dimanche 18 août 2013

Théorie : le débat de la nationalisation

Pour une nationalisation sous le contrôle et la gestion par les travailleurs

 


La plupart des panafricanistes et des socialistes sont convaincus de la nécessité de la nationalisation des secteurs-clés de l'économie. Non seulement en effet, le privé a prouvé ses limites (recherche du profit avant tout qui nuit à la qualité du service, qui s'ajoute à la cherté de la vie, qui empêche les investissements non rentables ou pas assez rentables ; baisse des couts qui nuit à l'emploi et aux conditions de travail et salariales, etc.), mais en plus, pour nos pays africains et néocoloniaux, il est question de souveraineté nationale. Il n'y a en effet pas d'indépendance politique sans indépendance économique, tout comme il n'y a pas de démocratie politique sans démocratie économique.

Cependant, nous avons connu dans le passé toutes sortes d'expériences qui nous ont montré que la nationalisation mal appliquée connait elle aussi toutes sortes de problèmes, notamment la bureaucratisation, le désintérêt des gestionnaires d'État et l'inefficacité, en raison de l'absence de contrôle populaire sur la manière dont les entreprises étatiques sont gérées. Délivrée des obligations de concurrence et de compétitivité, l'industrie nationalisée a autant besoin de démocratie que le corps humain a besoin d'oxygène – c'est là une des grandes leçons de la faillite de l'Union soviétique stalinienne.

Dans cet article, basé sur des débats qui ont eu lieu au sein de notre section allemande Alternative socialiste (Sozialistische Alternative, SAV), nous expliquons en long et en large comment le CIO envisage la question de la nationalisation.


Le vocabulaire de la nationalisation

Dans le cadre de la nouvelle situation mondiale, la question se pose de savoir comment présenter nos revendications concernant la nationalisation des besoins de production et en faveur du contrôle et de la gestion par les travailleurs. Avant que nous ne parlions de la présentation de notre programme, il est nécessaire de s’assurer que le contenu de notre programme est clair. Aujourd’hui il y a parmi la gauche beaucoup de discussions et de confusion quant à cette revendication. Certains, sur base d’une opposition abstraite contre le “public/étatique” de façon générale, sont contre les nationalisations. Ces personnes parlent plutôt de socialisation, de coopération, ou de prise en charge par la collectivité. Certains donnent l’impression qu’ils ne veulent poser la question de la propriété des moyens de production qu’après la victoire sur le capitalisme, d’autres parlent de formes de propriété mixtes.

Les marxistes sont pour la nationalisation des moyens de production, y compris ici et maintenant, à l’intérieur du cadre de la société capitaliste encore existante, donc, et aussi après une révolution socialiste victorieuse, dans le cadre de l’État prolétarien alors en construction. Seul un État – au moins aussi longtemps que les structures d’État n'auront pas encore disparu par l'avènement du communisme à son stade avancé – est capable de prendre en compte les intérêts de l’ensemble de la collectivité dans l’économie, d’organiser l’équilibre financier entre différentes branches de l’économie, de planifier les investissements de manière sensée, de désactiver les lois du marché et de s’occuper de la répartition des biens de consommation qui ont été produits. L’ancienne Poste publique était (avec ses limites) un exemple des possibilités qu'offre l'État. Les parties non rentables de la Poste étaient financées avec les moyens des parties plus rentables, afin de maintenir un service abordable pour les masses – une économie solidaire d'elle-même.

Le terme “nationalisation” entraine des connotations négatives chez une grosse partie de la classe des travailleurs au souvenir de la nationalisation stalino-bureaucratique, comme en Allemagne de l’Est, ou des nationalisations bureaucratiques capitalistes, et donc orientées vers le profit, que l’on a vues dans le monde capitaliste. Nous ne pouvons pas faire comme si cela n’existait pas, nous pouvons seulement tenter de trouver une manière de souligner le contenu de notre revendication et de le placer au cœur du débat. Cela, nous l’avons fait dans le passé en recourant à d’autres notions dans le but de pouvoir entrer en dialogue avec la classe des travailleurs : passage sous propriété publique et entre les mains de la collectivité. Nous avons encore utilisé des slogans tels que “Opel aux mains des travailleurs”.

