mardi 25 juin 2013

Kirghizie : nouveaux mouvements de masse

Les insurgés kirghizes réclament la nationalisation

Des heurts se sont produits dans la nuit du 30 au 31 mai dans le village de Tamga entre les habitants de la préfecture de Jeti-Ögüz de la province de Ysyk–Köl (Nord-Est) et les renforts de la police et de l'Omon (police anti-émeutes) qui y avaient été envoyés. Selon les médias officiels, plus de 100 manifestants ont été arrêtés, et 6 personnes ont été hospitalisées. Toute la nuit, les agents du ministère de l'Intérieur de la république kirghize ont protégé des militants, dont de nombreux habitants de la région, la sous-station qui approvisionne en électricité la mine d'or de Kumtör ; les habitants ayant coupé le courant à la mine, ce qui avait du même coup interrompu la production. Le 31 mai, en réponse à l'intervention de la police, la population s'est soulevée en une insurrection qui ne s'est toujours pas calmée et pourrait se développer en une nouvelle révolution.
Rapport par notre camarade Aynur Kurmanov, dirigeant en exil de notre section kazakhe, 
Sotsïalistitchiskoïé Soprotivleniyé Kazakhstana / Qazaqstannyn Sotsïalistik Qarsylygy (Résistance socialiste du Kazakhstan)

Cela faisait depuis le 27 mai que les habitants des villages de Tamga et de Barskoon avaient posé des barrages et des yourtes sur la route qui mène à la mine de Kumtör, bloquant ainsi complètement l'accès des produits et des carburants, et empêchant les changements de pause des travailleurs. Pendant la nuit de jeudi à vendredi, le président de Kirghizie, Almazbek Atambayev, a signé un décret instaurant l'état d'urgence sur tout le territoire de la préfecture de Jeti-Ögüz, qui est entré en vigueur le 31 mai à 15 heures. Le commandement a été assigné au premier suppléant du ministre de l'Intérieur, Baktybek Jusubaliyev, et le territoire de la préfecture a été submergé par les détachements de police et de forces intérieures. Cependant, la situation pourrait rapidement échapper au contrôle des forces du gouvernement, et des troubles ont déjà entrainés les populations voisines et d'autres provinces. Le 30 mai, le bâtiment de l'administration de la province de Jalal-Abad, au centre du pays, a été occupé par les manifestants.

Ce par quoi tout a commencé

C'est le 27 mai que sont apparues dans la presse kirghize les premières communications sur le fait que des barrages de 500-600 personnes bloquaient la route qui mène à la mine d'or de Kumtör, qui appartient à la compagnie “Kumtor Operating Company”, qui elle-même appartient en majorité à la compagnie canadienne “Centerra Gold Inc.”. Depuis 2003, les résidents mènent une lutte constante contre cette multinationale qui pollue l'environnement et mène une exploitation prédatrice des strates aurifères. Le blocage de cette importante voie de transport, qui historiquement faisait partie de la route de la soie, est devenue critique pour l'actuel gouvernement et président, et a déjà mené à une crise politique.
Cela n'est d'ailleurs pas étonnant : en effet, Kumtör compte pour environ 12 % du PIB de la Kirghizie, et pour 20-25 % des revenus du budget national. Cependant, de l'avis de l'opposition et des habitants organisés, l'accord sur l'exploitation du gisement d'or de Kumtör qui a été signé en 2009 n'est clairement pas profitable pour la Kirghizie. Ces opposants affirment que la part du lion des revenus va dans la poche des étrangers, et que la compagnie canadienne elle-même n'investit pas de véritables moyens dans le développement de l'infrastructure et de la sphère sociale de la région, alors qu'on voit apparaitre de plus en plus de maladies liées à l'extraction d'or, et que les jeunes locaux ne parviennent pas à trouver un travail dans la mine ou dans l'usine.
Mais la plus importante accusation à l'encontre du gouvernement est le fait qu'il n'a pas accompli sa principale promesse et revendication qui l'a porté au pouvoir lors de la révolution d'avril 2010 – la nationalisation complète de l'industrie minière. En outre, cet accord sur l'extraction de l'or aurait été signé par les Canadiens avec l'ancien président corrompu et aux mains sanglantes, Kurmanbek Bakiyev, qui a été jeté à bas par les masses insurgées – il ne serait donc pas légitime. À présent tous ces simples citoyens qui ont déjà participé à l'époque aux manifestations révolutionnaires sont à l'évidence convaincus du fait qu'un simple changement de gouvernement et de président n'a pas amené le moindre changement social fondamental, et que leur vie et leur situation n'a au contraire fait qu'empirer.
Le 29 mai, la question de l'opposition des habitants au gouvernement est devenue l'objet de débats houleux dans le parlement du pays. « La route est fermée, on y trouve les habitants de deux villages : Tamga et Barskoon. Une très grande population réside dans les villages voisins, il ne faut pas arriver à une situation où va se répandre le sang de qui que ce soit », – a dit un député. « Lors du meeting dans la province de Yssyk-Köl, plus de 2000 résidents de la préfecture de Jeti-Ögüz étaient présents ». – dit la députée Joldoşeva. Les députés ont reçu avec étonnement une liste de 13 revendications qui leur a été adressée par les habitants.
Un des organisateurs du mouvement contre la mine d'or de Kumtör, Ermek Junuşbayev, a menacé les députés et les bureaucrates du gouvernement de fermer la route jusqu'à ce que soient satisfaites toutes les revendications des manifestants. Ainsi, le président du syndicat des métallurgistes et des mineurs, Eldar Tajibayev, a déclaré que les manifestants avançaient une série de revendications adressées à la direction de la Kumtor Operating Company. Les manifestants exigent que 85 % des employés de la compagnie soient engagés parmi la population locale, les habitants de la préfecture de Jeti-Ögüz.

