lundi 17 juin 2013

CI : Cargill délocalise ?

Tensions autour des réformes dans la filière cacao


Depuis des années, les différents gouvernements ivoiriens ont cherché à mieux canaliser la richesse provenant du cacao et à en tirer un meilleur profit pour le pays. Au cœur de cette politique se trouve notamment les tentatives d'aller vers une transformation locale du cacao, afin de récupérer une plus grande partie de la valeur ajoutée de la filière cacao-chocolat. En même temps, l'État recherche des mécanismes permettant d'assurer une production durable de cacao, afin de contrer la tendance à la baisse de production, et de garantir un revenu stable aux planteurs. 

Seulement voilà : depuis le début de cette année, une guerre fait rage entre les grands groupes du cacao et l'État, concernant différents points de gestion de la filière. Des groupes comme Cargill ont gelé leurs investissements et parlent de délocaliser : qu'en est-il exactement ? Nous faisons un petit tour de la question dans cet article.

Article par Jules Konan, CIO Côte d'Ivoire


La tradition exige que tout article parlant de cacao rappelle que la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial de cacao, avec 40 % de la production mondiale. Nous ne dérogeons donc pas à cette règle. Le cacao a en effet bel et bien été à l'origine du “miracle ivoirien” des années '60-80, années pendant lesquelles notre pays était en marche vers le développement, dépassant même des pays comme la Corée sur toute une série d'indicateurs. Aujourd'hui, malgré la récente ruée sur l'hévéa (pour le meilleur ou pour le pire), le cacao reste une richesse nationale de premier plan pour notre pays, représentant 15 % du PIB et 40 % des recettes d'exportation.

De manière générale d'ailleurs, l'agriculture en Côte d'Ivoire occupe toujours 66 % de la population active, et fournit 70 % des recettes d'exportation : café, caoutchouc, huile de palme, anacarde, coco, fruits, élevage… Le principal secteur industriel ivoirien est tout naturellement le secteur agro-alimentaire, qui représente 24 % de la valeur ajoutée du secteur secondaire.

Le cacao joue un rôle crucial dans l'économie ivoirienne

La filière cacao

La source de toute richesse et de toute valeur est le travail humain. C'est pourquoi, tous les économistes savent que le fait de travailler au maximum une ressource naturelle sur le territoire national avant de l'exporter, permet de créer plus de richesse pour le pays. Dans la société actuelle, qui se caractérise par une grande division du travail, les différentes étapes dans la transformation d'une ressource jusqu'à son stade de produit fini sont souvent effectuées non pas par une même personne à un même endroit (comme c'était le cas avec l'artisanat), mais par différents acteurs, différentes entreprises, à des endroits différents, et qui chacun effectue une étape bien déterminée du processus. C'est ce qu'on appelle une “chaine de valeur” ou encore une “filière”.

Ainsi, les différentes étapes de la filière “cacao” sont la production de cacao par le planteur, la transformation primaire du cacao en poudre de cacao et en beurre de cacao (broyage), la transformation secondaire de la poudre de cacao en chocolat (différentes étapes), et la distribution finale au consommateur. Entre chaque étape, il faut ajouter le transport d'un endroit à l'autre, le commerce, l'emballage, et les fournisseurs des différents acteurs (vendeurs d'engrais aux planteurs, etc.).

À chaque étape de la filière, un nouveau travail est effectué, qui de par lui-même ajoute de la valeur au produit. Ce travail est, puisque nous sommes en système capitaliste, la plupart du temps effectué par des travailleurs qui ne reçoivent sous forme de leur salaire qu'une partie de la valeur du travail qu'ils ont effectué. Le reste, après paiement des diverses charges (dont les taxes à l'État), est accaparé par le capitaliste qui les a invités à travailler pour lui. Ce capitaliste pouvant prendre la forme de l'État ou d'un partenariat public-privé. Cette plus-value peut ensuite être utilisée par le capitaliste pour manger, pour investir dans la production, pour être placé sur un compte quelque part d'où il ne sortira jamais, ou, dans le cas de l'État, pour financer les services publics, etc. (ou manger).

Après que le cacao a quitté le champ, il passe entre de nombreuses mains
avant de devenir chocolat

Petite histoire du cacao en Côte d'Ivoire

D'où l'enjeu de la transformation locale des matières premières. Jusqu'aux années '80, la Côte d'Ivoire avait tendance à exporter l'ensemble de ses produits agricoles sous forme non-transformée. La transformation se faisait en Europe. C'est-à-dire que la valeur ajoutée par le travail de cette transformation était créée en Europe également. Jusque là pourtant, tout allait bien et l'État ne semblait pas y voir un gros problème. Là où les choses se sont gâtées, c'est au moment de la chute soudaine du prix du cacao, à la fin des années '80. La Côte d'Ivoire a alors appris à ses dépens l'importance non seulement économique mais aussi stratégique de la transformation.

À ce moment-là en effet, la surproduction de cacao au niveau mondial (à cause de l'extension débridée des plantations en Côte d'Ivoire, mais aussi de l'entrée en scène de nouveau pays producteurs, comme l'Indonésie), a causé une baisse des cours mondiaux, conséquence de la loi de l'offre et de la demande. Les pays importateurs de cacao en ont profité pour acheter des quantités massives de cacao à prix réduit (aujourd'hui, les cinq plus grands pays importateurs de cacao sont les Pays-Bas avec 31 % des importations mondiales – d'où la prépondérance de ces nationaux dans les institutions de l'Onuci et de la filière cacao –, suivis des États-Unis, 21 %, de la France, 11 %, de l'Estonie, 8 % – porte d'entrée vers le marché russe – et de la Belgique, 5 %). C'est à partir de là que le rapport de forces dans la fixation du prix mondial est passé définitivement du côté des acheteurs.

Jusque là en effet, les prix étaient plus ou moins fixés par les pays producteurs et en particulier par la Côte d'Ivoire : avec son quasi-monopole sur le commerce de cacao mondial, organisé sous la structure unique de la Caistab (Caisse de stabilisation), personne ne pouvait jouer avec la Côte d'Ivoire. Mais voilà que d'un coup, les réserves de cacao dans les pays acheteurs se sont tellement accrues que eux-mêmes se retrouvent en mesure de fixer les prix (en 1999, on estimait les stocks de cacao mondiaux comme équivalents à 50 % de la consommation annuelle mondiale). La réponse du président Houphouët a été de déclarer la “guerre du cacao”, en 1989, qui sera en quelque sorte le “dernier combat” du “père de la nation”.

Voilà donc que le président Houphouët déclare qu'elle ne vendra plus un seul gramme de cacao jusqu'à ce que les stocks dans le Nord soient épuisés et que les prix remontent. D'autres se sont fait putscher pour moins que ça ! Mais aucune Licore n'est venu chasser le président. Les acheteurs ont tenu bon, alors que la Côte d'Ivoire a été contrainte de céder un an en provoquant, humiliation suprême, une nouvelle chute vertigineuse des prix du cacao, de laquelle ils ne se relèveront pas. C'est cet échec qui a mené à la faillite de la Caistab, à la ruine de l'État, à l'imposition par le FMI d'Alassane en tant que premier premier ministre de Côte d'Ivoire, à l'austérité, aux manifestations de masse et à la montée du FPI, bref, à plus de vingt ans de crise dans notre pays. Que s'est-il passé ?

La transformation du cacao revêt une importance non seulement économique, mais aussi stratégique. La Côte d'Ivoire continuait à produire et stockait son propre cacao, en attendant que les pays du Nord aient épuisé leurs stocks. Espérant ensuite revendre ces stocks plus tard, au compte-goutte, une fois que les prix seraient repartis à la hausse. Pendant ce temps, l'État ne vendait pas, mais continuait à acheter la production aux planteurs au prix garanti par la Caistab. Seulement voilà : la Côte d'Ivoire ne disposant à l'époque pas de capacité de transformation du cacao, elle ne stockait que des fèves de cacao. Or, les fèves, même correctement fermentées et séchées, ne peuvent pas se conserver très longtemps sans perdre toutes leurs qualités, surtout en climat tropical, et surtout vu le manque aussi d'infrastructure de stockage adaptée dans le pays, surtout pour une telle quantité. 

Dans le Nord, par contre, les fèves avaient été broyées pour en faire de la poudre et du beurre de cacao. La poudre de cacao est un produit relativement inerte qui peut se conserver très longtemps. Tandis que la Côte d'Ivoire voyait des milliers de tonne pourrir ou se faire ronger par les insectes, les importateurs européens rigolaient bien. Finalement, après deux ans de bras de fer, la Côte d'Ivoire s'est vue contrainte de vendre dans l'urgence tout ce qui pouvait encore être sauvé de son stock. D'où une nouvelle chute dramatique des prix, avec toutes les conséquences tragiques pour le pays déjà mentionnées plus haut. Houphouët, fatigué, ne s'en relèvera pas et laissera le pays dans le chaos.

Voilà donc toute la véritable importance du débat sur la transformation du cacao en Côte d'Ivoire.

Les stocks mondiaux sont énormes afin de parer à tout retournement du marché

Le broyage, un enjeu stratégique

En réalité, ce débat porte essentiellement sur le broyage du cacao. Le broyage ne représente pourtant que 4 % de la valeur ajoutée du chocolat final en supermarché, tandis que les autres étapes de la transformation (qui mènent de la poudre de cacao au chocolat emballé) représentent ensemble 84 % (!) de cette même valeur ajoutée. Mais ces différentes étapes, de part la nature quelque peu volatile du chocolat en tant que produit fini, requièrent une grande proximité par rapport au consommateur final. Or, les Ivoiriens, pour toutes sortes de raisons socio-économico-culturelles, ne sont pas des grands mangeur de chocolat. Pour eux, le chocolat reste un produit de luxe, et ce n'est pas la politique menée par le régime ADO – au contraire ! –, qui permettra aux Ivoiriens de pouvoir commencer à faire de pareilles dépenses dans le futur. D'où le fait que la plupart des entreprises jugent “inutile”, voire “impossible”, la transformation secondaire du cacao en Côte d'Ivoire même.

Malgré tout, si seulement le broyage était entièrement effectué en Côte d'Ivoire, cela permettrait d'accroitre sensiblement la part de la valeur ajoutée produite par le pays : en 2005, le broyage représentait 4 % de la valeur ajoutée finale contre 5 % pour le planteur, 1 % pour le pisteur (achteur bord-champ et transportateur), 2 % pour l'exportateur et 3 % sous forme de taxes à destination de l'État ivoirien. Avec le broyage local, la part de la Côte d'Ivoire passerait donc de 11 à 15 % de la valeur ajoutée. Sans oublier, rappelons-le, l'enjeu stratégique.

En conséquence, depuis la fin de la “guerre du cacao”, les différents gouvernements ivoiriens qui se sont succédé ont tous apporté une grande attention au broyage local. Par exemple, conformément à son programme visant à faire de la Côte d'Ivoire un pays émergent d'ici 2020, le président Outtara a fixé l'objectif de 50 % de cacao broyé sur le territoire national d'ici 2015. Cet objectif semble ou semblait jusqu'à présent réaliste : en 2006, la Côte d'Ivoire broyait 24 % de sa production de cacao, en 2010, 35 %. Avec ses 532 000 broyées par an, la Côte d'Ivoire est aujourd'hui devenue premier broyeur mondial, à égalité avec les Pays-Bas.

Cependant, le broyage, qui est une opération en apparence simple, nécessite un équipement très couteux. Il comporte en fait toute une série d'opérations : pré-nettoyage, pré-séchage, concassage, alcalinisation, torréfaction, broyage, raffinage, pressage, concassage. Avec la libéralisation de la filière entamée sous Bédié (et parachevée sous le très socialiste Gbagbo), les investissements dans ce créneau crucial de l'économie ivoirienne ont été entièrement laissés entre les mains du privé.

Alors que la quasi totalité de l'achat du cacao se trouve entre les mains de multinationales étrangères – à peine neuf entreprises effectuent 75 % des achats totaux : Cargill et ADM (USA), Callebaut (Suisse), Olam (Singapour), Touton Négoce (France), Ali Lakiss (Liban), Noble et Armajaro (UK), et Estève (Brésil) – la situation en ce qui concerne l'industrie est encore plus inquiétante : 5 entreprises font plus de la moitié de la transformation locale. Il s'agit des mêmes ADM, Cargill et Callebaut, auxquels s'ajoutent Nestlé (Suisse) et Mars (USA). L'autre moitié appartient à toute une série d'entreprises étrangères ou ivoiriennes (mais souvent gérées par des Libanais, considérés par la population comme des “faux Ivoiriens”).

Le broyage local comportant toutes sortes de difficultés sur le plan technique (beaucoup de chocolatiers préfèrent utiliser le cacao broyé en Europe, de meilleure qualité), ces entreprises ont été attirées sur le sol ivoirien par d'importantes remises de taxes : 92 francs de remise par kilo de beurre de cacao, 55 francs par kilo de poudre de cacao. Ces remises de taxes coutent 45 milliards de francs - 70 millions d'euros – chaque année à l'État ivoirien.

Le broyage du cacao est la première étape vers le chocolat

Les tensions dans la filière

Deux éléments sont à l'origine des tensions actuelles dans la filière cacao. D'une part, la décision du gouvernement de supprimer cette remise de taxe, de l'autre, le prix garanti aux planteurs et la réforme de la filière.

Toutes les compagnies exportatrices ne sont transformatrices. C'est le cas de Armajaro, entreprise appartenant au capitaliste Anthony “Chocolate Fingers” Ward, célèbre pour avoir à lui seul acheté un sixième de la production de cacao mondiale en 2010 dans le cadre d'une audacieuse opération de spéculation. M. Ward, grand amateur de vins fins et de voitures de course, est également un ami personnel du président ivoirien actuel, Alassane. À leur retour en Côte d'Ivoire fin 2011, Armajaro et ses collègues de Sucden (une autre vieille entreprise ivoirienne qui avait déserté le pays pendant les années de crise) ont bruyamment dénoncé les avantages fiscaux accordés aux broyeurs, réclamant le retour à la “libre concurrence”. Ces deux entreprises ont rallié à elles d'autres plus petits exportateurs “purs” pour créer un syndicat, le GNI, Groupement des négociateurs indépendants, qui a commencé à mener la vie rude au Gépex, le syndicat des entreprises transformatrices.

Il faut dire que les avantages fiscaux accordés aux entreprises transformatrices n'étaient au départ prévus que pour une durée de cinq ans, le temps de rembourser les investissements effectués par ces entreprises dans leurs installations techniques. Mais ils sont toujours en vigueur depuis vingt ans dans certains cas. Comme nous l'avons vu, ces avantages fiscaux coutent énormément à l'État, alors qu'en réalité les retombées directes sur le plan économique sont assez faibles. Les exportateurs ont aussi critiqué le fait que les emplois créés par le broyage se chiffrent à tout au plus quelques centaines, et que l'État perd beaucoup plus d'argent avec cette politique qu'il n'en gagne.

ADO a donc décidé d'annuler ces avantages fiscaux. La réaction de Cargill ne s'est pas fait attendre : après avoir envoyé des batteries d'avocats assiéger l'administration, et même le président de Cargill – qui s'est déplacé pour rencontrer ADO en personne –, la société a annulé ses projets d'extension en Côte d'Ivoire pour se tourner vers l'Indonésie, où elle inaugurera une nouvelle usine l'an prochain. Ses agents qui sont censés aider les coopératives de planteurs dans le cadre de la certification de leur production, semblent désormais absents du terrain ; et de nombreux employés ont été mis au chômage technique.

Cargill et ses comparses (ADM, Cémoi, Callebaut) se sont dits prêts à délocaliser au mois de mai si leurs privilèges fiscaux ne leur étaient pas rendus entretemps. Si le mois de mai est passé et que Cargill est toujours là, les tensions restent vives. Les entreprises ont par exemple refusé une proposition d'organiser un festival du cacao à la fin de cette année. Et les investissements et recrutements sont gelés. Ces entreprises sont en outre soutenues dans leur revendication par leurs États respectifs via les déclarations de diplomates.