Il est absolument nécessaire d’être flexible dans de tels débats, mais nous ne devons jamais mettre de côté notre contenu. La notion de “propriété collective” peut aussi vouloir dire propriété sous forme de coopérative. L’expropriation signifie seulement que l’on veut dépouiller le propriétaire actuel de sa propriété, mais ne dit encore rien à propos de la nouvelle forme de propriété. La notion de “socialisation”, en revanche, est avant tout une forme théorique et erronée en tant que revendication transitoire, parce qu’elle peut conférer l’impression qu’il est possible dans la situation actuelle d’avoir une société qui ne fonctionnerait pas sur base d’un État. Nous préférons ne pas utiliser ces termes car ils ne sont pas clairs. Ceci ne signifie toutefois pas que nous devons argumenter contre l’usage de ces notions au cas où elles seraient utilisées lors d’assemblées de travailleurs. Mais nous devons chercher une manière de donner un contenu marxiste correct à ces concepts.

Le président bolivien Evo Morales a renationalisé l'électricité de son pays
“Nationalisé – propriété des Boliviens”

Limitations par le capitalisme et le stalinisme


Il est important de faire une distinction claire entre notre revendication de nationalisation et sa version stalinienne, de même qu’avec les formes de plus en plus nombreuses de nationalisations capitalistes. C’est pourquoi y ajouter la question du contrôle démocratique et de la gestion par les travailleurs est un argument clé. Cet argument doit lui aussi être employé de manière flexible dans différentes situations concrètes. Nos formulations sont aussi à adapter en fonction du lieu où nous allons les utiliser, auprès de travailleurs dont l’usine est menacée de fermeture ou dans un tract à un congrès de Die Linke (parti large de la Gauche en Allemagne) pour commenter les propositions de programme, par exemple. Il peut être nécessaire d’employer des formulations plus courtes et plus pointues. Par exemple : “Nationalisations dans l’intérêt des travailleurs” ou “Nationalisations, pas pour sauver leurs profits, mais pour sauver l’emploi”. Dans notre programme général, il peut être judicieux d’utiliser “Nationalisations socialistes, pas capitalistes”. De tels slogans ne sont par contre certainement pas adaptés à un discours agitationnel à la porte du chantier naval de Rostock (en ancienne Allemagne de l’Est). Ils peuvent par contre bien clarifier un discours lors d’un congrès régional de Die Linke. En même temps, nous devons être clairs sur le fait que nous sommes contre certaines nationalisations, comme le fait de nationaliser uniquement des secteurs économiques non rentables – ainsi on laisserait l'État se charger uniquement des pertes, et les capitalistes investir l'ensemble des secteurs qui rapportent ?

Nous devons également concrétiser la question de l’indemnisation. Dans le passé, nous avons formulé cette revendication ainsi : “Indemnisation seulement sur base de besoins prouvés”. Cette formulation était plutôt rhétorique, parce que les capitalistes et les grands actionnaires n’étaient pas vraiment des miséreux. Vu le fait qu’il y a une plus grande part de travailleurs qui possèdent des actions, nous devons aujourd’hui revendiquer le fait que l’indemnisation soit prévue seulement pour les petits actionnaires jusqu’à un montant qui reste à fixer.

La revendication de la nationalisation sous contrôle et gestion par les travailleurs est une revendication transitoire. Ceci signifie que nous ne devons pas les placer uniquement dans le cadre d’un État prolétarien ou d’une société socialiste. Nous disons cela aussi pour la situation concrète où nous revendiquons, ici et maintenant, la nationalisation de certaines entreprises et secteurs. Avec la crise actuelle, on va voir apparaitre des situations où la nationalisation d’une entreprise bien définie va devenir la revendication principale dans certaines luttes. En même temps, il n’est pas exclu que l’État capitaliste se voie poussé à nationaliser. Dans de tels cas, nous allons devoir répondre de manière concrète à la question de savoir comment nous envisageons le contrôle et la gestion par les travailleurs de cette entreprise une fois nationalisée.

