vendredi 10 mai 2013

Syrie : revue des diverses forces en présence

Un point tournant dans la guerre civile ?

 



Le régime a causé d'innombrables souffrances et morts parmi les civils. Les rebelles organisent des massacres sectaires. Non à l'intervention impérialiste.


Article écrit en janvier 2013 par notre camarade Arne Johansson, de Offensiv, section suédoise du CIO



Les États-Unis et l'Union européenne, ainsi que 130 États, viennent de reconnaitre la Coalition nationale des forces de l'opposition et de la révolution syrienne (CNS) comme étant le représentant officiel de l'opposition au régime de Bachar el-Assad. Selon les mots du président Obama, elle est donc la seule agence légitime et “suffisamment ouverte, réfléchie et représentative” pour représenter le peuple syrien dans son ensemble.

Cette reconnaissance officielle, qui a été rendue publique lors d'un grand rassemblement des “amis de la Syrie” à Marrakech au Maroc le 12 décembre 2012, montre bien que les puissances occidentales sont maintenant prêtes à entreprendre des mesures politiques, économiques et militaires afin d'obtenir en Syrie un nouveau régime aussi pro-occidental et contrôlable que possible. À présent, le soutien qui jusqu'ici avait été apporté de manière indirecte via les alliés américains dans la sous-région (et en particulier, la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar), n'est plus considéré comme suffisant.

On a accordé moins d'attention au fait que les États-Unis aient au même moment décidé d'étiqueter le front al-Nosra, la plus efficace, la mieux équipée et la plus crainte des milices salafistes, en tant qu'organisation terroriste. Cette dernière décision a été très mal accueillie par le dirigeant de la CNS qui s'est à cette occasion fendu d'une déclaration publique, révélant ainsi à quel point le rapport de forces au sein de l'opposition armée a viré vers le sectarisme.

Au même moment, les minorités ethniques et religieuses de Syrie doivent aussi avoir froid dans le dos en constatant que plus de cent groupes d'opposition syriens ont manifesté contre cette qualification des États-Unis, avec le slogan « Nous sommes tous al-Nosra ». Ces minorités craignent en cas de chute du régime de se voir transformées en citoyens de deuxième catégorie par tous ceux qui désirent faire de la Syrie un État islamiste sunnite.

La reconnaissance de la CNS par l'Occident coïncide avec une situation militaire de plus en plus difficile pour le régime d'el-Assad, qui a récemment perdu deux bases militaires aux abords d'Alep, la plus grande ville du pays. Mais même si, par exemple, le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, prétend que le régime d'el-Assad se trouve maintenant dans les cordes, et que même le vice-ministre des Affaires étrangères russe Bogdanov a reconnu qu'une victoire de l'opposition “ne peut être exclue”, l'agonie sanguinolente pourrait se prolonger encore longtemps pour toutes sortes de raisons.





La Coalition syrienne pro-impérialiste


Escalade militaire



La décision prise par les États-Unis, l'Allemagne et les Pays-Bas de positionner six batteries de missiles Patriot et 400 soldats américains, 400 soldats allemands et 360 soldats néerlandais sur la frontière turque avec la Syrie, met en relief la gravité de l'escalade militaire. De plus en plus de navires de guerre sont positionnés le long de la côte syrienne.

Jusqu'ici, ces pays prétendent que ces manœuvres militaires n'ont pour but que des “objectifs défensifs”, bien qu'en même temps un avertissement ait été donné au régime el-Assad lui intimant de ne pas utiliser les armes chimiques qu'il prétend avoir à disposition. Bien que le climat politique aux États-Unis n'est guère favorable à une invasion aux moyens de troupes au sol contre le régime syrien, comme on l'a vu faire en Iraq et en Afghanistan, ni même à des frappes aériennes comme ça a été le cas lors du bombardement de la Libye par l'Otan, la logique même de cette accumulation de forces armées suggère l'une ou l'autre forme d'intervention militaire dans le futur.

On nie l'idée d'un soi-disant “corridor humanitaire” vers les zones contrôlées par les rebelles, même si le premier ministre britannique Cameron affirme que le message envoyé à el-Assad est que “tout est toujours sur la table”.