Cargill est en tête des pleurnichards concernant le retrait
des privilèges fiscaux indus

Le prix minimum garanti

L'autre problème est le prix garanti aux planteurs. Cette mesure de fixation du prix était pourtant nécessaire. Les planteurs se voient maintenant garantir un prix équivalent à 60 % du prix de la fève de cacao exportée. Ce qui est bien. Cela permet en effet au planteur d'éviter de se faire bluffer par des pisteurs véreux qui lui annoncent, en pleine brousse, que « Le prix à Londres à chuté hier » sans que le planteur ait la moindre possibilité de vérifier cette information. Cela lui permet de tirer un meilleur bénéfice pour sa récolte, qui lui permettra de mettre ses enfants à l'école, de se soigner, etc. Et puis aussi, cela l'encourage à réinvestir dans sa plantation de cacao par l'achat d'engrais, l'entretien correct de sa plantation… Ce qui est indispensable d'une part pour endiguer la baisse de la production, d'autre part pour préserver ce qui reste de la forêt ivoirienne.

Seulement voilà : le prix au planteur est fixé selon un système de bourse virtuelle sur une période d'un an. Une fois le prix fixé, il est fixé pour toute la durée de la récolte (six mois pour la grande traite, de septembre à février). Mais la fixation du prix au planteur ne laisse qu'une très faible marge à l'exportateur. En réalité, comme c'est le cas en ce moment, comme une nouvelle chute du prix international ne se reflète sur le prix à payer au planteur que bien après. C'est-à-dire que dans la situation actuelle, si on ajoute au prix du cacao bord-champ l'ensemble des frais de transport, stockage, et les très nombreuses taxes à payer, les exportateurs se retrouvent dans une situation où le prix minimal qu'ils doivent fixer pour pouvoir faire un bénéfice est inférieur au prix du marché international ! C'est en particulier le cas pour les petits exportateurs ivoiriens.

En plus, les régulations mises en place par la filière pour l'exportation du cacao, destinées à améliorer la qualité du cacao ivoirien, sont extrêmement restrictives. Au point que des chargements entiers de cacao sont refusés par les agents de régulation. À moins, évidemment, qu'ils ne se fassent “graisser la patte”, sport également pratiqué pour l'“accélération” de l'obtention des nombreux documents nécessaires à l'exportation. Là aussi, les gros exportateurs multinationaux, qui disposent de plus de liquidités, sont largement favorisés par rapport aux petites entreprises ivoiriennes. Certaines sont donc menacées de faillite.

(les données chiffrées se trouvent dans l'Éléphant déchainé du 31 mai 2013, que nous n'avons malheureusement pas sous la main en ce moment – une mise à jour suivra lorsque nous l'aurons retrouvé)

Les régulations sont à ce point abusives que concernant la petite traite (d'avril à mai) où le cacao est toujours de moins bonne qualité que pendant la grande, les planteurs peinent à trouver des acheteurs, et se voient donc contraints d'accepter des prix au rabais, sous le prix fixé par l'État – malgré les risques encourus par les pisteurs, qui peuvent aller de l'amende et l'emprisonnement au retrait de la licence.

Du coup, la fixation du prix au planteur, mesure positive s'il en est, semble à présent se retourner contre l'économie ivoirienne, menaçant des centaines de personnes de licenciement et d'une concentration encore plus grande de la filière entre les mains des multinationales.

Le prix minimum a apporté un réel mieux dans la situation des planteurs,
mais est remis en cause par le système lui-même

Que faire ?

On voit en fait ici se révéler toutes les limites du modèle néolibéral et néocolonial prôné par ADO. Ces entreprises, qui ont considérablement bénéficié de l'anarchie qui a suivi le démantèlement de la Caistab et tout au long de la guerre civile, tirent d'immenses profits dont très peu bénéficient à la Côte d'Ivoire. Mais elles poussent maintenant les hauts cris et font du chantage dès que l'on touche à leurs privilèges – privilèges qu'elles continuent à obtenir indument alors qu'il avait bien été stipulé que ceux-ci ne devraient durer que cinq ans.