Lorsque l’on parle de la revendication générale de la “nationalisation des 150 plus grandes banques et entreprises”, il est suffisant d’utiliser la formulation générale de “contrôle et gestion par les travailleurs”. Dans notre brochure “Qui nous sommes et ce que nous voulons”, nous avons écrit : « À travers des représentants élus du personnel et de la classe ouvrière ». La revendication de nationalisation renvoie directement à la nécessité de la transformation socialiste de la société, lance la question de la planification de l’économie, de la reconversion de l’économie dans certains secteurs, etc. Mais que disons-nous aux ouvriers d’Opel en lutte lorsque nous leur proposons de lutter pour la nationalisation de leur entreprise ici et maintenant – c’est à dire, sans que la révolution socialiste ne soit en vue ? Il y a des gens de gauche, comme Ernest Mandel (dirigeant historique de la tendance trotskiste “Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale”), qui refusaient chaque participation à la gestion des entreprises nationalisées dans le cadre du capitalisme. Ils justifiaient cela en disant que cela ne pouvait mener dans l'esprit des représentants des travailleurs aux organes de gestion qu’à l’acceptation de la logique de profit et à former des gestions mixtes telles que nous les connaissons aujourd’hui en Europe. Selon Mandel, on ne devait pas compter sur le contrôle ouvrier dans le cadre du capitalisme.

Nous disons qu’une opinion si négative des travailleurs est difficile à justifier dans une situation concrète dans la lutte pour la nationalisation ou dans le cas de la nationalisation. Une telle attitude ne fait justement que pousser les travailleurs dans les bras de modèles réformistes de gestion mixte.

Comme il est expliqué dans les textes de cette brochure, il n’existe pas de gigantesque fossé entre la question du contrôle par les travailleurs et celle de la gestion démocratiques par les travailleurs. La thèse valable et générale selon laquelle le contrôle par les travailleurs serait une phase de la lutte de classe dans le cadre du capitalisme, tandis que la gestion par les travailleurs ne serait possible qu’après la prise de pouvoir par la classe ouvrière, ne peut pas être appliquée de façon mécanique. Comme cela s’est vu dans le passé, on peut voir apparaitre des situations où, dans les entreprises nationalisées, la lutte est menée pour la gestion par les travailleurs, et même parfois avec succès.

Cette question se pose sans aucun doute ainsi dans certaines entreprises nationalisées au Venezuela, et s’est posée dans le passé au Royaume-Uni après la Seconde Guerre mondiale, de même que dans le Mexique des années ‘30. C’est sur cette question que se penchent les textes de cette brochure. Dans de pareilles situations, les révolutionnaires ne peuvent pas lancer la nécessité de la mise sur pied de conseils des travailleurs en tant qu’organes de pouvoir des travailleurs et de gestion lorsque la phase de la lutte de classe n’y répond pas. Trotsky (dirigeant de la révolution russe avec Lénine, puis chef de l'opposition à la dictature stalinienne) a, à partir de l'expérience mexicaine, attiré l’attention sur le fait que la tâche des organisations révolutionnaires consistait alors à utiliser leur position au sein des conseils de gestion en tant que plate-forme de propagande révolutionnaire, et à refuser toute forme de collaboration de classe. Cette approche clarifie le fait que cette question est étroitement liée à la lutte pour l’indépendance et la démocratisation des organisations prolétaires et à la lutte pour la construction d’un parti révolutionnaire.

Enfin, aujourd’hui, la lutte pour le contrôle par les travailleurs est indissociable du contrôle par les travailleurs de leurs propres organisations et de leur propre lutte. C’est un slogan crucial dans notre politique. Nous partons de la lutte pour la démocratisation des syndicats, continuons vers la mise sur pied de comités de grève et d’occupation, et amenons ensuite la question du contrôle ouvrier de la production dans les entreprises ainsi occupées.

Les mineurs sud-africains demandent la nationalisation de l'ensemble du secteur minier
« Payez-nous 600 000 francs ou bien faites vos bagages et quittez le pays »

Triple parité


Sur base de ces réflexions, nous avons dans le passé basé la revendication pour la gestion des entreprises nationalisées selon la formule : un tiers de représentants du personnel, un tiers de représentants du mouvement syndical au sens large, et un tiers de représentants du gouvernement. Cette formule garantit qu’il y ait une majorité de travailleurs présente dans les organes de gestion et qu’en même temps, à travers les représentants du mouvement syndical au sens large, les intérêts des employés dans le secteur entier et même de l’ensemble de la classe ouvrière soient représentés. Via les représentants de l’État, c’est ensuite l’ensemble de la société qui est représentée.

