lundi 12 août 2013

Théorie : quelle démocratie voulons-nous ?

Démocratie capitaliste contre démocratie des travailleurs  




Avec la crise et la vague révolutionnaire qui parcourt le monde entier, de plus en plus de gens se posent la question de savoir quel type d'organisation politique et sociétale nous devons avoir. Les révolutions en Tunisie et en Égypte ont beau avoir été un “triomphe de la démocratie”, force est de constater que « La démocratie, ça ne se mange pas ». Et que le peuple s'y voit aujourd'hui contraint à une seconde révolution – mais pour aller où ?

Les différents mouvements et collectifs citoyens nés des luttes au Brésil, en Turquie, etc. ont envisagé diverses solutions telles que le “contrôle citoyen” ou le “développement de la démocratie”. Mais la démocratie parlementaire est-elle le sommet indépassable en matière de démocratie ?

Adaptation d'un article rédigé en 2002 par notre camarade Jean Peltier, (ex-)membre de notre section belge

Des droits… oui ! mais pour quoi faire ?

Aujourd’hui le capitalisme non seulement cherche à se présenter comme le seul système économique viable (malgré la crise mortelle dans laquelle il est plongé), mais surtout comme le résultat final, l’apogée du processus historique de l’avènement de la démocratie. 

Les idéologues bourgeois mettent ainsi en avant le suffrage universel, l’égalité devant la loi comme autant de garants indépassables du système démocratique actuel. Mais de quelle démocratie parle-t-on ? En distinguant (de façon artificielle) pouvoir politique et pouvoir économique, ils essaient de nous faire croire que la démocratie c’est d’avoir le droit de vote et le droit de s’exprimer librement. Or que valent ces droits s’ils ne permettent pas de se débarrasser de ceux qui nous exploitent à des seules fins économiques ? Et quelle valeur ont-ils s’ils ne sont pas universels ?

Pendant la colonisation, les Occidentaux ne se sont pas embarrassés des questions et principes démocratiques : des millions de déportés africains vers les plantations des Amériques, des génocides un peu partout, des hommes et femmes exploités, torturés, massacrés, les travaux forcés en Afrique et en Asie. Ainsi, alors que le “monde libre” se congratulait en 1945 de la victoire contre le fascisme, il n’hésitait pas en Algérie à réprimer dans le sang et l’horreur la révolte de Sétif en mai de la même année.

La démocratie parlementaire n’implique aucun moyen de contrôle des élus par les électeurs. Une fois élus, ceux-ci se retrouvent soumis à toutes les pressions et toutes les tentations. Rien ne permet d’agir pour les empêcher d’oublier ou de renier leurs promesses électorales. On demande aux gens d'attendre cinq ans avant de voter quelqu'un d'autre, qui fera pareil.

Cela ne signifie évidemment pas que le système parlementaire ne vaut pas mieux qu’une dictature bananière… Les droits démocratiques, qui ont été acquis par des luttes souvent très dures dans le passé – droits d’expression, d’organisation, de manifestation, de vote –, assurent des conditions de lutte aujourd’hui bien meilleures que celles qui existaient il y a un siècle ou qui existent aujourd’hui dans des systèmes véritablement dictatoriaux (Chine…). Nous devons non seulement défendre ces droits contre toutes les tentatives gouvernementales de les restreindre, mais aussi faire le maximum pour les étendre et imposer leur application à tous, sans distinction de race, de nationalité ou de sexe.

Ouvriers en lutte pour le droit de vote en Belgique,
chargés par la gendarmerie à cheval (1886)
La démocratie, même bourgeoise, est une conquête de la lutte
L’égalité : mythe ou réalité ?

L’égalité devant la loi dans tous les pays occidentaux est uniquement un paravent légal ne pouvant plus masquer la corruption généralisée. En France, la valse des marionnettes politiciennes (affaire Cahuzac, affaire Bettancourt…) devant les juges d’instruction est devenu une véritable danse macabre entrainant maires, conseillers généraux, députés, ministres, jusqu’à Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, anciens présidents de la République. Cependant, les peines encourues (quand elles le sont) sont ridiculement faibles par rapport à celles des condamnés de droit commun. Il vaut mieux être une crapule politicienne démasquée mais assurée d’une quasi-immunité qu’un jeune de banlieue ayant volé un scooter.

De même, comment parler de démocratie quand les taux d’abstentions dépassent les 50 % et que la plupart des “représentants” de la population ne sont donc même pas élus par la majorité des électeurs ? On sait par exemple que lors du duel George Bush – John Kerry aux élections présidentielles américaines de 2004, Bush a été élu avec en réalité seulement 25 % des voix des électeurs totaux. Les abstentionnistes ne voient plus l’intérêt de se déplacer aux urnes quand, quelle que soit la couleur politique des candidats, ils appliquent en fait la même politique.

La population est de plus en plus consciente du fossé qui la sépare des hommes politiques. Combien d’ouvriers y a-t-il dans les parlements des “grandes démocraties” ? Combien de femmes ? Combien d’hommes politiques de moins de 50 ans ? De plus, le droit de vote est interdit aux étrangers alors que ceux-ci dans certains pays forment une partie non-négligeable de la population laborieuse, installés là depuis des décennies. Le monde politique est dominé par une élite de soi-disant “spécialistes”. La majorité des hommes et des femmes politiques (élus nationaux, des grandes villes…) sont pour la plupart issus de familles plus ou moins proches du pouvoir, quel que soit le pays.

Vive les “spécialistes” de la politique !

Démocratie participative ?

Ce rejet de la politique institutionnelle n’est que le reflet du fait que les électeurs n’ont au bout du compte aucun contrôle sur les décisions. En effet, quand bien même un politicien honnête, intelligent et radical se ferait élire à la tête de l'État bourgeois, il ne pourrait mettre en place son programme sans voir toute une série d'acteurs lui mettre de sérieux bâtons dans les roues. Les seuls qui possèdent un réel pouvoir sur les politiques sont ceux qui détiennent le pouvoir économique.

Nombreux sont ceux qui demandent plus de démocratie par la multiplication des référendums, comme ça a été le cas pour l’adhésion au projet de “constitution européenne” en Irlande. Malgré un vote défavorable, il n'y a eu aucune conséquence. Les Irlandais se sont vus contraints de voter et revoter au même référendum jusqu'à ce que le projet de loi passe. Ainsi s'est poursuivie la construction de l’Europe néolibérale sans qu’il ne soit tenu compte de l’avis exprimé par une partie de la population. De même en Belgique, lors de la grave crise sociale entrainée par l’affaire Dutroux et la “marche blanche” (en 1996), la population a exigé un contrôle plus important sur le pouvoir politique. En réponse, le gouvernement a voté une loi permettant l’établissement d’un… référendum au niveau communal ! En dernier ressort, c’est le pouvoir qui accorde ou non le référendum et c’est lui qui formule la question – le contrôle de la population est donc plus que réduit.

Une autre idée à la mode est celle de la démocratie participative. En référence à l’expérience tentée à Porto Allegre au Brésil, certains groupes et même certains parlementaires ont avancé l’idée d’organiser certaines instances de la société (principalement dans les villes) en comités de citoyens dans lesquels la population serait consultée sur la façon dont le budget est utilisé.

Cependant, il se limite à consulter la population et ne lui permet pas de participer aux prises de décisions. Un tel dispositif ne peut constituer une réelle avancée démocratique, que si la population est réellement associée à l’élaboration des politiques économiques et sociales, ce qui implique de rompre avec le capitalisme

 
Pas de démocratie politique sans démocratie économique !

Le principal problème est que l’extension de la démocratie dans un système parlementaire sera toujours limitée par les énormes restrictions qu’imposent la domination de la propriété privée et des grands groupes industriels et financiers. À moins que les capacités de production ne soient réellement contrôlées par la majorité de la population et mises au service de la satisfaction des besoins sociaux, la démocratie ne pourra avoir qu’un caractère très limité.

Face à cette “démocratie au rabais”, les travailleurs ont à de nombreuses reprises mis en avant une autre forme de démocratie, directe celle-là. Avec des formes plus ou moins avancées, de la Commune de Paris en 1871 au Portugal de 1975 jusqu’à la Russie de 1917, et puis encore avec les agoras des Indignés espagnols et grecs, les assemblées du mouvement Occupy aux États-Unis, les comités de salut en Tunisie… les travailleurs ont chaque fois développé leurs propres organisations de lutte, en commençant souvent par des formes élémentaires comme les comités de grève, puis en créant par la suite des formes plus élaborées.

C’est lors de la révolution russe de 1917, au sein des “soviets” (mot russe signifiant “conseil”) que les travailleurs ont été capables d’établir une forme de démocratie directe, réellement à même de diriger la société (même si la révolution a par la suite été trahie par la clique bureaucratique autour de Staline, sur base du contexte difficile de la guerre civile). La prise de pouvoir par les travailleurs, organisés sur cette base, produirait une société de loin plus démocratique, en tous points, que n’importe quelle démocratie bourgeoise. Elle doit commencer par la destruction de l’État capitaliste et l’établissement d’un nouvel État, fondé sur des conseils ou comités de travailleurs.

Il faut être cependant extrêmement vigilant quant au fait que ces comités ne soient pas récupérés par des forces de l'État capitaliste qui chercherait à asseoir son pouvoir sur eux – comme on l'a vu en Côte d'Ivoire par exemple. Ces comités doivent être absolument indépendants de tout parti bourgeois et de l'État bourgeois – ils ne doivent pas former une base pour le pouvoir (bourgeois), mais ÊTRE le pouvoir.

À tous les niveaux – local, régional, national, puis au-delà – ces conseils doivent être constitués de délégués mandatés par des assemblées se réunissant fréquemment et où la discussion collective doit avoir lieu continuellement. Ces délégués doivent être responsables de leurs actes devant ceux qui les ont élus, ne recevoir aucun privilège matériel pour leur responsabilité (autre que le salaire moyen d'un travailleur qualifié, càd. environ 200 000 francs par mois, point) et révocables par eux (c'est-à-dire, qu'on peut à tout moment leur enlever leur mandat sans attendre un certain délai). 

Les forces armées et la police, non démocratiques et autoritaires, doivent être remplacées par des milices de travailleurs contrôlées démocratiquement et responsables devant ces conseils.

L’ensemble des entreprises, des écoles, des hôpitaux doivent passer sous la gestion directe des gens qui y travaillent, en collaboration avec les organismes chargés de mettre en œuvre la planification économique. Tous les aspects de la vie et de la production doivent être ouverts à la discussion et au contrôle, l’économie et la politique ne doivent plus être séparées mais réunies, le vote ne doit plus être une exception occasionnelle mais une pulsation de la vie quotidienne. Tous les responsables publics doivent être pareillement élus et contrôlés et les salaires de ces délégués et fonctionnaires ne doivent pas dépasser celui d’un travailleur qualifié.

C’est là un système qui serait jugé fort peu démocratique par les anciens possédants privés de leur pouvoir. Mais il serait mille fois plus démocratique pour les travailleurs que le parlementarisme encensé aujourd’hui par tous nos dirigeants. Un tel contrôle démocratique des travailleurs, n’a rien à voir avec le “contrôle citoyen” dont il est question dans certains mouvements antimondialisation. La seule garantie d’une réelle démocratie à tous les niveaux de la société réside dans l’abolition du système d’exploitation qu’est le capitalisme, pour l’instauration du seul véritable socialisme, le socialisme révolutionnaire.

Assemblée lors de la révolution de mai 68 en France à la Sorbonne

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