La mine de Kumtör

De même, les manifestants ont fait connaitre les revendications suivantes :
  • L'hôpital de la préfecture de Jeti-Ögüz doit être entièrement rééquipé et transféré sous le patronage de la compagnie.
  • La construction de plusieurs hôpitaux pour tous les villages de la préfecture de Jeti-Ögüz, en fonction de la quantité d'habitants.
  • La remise à niveau du système d'approvisionnement en eau dans le village de Kyzyl-Suu, chef-lieu de préfecture de Jeti-Ögüz. Cela concerne également les villages de Darhan, Ak-Terek, Jargylçak, Barskoon, et Bogatyrovka.
  • La rénovation de l'orphelinat de la préfecture de Jeti-Ögüz.
  • La construction de la quantité nécessaire de crèches pour enfants, et en particulier d'une crèche de 3 étages et 350 places à Kyzyl-Suu.
  • La réparation des routes.
  • La construction d'un barrage dans la vallée de Juuku pour contrer le dégel rapide des glaciers causé par les déchets et les gaz de la mine de Kumtör.
  • Un crédit à chaque famille de la préfecture de Jeti-Ögüz, avec taux d'intérêt de maximum 5 %, délai de paiement de 8-10 ans.
  • À tous les pauvres de la préfecture de Jeti-Ögüz, apporter une aide matérielle et donner des carburants gratuits pour la réalisation des travaux champêtres.
  • Apporter une aide à l'équipement et aux fournitures en papeterie pour toutes les écoles qui en ont besoin dans la préfecture.
  • Construire un centre sportif et des salles de sport.
  • Apporter une aide au vétérinaires de la province.

30 mai – occupation de la sous-station et coupure de courant à la mine de Kumtör

Ces revendications, comme nous le voyons, sont totalement fondées si l'on prend en compte le fait que le budget local miséreux ne bénéficie pas du tout de la présence dans la préfecture de la mine. En outre, ce que les dirigeants des habitants insurgés voient en tant que tâche principale est précisément la nationalisation de Kumtör. Et puisque les gros bureaucrates du gouvernement ont refuser d'aller négocier avec les manifestants, les activités des résidents ont acquis un caractère de plus en plus radical.
Le 30 mai à 18 h, quinze voitures chargées de manifestants ont déboulé dans le village de Tamga, avec la ferme intention de bloqure la sous-station électrique qui alimente la mine. Aux côtés de la colonne de véhicules se trouvaient également des cavaliers. Quelques-uns des résidents, armés de bâtons, se sont efforcés de se frayer un passage sur le terrain de la sous-station, mais les policiers les ont arrêtés. Mais cette victoire de la police s'est avérée être de très court terme.
Les manifestants qui ont bloqué la sous-station ont exigé que leur soient envoyé des équipes de tournage de l'OTRK (la principale chaine télévisée kirghize) et du “Canal 5”. Ils ont demandé cela au gouverneur de la province de Ysyk-Köl, M. Asanakunov, lorsque celui-ci est arrivé à Tamga. Dans le cas contraire, ils ont menacé de pénétrer dans la sous-station et de couper la ligne qui approvisionne la mine de Kumtör. Sur la sous-station à haute-tension elle-même, se trouvaient à ce moment environ 100-150 agents de police en tenue spéciale – casques, boucliers, matraques.
Cependant, plus de 2000 personnes s'étaient déjà rassemblées vers 20 h devant la sous-station, dont un groupe de cinquante cavaliers, qui étaient résolus à déchirer le cordon et à faire sortir tous les équipements du bâtiment. La police, sans afficher la moindre résistance, a autorisé à passer une grande délégation de résidents, qui ont interrompu le service énergétique au gisement aurifère vers 21 h.
À 22 h, le gouvernement s'est réuni en une session externe, où il a discuté du fait que si dans le cours de 6 heures, la mine de Kumtör n'était pas rebranchée au réseau électrique, il faudrait alors y entreprendre des travaux de rétablissement qui s'étaleraient sur 1-2 mois qui couteraient la somme de 4 millions de dollars. Les ministres et le président y sont intervenus en faveur de mesures brutales et de l'instauration de l'état d'urgence.
À 1 h du matin, les manifestants ont subi une attaque inattendue de la part de petites unités de police qui étaient arrivés du centre provincial et des régions voisines ; les dirigeants du mouvement sont tombés entre leurs mains, avec plus de cent participants à l'action. Cette même nuit, le service énergétique a été rétabli, et des dossiers criminels ont été ouverts à l'encontre des chefs des résidents. Cependant, de sérieux doutes subsistaient sur le fait que le couvre-feu et l'état d'urgence puissent sauver la situation et calmer des résidents désespérés déjà forts d'une expérience de participation à deux révolutions.