Le déploiement de troupes de l'Otan à la frontière syrienne dessert plusieurs objectifs. L'un est certainement de tenter de limiter le risque, bien réel, de voir la guerre civile syrienne se propager à la Turquie, au Liban et à d'autres pays voisins. Ce déploiement facilite également les relations avec le commandement militaire que le CNS est en train de mettre en place dans la capitale turque, Antalya, ainsi que les possibilités d'infiltrer et de contrôler les rebelles syriens – au moyen de conseillers, d'espions et autres “forces spéciales”. Il va sans dire que cela peut également faciliter une éventuelle intervention directe en Syrie, si elle était jugée nécessaire par les États-Unis.

Les puissances occidentales veulent un changement de régime en Syrie aussi vite que possible. Mais au même moment, ils ont de bonnes raisons de se faire du souci au sujet des forces de l'islam politique qu'elles ont fait surgir tel un mauvais génie de sa lampe, et qui pourraient ouvrir la voie à des années de luttes internes, de déstabilisation de tout le Moyen-Orient et d'un nouvel exode des chrétiens et des alaouites (une minorité musulmane proche du chiisme et dont fait notamment partie la famille el-Assad).

Le journaliste Patrick Cockburn écrivait dans The Independant au sujet d'une des plus horribles vidéos “que chaque Syrien a vues”, dans laquelle deux officiers alaouites sont décapités par les rebelles syriens qui les ont capturés. Le pire de tout étant la scène qui montre la manière dont un garçon âgé d'à peine 12 ans est forcé de couper la tête d'un homme qui pourrait être son père.

Il ne fait aucun doute que c'est le bombardement par le régime el-Assad des maisons et des quartiers infiltrés par la résistance armée qui est responsable de l'immense majorité des destructions et des morts de civils. Mais malheureusement, les justifications avancées par le régime pour de tels actes sont de plus en plus confirmées par les abus perpétrés par les rebelles.

Dans un rapport publié par un site chrétien, “Agenzia Fides”, un jeune chrétien syrien qui s'est déclaré être avec l'opposition, a décrit une scène horrible dans laquelle les milices de l'Armée syrienne libre (la plus grande force d'opposition syrienne) ont attaqué des bastions kurdes à Ras al-Ayn et ont envahi la ville en tant que “conquérants, pas libérateurs”.

« Qui a donné aux milices l'ordre de tuer sur base de l'affiliation religieuse ? », demandait-il.

Selon ce rapport, tous les chrétiens de la ville ont été immédiatement chassés de leurs maisons. « Les Kurdes, les Arabes, les chrétiens, plus de 70 000 personnes ont pris la fuite, surtout en direction de Hassaké. En quelques heures, la ville est devenue une ville-fantôme. Les alaouites ont été les plus durement touchés ; ils ont été tués juste pour le simple fait d'être alaouites. Une des victimes était un instituteur que tout le monde aimait énormément, qui avait enseigné pendant des années aux enfants de toutes les familles. Des miliciens l'ont trouvé, l'ont capturé et l'ont tué devant sa femme et ses enfants, qu'ils ont enlevés. »

L'Organisation démocratique assyrienne (ODA) appelle elle aussi la CNS à « agir fermement afin de réduire les tensions entre Arabes et Kurdes en Mésopotamie, lesquelles ont un impact négatif sur la paix et l'unité du tissu social ».


Le caractère sectaire des combattants cause la division parmi le peuple


Virage sectaire


Rien ou presque de tout cela ne transparait dans les médias suédois, qui donnent une image très simpliste et rose de la catastrophe syrienne. Même certains des plus ardents partisans de l'insurrection armée parmi la gauche suédoise – comme on peut malheureusement le voir dans les déclarations de vétérans socialistes tels que Kilden ou Åsmans (tous deux membres du SUQI) – ne peuvent pourtant plus ignorer la puissance croissante des forces islamistes en Syrie. Ces personnes tentent de minimiser les dangers que comporte cette situation et préfèrent blâmer les États-Unis et les puissances occidentales qui ont trop tardé avant d'armer les groupes modérés !

Mais sans luttes indépendantes de la classe ouvrière, même en suivant le scénario de ce qui s'est passé en Tunisie et en Égypte, le virage sectaire, dû à sa dispersion, de ce qui était au départ un authentique mouvement de masse contre la dictature, n'est malheureusement que la conséquence logique de ce qui est devenu une guerre civile qui tire en longueur et qui est soutenue par certaines des forces parmi les plus réactionnaires et les moins démocratiques au monde, sous couvert de l'Arabie saoudite et du Qatar, avec derrière eux l'impérialisme.

La gravité de la croissance du djihadisme d'el-Nosra a aussi été minimisée par les Kilden et Åsman, qui ont donné l'argument que ce mouvement n'attire pas les jeunes Syriens par conviction religieuse, mais parce qu'il est mieux équipé et mieux formé que les autres milices. Malgré l'expérience et les méthodes sanglantes que les vétérans d'el-Nosra ont rapporté avec eux de leurs combats en Iraq après l'invasion américaine de 2003, Kilden et Åsman tentent de rassurer leurs lecteurs du fait qu'el-Nosra tire ses racines exclusivement en Syrie et n'a rien à voir avec l'idée d'al-Qaïda d'un djihadisme mondial contre les “infidèles” du monde entier. Alors que Kilden et Åsman ont constamment fait appel à plus d'aide militaire de la part de l'impérialisme pour l'opposition syrienne, ils ont maintenant décidé de critiquer les États-Unis pour leur qualification d'el-Nosra en tant que terroriste, car selon est selon eux “contre-productif” ! Qu'ils aillent dire ça aux 30 % de Kurdes, d'Arabes, d'alaouites et de chrétiens qui pourront tout au plus s'estimer heureux s'ils gagnent le droit de garder la vie en tant que citoyens de seconde zone dans le cadre d'un État islamiste sunnite.

On a accordé très peu d'attention aux efforts accomplis par les Kurdes en vue de consolider leur contrôle sur leurs territoires, et à leur refus de se soumettre au régime el-Assad comme à l'Armée syrienne libre et à ses diverses milices.

« Les sections les plus combatives de l'opposition n'ont pas à proprement parler de programme politique pour ce qu'elles comptent faire après la chute d'el-Assad, et au plus cela perdure, au plus la situation devient sectaire », commentait l'ex-ambassadrice suédoise en Syrie, Viola Furubjelke.

Bien que le régime soit sous pression, il n'y a pas dans la situation actuelle le moindre signe d'une scission ou d'une implosion au sein du régime, puisque l'élite dirigeante alaouite ne voit pas d'autre alternative que de continuer à se battre pour sa vie jusqu'au bout. Pour les mêmes raisons, il faut nous attendre à un hiver désastreux en Syrie, caractérisé par une guerre de tranchées prolongée et désespérée, au cours de laquelle les différents groupes religieux et ethniques seront expulsées ou forcées de migrer afin de demander une protection dans toute une série d'enclaves protégées par leurs propres milices sectaires, ou bien de quitter le pays en tant que réfugiés.

Le fait que le régime se soit retranché dans une impasse ne signifie pas que les milices de l'Armée syrienne libre soient largement perçues comme étant des libérateurs pour qui il vaut la peine de mourir. Comme l'a rapporté même la chaine d'informations qatarie al-Jazeera, de nombreux citoyens d'Alep sont contre l'attaque perpétrée par le régime sur les rebelles, qui se fortifient dans les quartiers où ils sont capables d'entrer et de demeurer.

« Notre pays est détruit. Si c'est ça la révolution, je n'en veux pas. Je tiens à dire que je suis contre le régime, qui nous opprime. Mais maintenant nous sommes cent fois plus opprimés », disait un marchand de légumes d'Alep.

La majorité des civils n'ont rien à gagner du présent conflit

Une guerre réactionnaire



Les travailleurs conscients et les socialistes ne peuvent en aucun cas apporter leur soutien à aucun des camps en guerre dans ce conflit réactionnaire : ni au régime condamné d'avance d'el-Assad, ni aux milices dirigées par des fanatiques religieux ou par des cadres subordonnés à l'impérialisme occidental et aux États arabes réactionnaires qui financent les rebelles syriens.


La tâche actuelle pour les travailleurs est de mettre en place des alliances en vue de construire des comités d'auto-défense des quartiers menacés regroupant toute personne qui refuse de se voir impliquée dans ce conflit sectaire, quelle que soit son ethnie ou sa religion. Les travailleurs doivent créer leur propre mouvement contre el-Assad, contre les forces sectaires et pro-impérialistes.


Sur cette base, tôt ou tard, les travailleurs syriens, les militants démocraties et les jeunes pourront entamer la construction d'un nouveau mouvement socialiste qui tirera son inspiration des exemples des travailleurs en lutte en Égypte et en Tunisie, et qui se dressera contre les régimes réactionnaires, contre le fondamentalisme religieux et contre l'impérialisme.

Il faut revenir aux sources de la révolution syrienne

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