Nous n’avons plus utilisé cette formule dans les années ‘90 car la question de la nationalisation ne s’y posait presque jamais de manière concrète, et par conséquent cette revendication est devenue purement propagandiste. Maintenant, suite au virage à droite des directions syndicales, le doute existe de savoir si avec un tel modèle on aurait encore une majorité qui défendrait effectivement les intérêts de la classe ouvrière. Vis-à-vis de la représentation de l’État, il était auparavant plus facile de donner l’image que les intérêts des travailleurs pourraient également être défendus avec un gouvernement, lorsque la social-démocratie (PS et affiliés) était encore un parti des travailleurs, même avec une direction bourgeoise. Nous devons tenir compte de ces limites lorsque nous rédigeons aujourd’hui des revendications concrètes concernant la gestion des entreprises nationalisées, mais les points de départ restent les mêmes. Ainsi, la réponse concrète peut varier d’une entreprise à l’autre : une usine de vélos n’est pas la banque KBC, et une brasserie n’est pas Opel.

En principe, nous devons retenir la proposition d’une gestion paritaire, à laquelle participeraient les travailleurs de l’entreprise, le secteur, le gouvernement, mais aussi des représentants d’autres groupes de la population concernée (consommateurs, riverains, groupes écologistes, etc.). Le fait que des représentants des travailleurs constituent une majorité demeure central.

Il faut aussi résoudre le problème de la méfiance légitime envers les représentants syndicaux imposés d’en haut. Nous devons revendiquer de manière explicite le fait que les représentants syndicaux soient élus de manière démocratique par la base, avec des représentants du personnel, eux aussi démocratiquement élus. Cela signifie que la question de la démocratie et de la combattivité des syndicats est posée. Formellement, de telles élections peuvent prendre place lors d’assemblées spéciales de délégués. Les délégués auprès de tels congrès doivent être élus lors de réunions générales de l’entreprise, être révocables à tout moment et continuer à recevoir uniquement leur salaire habituel.

Les représentants du gouvernement doivent eux aussi être représentés parce que l’État, en tant que propriétaire, doit respecter ses engagements. Il faut que de l’argent soit disponible, l’acquisition des biens produits doit être garantie et une répartition des moyens judicieuse pour la société doit être organisée. Parmi les masses de la population, il ne serait pas accepté – sauf lors de périodes révolutionnaires – que le gouvernement élu n’ait aucune participation dans les entreprises d’État.

Nous adhérons volontiers à la critique à laquelle il faut s’attendre de la part des ultragauches, que nous défendons sur cette base l’idée des nationalisations dans le cadre du capitalisme (et donc, que nous serions selon eux réformistes) : nous n'attendons en effet pas la révolution socialiste pour lutter pour le maintien de l’emploi et des entreprises. En même temps, nous devons expliquer que la transformation socialiste de la société ne se produira pas par une extension systématique de l’industrie nationalisée. Nous sommes cependant pour les nationalisations dans le cadre du capitalisme et proposons une forme pour celles-ci qui en même temps rompe avec le cadre capitaliste. C’est la méthode dynamique du programme de transition.

Cette revendication est utilisée en dialogue avec les travailleurs qui luttent pour cela, en tant que point de départ pour une discussion sur la nécessité d’un autre gouvernement et d’un autre État – un État prolétarien basé sur le pouvoir des agoras, comités d'entreprise et parlements de la rue démocratiques et apolitiques.

Ainsi, nous approchons la question de la triple parité de manière flexible et n’en faisons aucun fétiche. Dans les sociétés de logement, ce sont les locataires qui doivent être représentés ; dans l’industrie chimique et automobile, il faut impliquer des associations environnementales ; pour la gestion de brasseries ou de la grande distribution nationalisée, des représentants des petits commerçants (propriétaires de maquis, boutiquiers, etc.) peuvent être présents.

Cet ensemble de textes doit pour cela faire en sorte qu’une discussion sur notre méthode ait lieu dans notre organisation, et que nous soyons en état, en tant que socialistes révolutionnaires, d’appliquer cette méthode de manière autonome lors des mouvements de lutte à venir. Des contributions à cette discussion sont expressément encouragées.

Pour une nouvelle Caistab, sous contrôle démocratique de la population,
des travailleurs de la filière cacao et des planteurs !
Nationalisation de Cargill, Callebaut et compagnie,
et de l'ensemble de la filière cacao !

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