Insurrection ouverte le 31 mai

Et de fait : le 31 mai le prolétariat kirghize s'est soulevé en une insurrection ouverte, reprenant dans les faits à la police la totalité de toutes les positions antérieures. La foule, à laquelle se sont ajoutées les familles des personnes arrêtées des différents villages de la province de Ysyk-Köl, s'est de nouveau lancée à l'assaut de la sous-station de Tamga. En chemin, des manifestants ont fait irruption dans le bâtiment du ministère de l'Intérieur à Jeti-Ögüz et ont incendié plusieurs voitures de police, s'emparant également des bâtiments de la station météo.
La sous-station a de nouveau été reprise par les résidents, et la mine de Kumtör a de nouveau été débranchée du réseau électrique. La police a utilisé contre les manifestants des balles en caoutchouc, du gaz lacrymo et des matraques, mais sans succès. De plus, une grande partie des autobus et des voitures avec lesquels étaient arrivés les policiers et l'Omon ont été brisés et incendiés. La sous-station du village de Tamga se trouve jusqu'à présent entre les mains des résidents, et l'extraction de l'or est complètement à l'arrêt.
Encore le soir du 30 mai, des manifestants, parmi lesquels se trouvaient également des partisans du parti “Ata-jurt” qui soutiennent les actions des opposants de Kumtör, ont occupé les bâtiments des administrations de Jalalabat et de Mayluu-Suu, dans la province de Jalal-Abad. En plus de cela, les manifestants qui se sont emparé du bâtiment de l'administration provinciale de Jalal-Abad ont déclaré gouverneur “naturel” de la région leur leader Medet Üsönov. Les activistes qui ont occupé le bâtiment ont pleinement soutenu la revendication de nationalisation de Kumtör. À part cela, le “gouverneur” fraichement émoulu Üsönov a déclaré que les manifestants n'avaient pas l'intention d'arrêter leur action et revendiqueront la libération des députés Kamçybek Taşiyev, Talant Mamytov et Sadyr Japarov.
Selon les données même des services d'information du gouvernement, il est communiqué qu'une trentaine de femmes se sont emparées du cabinet du président du gouvernement provincial. Selon des journalistes kirghizes, à côté du bâtiment se trouvaient environ 400 manifestants qui occupaient la cour autour de l'administration et ne laissaient passer personne. Malgré l'état d'urgence et le couvre-feu, les troubles continuent, et les insurgés continuent les tentatives de s'emparer de nouveaux bâtiments administratifs.
En ce moment, il devient évident que non seulement les habitants qui ont fait reculer Kumtör sont restés inflexibles, mais aussi que le foyer de l'insurrection s'est propagé aux autres régions du pays.



Sur quelles forces politiques peuvent compter les insurgés ?