Bien qu'il soit assez peu probable de voir ces entreprises délocaliser en masse (toutes ont massivement investi dans la filière, de l'encadrement des planteurs aux usines et infrastructures de transport), cela reste une possibilité. Et que fait le gouvernement ? La seule solution serait la renationalisation du secteur, mais étant donné la ligne idéologique et la nature des soutiens du régime Ouattara, il semble que celui-ci n'a d'autre choix que d'abaisser son froc, ou en tout cas d'aller à des négociations aboutissant à des demi-mesures de type “transitoire”.

De même, si l'on voit le blocage causé par le prix “excessif” accordé aux planteurs. Dans le cadre du capitalisme, et surtout à l'ère impérialiste et dans un contexte de crise économique profonde à l'échelle internationale, toute mesure progressiste se retourne inévitablement contre l'économie et contre la population. Les capitalistes reprennent d'une main ce qu'ils ont donné de l'autre. Vous voulez monter les salaires ? On licencie et on délocalise. Vous voulez augmenter les taxes sur les compagnies qui ont le monopole de l'électricité ? La facture grime en flèche. Et ainsi de suite. Ce système – et ce gouvernement – sont soumis à la dictature des capitalistes et des multinationales. Les politiciens bourgeois sont incapables de nous en sortir.

La seule chose capable de sauver le secteur tout en en retirant quelque chose qui puisse bénéficier au développement du pays, est une grève du personnel des usines de broyage avec occupation des installations, et revendication de nationalisation sous contrôle et gestion par les travailleurs et les planteurs (sur base de délégués élus, révocables à tout moment, et ne disposant de rien de plus qu'un salaire d'ouvrier qualifié), avec confiscation par l'État sans rachat ni indemnités, sauf sur base de besoins prouvés (notamment pour les petits exportateurs) : ils ont déjà assez profité ! De la sorte, plus de risque de délocalisation, plus de problème de corruption et une bien plus grande flexibilité au niveau du prix qui pourra être payé aux planteurs.

En fait, c'est la nationalisation de l'ensemble de la filière qu'il nous faut, du pisteur à l'exportateur, et l'instauration d'un monopole étatique soumis au contrôle démocratique des travailleurs de la filière et des planteurs, et du mouvement syndical large. Au lieu de voir la majeure partie des profits de la filière disparaitre à l'étranger, et de devoir sans cesse chercher à contenter les requins impérialistes, les immenses ressources dégagées sur base du commerce du cacao pourraient être mises au service de la population et notamment des planteurs, avec un refinancement massif de l'Anader et du CNRA, pour la mise en place à grande échelle d'une cacaoculture durable et respectueuse de l'environnement, tout en accroissant le revenu des planteurs. Cet argent servirait aussi de fonds pour la construction de routes, d'écoles de brousse, de logements, etc. Comme cela se fait d'ailleurs dans d'autres pays comme le Vietnam ou le Ghana, malgré les tendances à la libéralisation dans ces deux cas, et le poids de la bureaucratie engendrée par le manque de contrôle populaire.

Une fois nationalisées, ces usines pourront réaliser le rêve d'Houphouët : organiser la grève du cacao pour recevoir un meilleur prix pour notre plus grande ressource naturelle. Mais les industriels des pays importateurs, soucieux de leurs bénéfices et du sort de leurs actionnaires, répercuteraient d'office cette hausse de prix sur les travailleurs et les consommateurs dans leurs pays : licenciements, hausses de prix. Ce qui pourrait susciter un soutien à une éventuelle intervention armée étrangère (encore). Donc, un pouvoir révolutionnaire qui procéderait de la sorte devrait tout faire pour ne pas se mettre à dos les travailleurs de ces pays, mais au contraire les appeler à s'organiser pour revendiquer la nationalisation de ces entreprises dans leurs propres pays.

D'où la nécessité de construire en Côte d'Ivoire un mouvement révolutionnaire international et mondial tel que le CIO.

Il faut une renationalisation de la filière sous contrôle démocratique
des travailleurs et des planteurs

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire