mercredi 6 novembre 2013

CI : Affi N'Guessan ou la démission du FPI

La direction du FPI a fait son temps – il nous faut de nouveaux organes de lutte pour les travailleurs


On voit beaucoup le président du FPI, Affi N'Guessan dans les médias ces temps-ci. Après près de deux ans et demi de détention arbitraire, on le voit en quelque sorte revivre, avec notamment sa grande tournée dans l'intérieur du pays et de nombreuses interviews accordées à RFI, à la BBC, etc. Les milliers de jeunes, de travailleurs et de pauvres qui se sont déplacés pour le voir parler révèle non seulement le fait que le FPI conserve une large base de soutien parmi la population, mais aussi la désillusion vis-à-vis du pouvoir RDR. Cependant, M. N'Guessan risque d'en décevoir plus d'un.

Article par Jules Konan, CIO-CI


Un discours fort mou

Ainsi, dans son interview donnée à la BBC il y a deux semaines et retranscrite par le journal bleu “Aujourd'hui”, – tout comme dans celle donnée à RFI – pas la moindre trace de radicalisme ni de combat pour la cause des travailleurs, jeunes et pauvres de Côte d'Ivoire. On parle de réconciliation, de justice, de dialogue, de foncier, de sécurité, de CPI, de démocratie, de « réforme politique profonde », de « constitution des institutions », d'élections… et évidemment, de la libération de Gbagbo, qui sont tous les thèmes préférés du FPI ces derniers temps. Mais pas un mot sur la cherté de la vie, sur les bas salaires, le chômage, rien sur le statut des fonctionnaires et des enseignants, rien sur les universités, la crise dans les transports… Comme d'habitude, le FPI privilégie des thèmes qui sont ceux chers à la bourgeoisie, à l'intelligentsia nationale et aux petits et moyens propriétaires ivoiriens.

Sur la question de la justice, Affi N'guessan demande la justice pour l'ensemble des acteurs de la crise, avant de clamer qu'il est logique de libérer les membres de son parti, vu qu'« ils sont innocents » – on est encore en plein dans la logique du tout blanc – tout noir. Tout en proposant que, vu que la justice ivoirienne est dépassée par les évènements et à la botte du pouvoir, soient créés des « États généraux de la République » en tant qu'organe de « justice transitionnelle ».

Affi N'guessan parle de « tourner la page des violences politiques, des confrontations ». À la question de savoir s'il reconnait la légitimité du pouvoir d'Alassane, il répond qu'il vaut mieux éviter de « retourner le couteau dans la plaie, de revenir sur des questions qui n'ont aucun intérêt à l'heure actuelle » !

Bref, Affi N'guessan, en tant que politicien d'un parti représentant la bourgeoisie nationale ivoirienne, abandonne toute analyse politique et sociale quant au fond du conflit pour se limiter purement à la forme. La bourgeoisie nationale anciennement rebelle, matée par la puissance de l'impérialisme, courbe l'échine et rentre dans le jeu. Le FPI est prêt à entrer au gouvernement, à négocier d'égal à égal avec le RDR pour un partage du pouvoir. Le FPI révèle ainsi sa nature de classe – bien qu'il représente une autre faction de la bourgeoisie que celle représentée par le RDR ou le PDCI, il reste un parti pro-capitaliste, qui n'a aucun intérêt à mener une lutte véritablement révolutionnaire dans l'intérêt des travailleurs de Côte d'Ivoire.

Comment peut-on dire que la question de la légitimité du pouvoir RDR n'a « aucun intérêt à l'heure actuelle », quand tous les jours les ministres d'Alassane mangent et volent l'argent des universités, de l'école, des routes, des fameux grands chantiers, des églises même, bradent les richesses nationales, licencient des fonctionnaires, protègent des criminels, chassent les commerçants et mendiants des carrefours, suppriment les subsides sur le gaz et l'essence, se paient des voyages de luxe et placent leurs copains à la tête de l'administration ou à la douane ? À moins que le FPI ne reconnaisse que “c'est de bonne guerre” ? 

Pour Affi N'Guessan, « Peu importe ! » qui est à la tête de l'État ivoirien
(interview RFI)

Lutter contre l'impérialisme – pour le socialisme

Pour le CIO, la libération de la Côte d'Ivoire du joug de l'impérialisme et du système néocolonial ne pourra se faire que par la classe des travailleurs en lutte contre l'ensemble du système capitaliste dont l'impérialisme n'est qu'un des nombreux aspects. Il nous faut une fédération socialiste démocratique à l'échelle régionale, voire continentale, dans laquelle les richesses naturelles appartiendraient à la collectivité, sous gestion d'agoras locales composées de travailleurs, de jeunes, et de paysans pauvres, pour une planification de l'économie qui nous permettrait de sortir du chaos et du gaspillage constant de ressources matérielles et humaines qui est le propre du capitalisme. 

L'ensemble des dirigeants, y compris dans la police et dans l'armée, seraient élus par des comités et agoras de la base, révocables à tout moment sans attendre la fin de leur mandat (qui devrait de toutes façons être renouvelé régulièrement, par exemple tous les deux ans), et ne devraient pas recevoir plus que le salaire moyen d'un travailleur qualifié (soit, dans l'état actuel des choses, environ 300 000 francs par mois). Les agoras démocratiques et omniprésentes se chargeraient de mobiliser les travailleurs et la jeunesse pour la reconstruction et le développement de l'économie, tout en assurant la défense et la sécurité.

Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons lutter contre la corruption et la complaisance des hauts cadres, ce n'est qu'ainsi, par la planification d'une économie nationalisée et démocratique, que nous pourrons utiliser les ressources naturelles pour mettre en œuvre une politique véritablement socialiste d'investissement massif dans l'industrie, les transports, les infrastructures, l'enseignement, la santé et les services publics, afin d'assurer le plein emploi et de créer un cadre de vie harmonieux à l'échelle de tout le territoire, dans le cadre d'une fédération socialiste de l'Afrique de l'Ouest avec le Burkina, le Mali, etc. et en toute indépendance par rapport aux puissances impérialistes.

De même, si l'on parle de justice, nous ne pensons pas que qui que ce soit soit “innocent” dans un camps ou dans l'autre comme le proclame sans rougir Affi N'guessan : quand bien même ils n'auraient pas donné l'ordre de tuer des gens, le FPI est pour nous tout autant responsable de la crise que le RDR, car il n'a pas osé mener une politique véritablement révolutionnaire qui aurait pu nous mener à la victoire et rapidement saper toute base sociale à la rébellion (voir entre autre notre article à ce sujet dans lequel nous critiquons la gestion de la crise ivoirienne par le FPI et par Gbagbo).

Pour nous, la justice doit passer non pas par des « États généraux de la République » auxquels siégeraient des politiciens connus et qui ne seraient que prétexte pour les diverses factions de l'élite ivoirienne à régler ses comptes entre elles, mais par la mise en place de tribunaux populaires dont les jurés seraient des représentants élus par les travailleurs, les jeunes, les paysans et les pauvres en général, afin de mettre en place non pas une « justice transitionnelle » mais une justice de classe qui renforcerait la solidarité entre les travailleurs tout en assurant le fait que l'ensemble des coupables reçoivent un châtiment (ou non) qui corresponde aux attentes de la population, loin des manœuvres politiciennes.

Pour le socialisme, basé sur le pouvoir des assemblées populaires
Un “moindre mal” qui n'en est pas un

Mais ce n'est pas cela que nous proposent les “socialistes” du FPI – ni d'ailleurs leurs ex-camarades de l'internationale “socialiste” comme le PS des François Hollande et compagnie en France. Ces faux socialistes sont depuis longtemps acquis corps et âme à la cause du système capitaliste ou, dans le meilleur des cas, ne représentent qu'un “moindre mal” qui, en période de crise internationale aigüe du système capitaliste, n'en est en réalité plus un. Si auparavant les soi-disant “socialistes” et autres partis bourgeois “progressistes” (comme le parti démocrate américain) pouvaient trouver quelques miettes afin de satisfaire les travailleurs et les pauvres tout en continuant leur politique au service de la grande bourgeoisie, aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Toute mesure que nous voudrions prendre à l'encontre du système se retournera contre nous. Taxer la CIE ? C'est la facture de l'électricité qui monte. Cesser les subventions aux grosses multinationales du cacao ? C'est la délocalisation. Augmenter les salaires ? C'est des licenciements. Rétablir les subventions du carburant ? C'est trouer le budget d'État. Les patrons réclament de plus en plus de garantie pour continuer à “faire tourner” l'économie, et c'est pourquoi Obama aux États-Unis s'en prend à la sécurité sociale et aux enseignants, ou Hollande en France crée de nouveaux subsides pour les patrons tout en attaquant les fonctionnaires et les immigrés.

Ces derniers temps, la crise a engendré la colère des masses et une vague de résistance à l'échelle mondiale. Les capitalistes le savent et ont quelque peu changé leur fusil d'épaule. Alors que les années '2000 ont vu des politiciens dits de “droite” se succéder au pouvoir (Chirac, Sarkozy, Bush…), la bourgeoisie a dans toute une série de pays utilisé les partis dits de “gauche” justement en temps que “moindre mal” pour endormir les masses en leur faisant croire qu'à part ces politiciens, on ne pourrait pas mener une politique plus à gauche, qu'il faut être “réaliste” – c'est-à-dire, accepter sans broncher le fait que les travailleurs et pauvres du monde entier se voient à présent contraints de payer pour une crise provoquée par les banquiers et les grandes multinationales. 

Dans la plupart des pays donc, ces partis bourgeois dits de “gauche” se sont révélé l'arme la plus efficace entre les mains de la bourgeoisie et de l'impérialisme pour assurer la stabilité et la “paix sociale”, d'autant que bien souvent ils possèdent en outre de nombreux liens avec les directions des syndicats, ce qui leur assure le contrôle sur ces organismes : en France, aux États-Unis, en Irlande, en Grèce, en Belgique, au Portugal, en Espagne… et la Côte d'Ivoire ne semble pas faire exception.

Comme nous l'avons déjà expliqué, les impérialistes qui avaient tant misé sur leur bon cheval qui était Alassane, ont beaucoup de raison de se plaindre et craignent des émeutes dans le pays. Le mécontentement est en effet énorme, la situation – explosive. C'est pourquoi les ambassades de France, des États-Unis, du Royaume-Uni, etc. sont maintenant très occupées à discuter avec le FPI. Alors que ce parti était il y a peu de temps encore considéré comme pestiféré, l'impérialisme se rend compte à présent qu'il est dans leur intérêt et celui de la stabilité en Côte d'Ivoire de miser sur un nouveau cheval. On a d'ailleurs vu dans la presse bleue les journalistes pro-FPI se vanter de ce que leur parti serait prêt à offrir un partenariat “gagnant-gagnant” avec l'impérialisme et se voit en temps que “pièce de rechange” pour raccommoder le système.

Par “gagnant-gagnant”, il faut évidemment entendre “gagnant” pas pour “la Côte d'Ivoire” en général, mais pour la bourgeoisie et l'intelligentsia nationale ivoirienne – plus d'opportunités “d'investissements”, plus d'offres d'emploi peut-être pour quelques diplômés, mais comme le montre l'expérience des travailleurs sud-africains, ou chinois (sans parler du Nigeria), l'“émergence” tant vantée se traduit en réalité par toujours plus d'inégalités, avec pour les travailleurs une vie de misère soumise aux caprices des grandes multinationales, des politiciens et des directions syndicales corrompues avec en plus la pollution, la violence et les suicides collectifs.

D'ailleurs, on voit bien qu'en ce moment aussi, lorsque le FPI parle de se battre pour l'“indépendance nationale”, ce n'est jamais pour critiquer les multinationales occidentales ou asiatiques, mais uniquement pour parler du soi-disant “bradage de la nationalité” avec des discours destinés à semer la division entre les travailleurs de Côte d'Ivoire (qu'ils soient d'origine autochtone ou sahélienne).

Le “moindre mal” du PS français

Pour la construction de nouveaux organes de lutte

Bref, comme nous le disions au début de cet article, Affi N'guessan et le FPI risquent d'en décevoir plus d'un. Pour nous au CIO, le FPI a abandonné la lutte contre l'impérialisme au profit d'un énième compromis pourri entre lui et la bourgeoisie nationale (un Marcoussis permanent, en quelque sorte). Cette lutte doit être poursuivie par les travailleurs, les jeunes, les paysans et les pauvres de Côte d'Ivoire, quelle que soit leur ethnie, leur religion, leur sexe ou leur nationalité d'origine, par la construction de nos propres organes de lutte, indépendants de toute faction de la bourgeoisie.

La Coalition des indignés de Côte d'Ivoire est pour nous un bon premier pas dans cette direction – elle doit se structurer pour devenir une force démocratique dans laquelle chacun peut participer à la prise de décision et à la planification des actions, tout en se dirigeant, pourquoi pas, vers la constitution d'un nouveau parti politique qui représenterait véritablement la population laborieuse de Côte d'Ivoire. Il nous faut également refonder les agoras – des agoras véritablement démocratiques, ouvertes à tous quels qu'ils soient, et indépendantes de tout parti bourgeois – afin de coordonner les luttes à l'échelle nationale, et de servir de base future au nouveau pouvoir, un gouvernement des travailleurs et des pauvres.

Construire nos propres structures pour la lutte pour le pouvoir des travailleurs



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