Les partisans des mesures rigoureuses, en la personne des grands propriétaires et bureaucrates, ont fait des déclarations hystériques sur ce nouveau “chaos” et sur “l'insurrection de la populace”. Ils font tout leur possible pour justifier la réaction dans la presse, le durcissement des châtiments pour tenue de manifestations non-autorisées et de barrages routiers, et exigent aussi de détruire les fauteurs de troubles et de ramener l'ordre par un poing de fer. Pourtant jusqu'ici, tout cela se passe avec difficulté. La police et le commandement militaire, qui se souviennent des évenements révolutionnaires d'avril 2010, ont refusé jusqu'au dernier moment de s'immiscer dans le conflit et de disperser les manifestants, et comme auparavant se sentent indécis.
Naturellement dans ces conditions sont nées diverses versions de ce qu'il se passe, où dans lesquelles les nouveaux maitres du pays croient voir la trace de conspirateurs et même de “bandits”, comme s'est déjà dépêché de nous le raconter le président Almazbek Atambayev. Les nouveaux candidats n'oublient pas au passage de faire l'éloge de tyrans comme Nazarbayev, qui “a ramené l'ordre” au Kazakhstan voisin. Mais derrière ce coup d'éclat de Nazarbayev se lisait la peur devant les masses révolutionnaires, qui pourraient aussi subitement balayer le gouvernement actuel de Kirghizie.
Les accusations de financement et d'organisation des troubles et des actions de protestation sont dirigées vers le politicien Azimbek Beknazarov, qui s'était déjà distingué au moment des actions de masses d'avril 2010 et avait alors beaucoup milité en faveur du renversement du régime de Kurmanbek Bakiyev. Il suivrait à présent soi-disant les traces du député condamné de la fraction “Ata-jurt”, Sadyr Japarov.
Nous rappelons que Sadyr Japarov était intervenu dans le Jogorku Kengeş (parlement de Kirghizie) avec un rapport sur les activités de Kumtör et avait appelé à nationaliser l'entreprise. Après un meeting le 3 octobre 2012 il a été arrêté de même que ses camarades de parti Kamç̗ybek Taşiyev et Talant Mamytov. Tous les trois sont accusés de tentative de prise de pouvoir par la force.
Mais en ce moment, Azimbek Beknazarov, opposant et dirigeant du mouvement “El Ünü”, réfute toute accusation selon laquelle il serait un des organisateurs du barrage de la route de Kumtör. « Je ne suis pas l'organisateur de cette action, mais je soutiens les revendications des gens envers la compagnie canadienne, parmi lesquelles la dénonciation de l'accord avec Centerra », – a-t-il déclaré le 29 mai à l'agence K-News lors d'un entretien téléphonique. « Je n'approuve pas les barrages de la route, mais j'estime que les habitants ont opté pour de telles actions par désespoir, en tant que dernière mesure, a-t-il dit. Parce que le gouvernement les escroque, en disant qu'il mène des négociations avec Centerra. Où sont-elles, ces négociations ? Le gouvernement ne sait pas défendre les intérêts nationaux de la Kirghizie. Nous luttons pour cela depuis 2003 ».
Il a affirmé en même temps que cette action des habitants de Ysyk-Köl est la suite logique de son propre meeting à Bişkek le 24 avril, lors duquel il a exigé la nationalisation de Kumtör.
Ce n'est qu'eux-mêmes que les travailleurs, en s'unissant en leurs propres partis de masse, peuvent réaliser des transformations dans leurs propres intérêts. Ils ne doivent pas faire confiance aux politiciens bourgeois qui sont leurs ennemis, et qui s'efforcent seulement d'obtenir un nouveau repartage du pouvoir et des biens.
Le slogan de la nationalisation, né dans le creuset de la révolution, reflète l'état d'âme des simples citoyens kirghizes, travailleurs et pauvres, qui ont compris beaucoup de choses depuis avril 2010, au nombre desquelles le fait que les fruits de leur victoire ont été effrontément volés par un nouveau groupe dirigeant parmi lesquels les anciens bureaucrates de Bakiyev et d'Akayev. Nous devons tous ensemble, avec les autres groupes de gauche de Kirghizie, montrer une alternative socialiste, donner aux gens qui sont entrés lutte des revendications politiques plus précises, liées à la nécessité de l'unité des travailleurs, des paysans, des jeunes chômeurs et des pauvres pour un changement complet de l'orientation du développement du pays, fatigué des expérimentations avec le marché “libre” et du pillage des multinationales.
L'auto-organisation en ses propres mouvements, comités, la tenue de nouveaux kurultay (assemblées populaires), pourraient fonder la nouvelle base d'un mouvement de masse démocratique et révolutionnaire, indépendant de tous les groupuscules politiques bourgeois existants.

Pour la nationalisation des mines !

---------------

La Kirghizie : la Kirghizie est un pays d'Asie centrale, située entre la Chine (province d'Ouïghouristan / Xinjiang), le Kazakhstan, l'Ouzbékie et la Tadjikie. La plupart du pays est recouvert de hautes montagnes. 5 millions de personnes y vivent, des Kirghizes (ethnie turcique musulmane) mais aussi beaucoup d'Ouzbeks (autre peuple turcique) et de Russes. La Kirghizie a déjà connu deux révolutions politiques au cours des dix dernières années qui ont à chaque fois chassé un régime corrompu pour en installer un autre. La population kirghize n'est plus dupe et réclame le contrôle de ses richesses nationales pour le développement du pays.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire