où stationnait l'armée romaine, ou bien les “villas” – grandes plantations de blé, ou stations d'élevage, etc. appartenant à un citoyen romain et fonctionnant sur base d'une petite armée d'esclaves employés aux champs. Ces lieux sont devenus la base de nouvelles villes où ont été installées les cours des nouveaux seigneurs germains ; beaucoup d'anciennes cités romaines, centres d'administration impériale, ont été abandonnées. 

L'effondrement social a interrompu la plupart des liens commerciaux entre les différentes régions. On a assisté à un effondrement total de l'économie et de la production. Mais tout cela était nécessaire pour opérer la transition à un nouveau type de société. Car si la société avait été préparée à cette transition par la dynamique interne au système, le passage final ne pouvait être réalisé par l'initiative d'une classe au sein de la société esclavagiste : il fallait une intervention extérieure pour la matérialiser, rôle qui a été dévolu aux envahisseurs germains devenus nouveaux seigneurs de l'Europe.


Le pillage de Rome en 410 par les barbares wisigoths est souvent considéré
comme le moment marquant la fin de l'Antiquité et le début du Moyen Âge

Bilan :

Parce que la civilisation occidentale tire ses racines culturelles de la science et de la philosophie des premières sociétés esclavagistes, parce que le droit bourgeois moderne est en grande partie une adaptation du droit romain, et parce que la religion chrétienne est née de Rome, ces sociétés sont souvent présentées sous un jour extrêmement positif par les capitalistes. On parle de la “grandeur romaine”, de la “sagesse des Anciens”, de la “chute de Rome” après les “invasions barbares”. L'histoire bourgeoise professe souvent l'idée selon laquelle l'Empire romain était une civilisation éclairée qui a malencontreusement “chuté” sous le poids de terribles barbares.

L'Empire romain représentait en effet un stade supérieur de développement et de civilisation par rapport aux sociétés traditionnelles organisées sur une base clanique ou lignagère, comme celle des Celtes (Gaulois, Ibères, Bretons…). Les guerriers celtes étaient de simples cultivateurs ou artisans qui devaient délaisser leurs activités productrices pour partir en guerre. Au combat, ils se regroupaient en fratries unies par des liens de sang plutôt qu'en régiments constitués selon un plan d'organisation rationnel. Ils ne pouvaient être mobilisés en permanence, contrairement aux légionnaires romains qui bénéficiaient de toute une infrastructure permettant de les loger et les nourrir tout au long de l'année. Leur commandement n'était pas centralisé, de nombreuses rivalités existaient entre les différentes tribus, exploitées de main de maitre par les Romains. 

Contrairement aux autres peuples de l'époque, l'armée romaine était
excellemment équipée, bien entrainée, disciplinée, et en plus,
était soutenue par une logistique à toute épreuve.

L'Empire possédait en outre une véritable machine d'État centralisée qui permettait l'unification du territoire et une division du travail, une spécialisation de la production à une échelle internationale, accroissant la productivité et permettant de véritables prouesses techniques qui sont restées sans équivalents pendant des siècles.

L'idée d'un État centralisé, d'une administration et d'une organisation du territoire selon des lois et des structures bien établies, a été une grande source d'inspiration pour tous les penseurs et les créateurs d'État des siècles suivants. L'empereur Charlemagne, fondateur de l'État féodal européen, était poussé par l'idée de “recréer l'Empire romain”. Les grands théoriciens politiques bourgeois tels que Machiavel, Rousseau, etc. s'inspireront énormément de la science étatique romaine et grecque et des écrits de Platon, Sénèque, Marc-Aurèle, César… Ils étudieront de près les différents conflits et luttes sociales de l'Antiquité afin d'en tirer des lois générales et de définir ce qui serait pour eux l'État idéal, jetant les bases de l'État bourgeois moderne.


L'institution du sénat romain, qui dirigeait les affaires d'État au temps
de la République, fut une importante source d'inspiration pour les
p
hilosophes révolutionnaires bourgeois

Mais en réalité, tout cela cache le fait que ces sociétés ont constitué une impasse absolue au développement humain. L'Empire romain a été une vaste machine d'oppression, cruelle et sanglante, qui a réduit à l'esclavage l'ensemble de la population européenne, nord-africaine et du Moyen-Orient, a éliminé des nations entières de la carte, interrompant leur propre développement de la manière la plus brutale qui soit, commémorant des génocides par des triomphes et des monuments encore visibles de nos jours (la Colonne trajane par exemple visible à Rome). Nous voyons en outre qu'en réalité, même si les invasions barbares ont été le facteur décisif dans le passage final à un autre système, l'Empire a en fait de lui-même graduellement glissé, ravagé par ses propres contradictions, vers le féodalisme.

Après la chute de l'Empire, tout au long du moyen âge, la science et la philosophie héritées des Grecs, la religion chrétienne créée de toute pièce par l'Empire romain, ont été considérés comme des dogmes absolus. L'activité des scientifiques européens se limitait à l'étude de leurs textes et à la redécouverte de textes perdus. Les premiers véritables scientifiques tels que Galilée, Lavoisier… ont dû se heurter contre le monopole absolu des théories en réalité erronées d'Aristote, Pline, Ptolémée, etc. en matière de chimie, biologie, physique… Même si beaucoup des écrits de l'époque gréco-romaine restent d'actualité notamment dans le domaine des mathématiques et de la rhétorique.

Le nom de la plupart des constellations d'étoiles sont inspirées
de la mythologie grecque (Orphée, Cassiopée, etc.)
Table rase – l'histoire reprend à zéro sur de nouvelles bases. Si la plupart des routes, des réseaux d'irrigation (“aqueducs”), etc. ont disparu, tout n'a cependant pas été perdu : une partie de l'infrastructure héritée de l'Empire romain est restée, notamment les noyaux des premières villes (le mot français “ville” vient d'ailleurs du mot latin “villa” qui signifiait au départ “plantation”). Le latin, qui était la langue des Romains, est restée la langue véhiculaire pour les savants de toute l'Europe, celle dans laquelle était rédigée la plupart des ouvrages scientifiques, artistiques, religieux et philosophiques et qui était employée pour l'enseignement et les réunions internationales ; et ce, jusqu'à la montée en puissance de la langue française à partir du 17ème siècle, puis de l'anglais – ces deux langues constituant une synthèse de diverses langues germaniques et de la langue latine. 

Enfin, de toute la structure de domination impériale, la seule institution survivante a été celle de l'Église chrétienne, qui est restée garante de l'unité culturelle de l'Europe en nommant les rois et en conservant les textes anciens par l'activité des moines “copistes”. L'Église jouera un rôle très important tout au long de la prochaine période que nous étudierons. Il s'agit de la période du féodalisme, période pendant laquelle s'est développée une nouvelle économie sur une base plus “libre”, et au cours de laquelle se sont formées les nations européennes modernes, et au cours de laquelle est née la classe bourgeoise qui allait plus tard prendre le pouvoir pour instaurer le capitalisme.

Les ruines romaines sont aujourd'hui d'importantes attractions touristiques
dans de nombreux pays (ici, à Jerash en Jordanie)

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