jeudi 9 mai 2013

CI: Bilan des élections municipales et régionales


Beaucoup de mots viennent à l'esprit en considérant l'ampleur de la mini-crise post-électorale que vient de traverser la Côte d'Ivoire. Les traits les plus saillants toutefois que nous pouvons dégager du chaos, est d'une part, l'absurdité du système électoral bourgeois qui même en Occident ne convainc plus personne, d'autre part, la confirmation de la crise politique grave que continue de connaitre le pays, une crise qui touche l'ensemble des partis politiques ivoiriens, et le RDR au premier rang. Celui-ci se voit en effet punir pour l'incommensurable arrogance de ses cadres, mais surtout pour sa politique néolibérale anti-pauvres. Cependant, la crise est une crise de l'ensemble de l'establishment, telle que révélé par le nombre hallucinant d'indépendants victorieux et par le taux d'abstention. En cela aussi, la Côte d'Ivoire rejoint le concert des nations sur le plan mondial, des indignés du système économique et politique mis en place.

Article par Jules Konan
Les résultats des élections municipales et régionales du 21 avril 2013 ont beau ne pas avoir été confirmés partout (certaines circonscriptions doivent reprendre le vote à zéro à cause des blagues de la CEI), le chiffre qui est tombé est on ne peut plus clair : sur les 197 communes de Côte d'Ivoire, 72 ont été remportées par des indépendants ! Contre 65 pour le RDR, 49 pour le PDCI, et 9 par une liste commune de l'alliance RHDP à l'agonie. Le taux de participation officiel n'aurait été qu'au maximum de 40 % des électeurs enregistrés.

Si le RDR semble s'en sortir en tant que “premier parti”, on voit bien que les partis ne sont plus à la mode ! Les communes qui lui ont été attribuées sont quasi toutes situées dans sa zone “traditionnelle” du Nord. Par contre, les chiffres bruts masquent une réalité qui est la déculottée monumentale qui a été infligée à un très grand nombre de cadres RDR haut-placés. C'est dire si la confiance règne envers l'establishment et les représentants du régime.

Des élections qui devaient être le “symbole de la réconciliation

Ce désenchantement n'est pas surprenant. ADO est au pouvoir depuis maintenant plus de 2 ans, et on tarde à voir se réaliser les promesses. Il a lui-même reconnu récemment “ne pas avoir imaginé l'ampleur du désastre se trouvait le pays”, et qu'il faudrait donc obligatoirement briguer un deuxième mandat pour pouvoir mettre en œuvre l'ensemble de son programme, censé amener le pays à l'émergence d'ici 2020. En attendant, les “grands chantiers” ne créent que quelques emplois précaires et sous-payés pour des finalités souvent antisociales (comme c'est le cas du nouveau pont ou de la fausse réfection de l'université), les enseignants grévistes sont lourdement pénalisés pour n'avoir fait que demander ce qui leur revient pourtant de droit, et le cout de la vie ne cesse d'augmenter, avec des hausses subites de l'ordre de 20 % sur toute une série de produits de base C'est dire si le mécontentement gronde.

Au vu de tout cela, ces élections avaient un enjeu éminemment symbolique. Le régime, extrêmement soucieux de redorer le visage de la Côte d'Ivoire à l'étranger afin “d'attirer les investisseurs étrangers”, voulait prouver avec ces élections municipales et régionales que le temps des “palabres” était révolu, que la Côte d'Ivoire était revenue sur le chemin de la stabilité et de la démocratie. Il fallait aussi consolider l'image du RDR en tant que “sauveur de la nation ivoirienne en perdition”. Adama Soumahoro, secrétaire général du RDR, s'écriait ainsi le 4 avril que : « La Côte d'Ivoire, du nord au sud, d'est en ouest, est plongée dans les clameurs et les vivats de joie et de bonheur. […] Nous devons démontrer que nous sommes prêts pour 2015, en faisant de ces élections régionales et municipales un succès républicain et populaire, […], qui seront une étape du rassemblement et de l'unité pour l'édification d'une Côte d'Ivoire paisible, réconciliée et prospère ».

C'était d'autant plus important que par deux fois déjà cette année, deux tentatives d'obtention d'un symbole du renouveau national s'étaient soldées par de lamentables échecs, voire pire.

L'année 2013 avait déjà excessivement mal commencé avec le “drame” de la Saint-Sylvestre. Afin de bien célébrer l'an neuf et clôturer par la même occasion l'opération “Ville lumière” qui a couté 5 milliards de francs (7 millions d'euros), le gouvernement avait aussi organisé un grand spectacle de feux d'artifice au Plateau, qui s'était soldé par une bousculade faisant plus de 60 morts et des centaines de blessés graves. Après ce drame, aucun responsable n'a été contraint de démissionner.

Cela fait, le gouvernement a porté toute son attention vers la Coupe d'Afrique des nations, dans laquelle la Côte d'Ivoire faisait office de grand favori. Une somme immense a été engagée dans cette aventure pour faire assister des ministres aux matchs en Afrique du Sud, etc. Mais ici aussi, des palabres entre Drogba et Sidy, en plus de la nullité du tout nouveau sélectionneur Lanouchi, ont eu poussé les Éléphants à la défaite en quart de finale devant l'équipe quasi amatrice du Nigeria (à qui nous adressons toutes nos félicitations, bien que d'énormes problèmes subsistent). Ici aussi, personne n'a été contraint à la démission. Au contraire, le classement international des Éléphants a progressé de 4 rangs. (Par contre, on a très peu fait de cas du triomphe de l'équipe minimes victorieuse contre le Nigeria à la CAN junior le mois passé.)

Tout cela pour rappeler l'importance hautement symbolique de ce scrutin.

Sans compter que, de manière plus prosaïque, cela faisait dix ans que des élections municipales n'avaient pas été organisées en Côte d'Ivoire : il était donc temps de renouveler le staff.

ADO explique pourquoi les élections sont si importantes

Une campagne mal partie

Avant que la campagne ne commence, plusieurs ratés s'étaient déjà fait ressentir. D'une part, le refus du FPI de participer. Ensuite, les nombreux désaccords sur les choix des candidats qui ont finalement conduit à l'éclatement virtuel du cartel RHDP, en plus de jeter la désunion dans les rangs de ces partis eux-mêmes.

La raison avancée par le FPI pour boycotter les élections est bien simple : il ne s'agit que d'une mascarade, une parodie de démocratie, quand la plupart des dirigeants du FPI sont soit en exil, soit en prison. Et sont organisées par un gouvernement illégitime. Si d'un côté le FPI, en focalisant l'ensemble de ses actions et de son discours sur la libération de Gbagbo, se coupe petit à petit de la réalité politique que connait le pays au point d'en devenir ridicule, d'un autre côté, il est vrai que jusqu'ici, de nombreuses personnalités du FPI qui n'ont pas forcément quoi que ce soit à voir avec les violences de 2011 sont enfermées en attendant un jugement dont la date n'a toujours pas été fixée, et ce depuis deux ans ! Alors que de nombreux auteurs de violences du camp du RDR, régulièrement accusés par la Ligue des droits de l'homme et par l'ONU, et même par l'ambassadeur des États-Unis qui dénoncent la “justice des vainqueurs”, sont toujours en liberté et ont même continué en toute impunité les trafics qu'ils avaient entamé pendant la guerre civile.

Mais le FPI dans son discours ne lie pas le boycott des élections à la question plus générale de la manière dont des élections devraient se dérouler et de leur pertinence en ce qui concerne la lutte pour une meilleure vie pour les masses laborieuses de Côte d'Ivoire. Sa campagne de boycott est par conséquente restée extrêmement passive. À notre sens, un véritable boycott doit se faire en organisant des assemblées populaires, en mobilisant la population en ce sens,en expliquant la futilité des élections en général dans le cadre de la démocratie bourgeoise, et en liant cela à la construction d'un parti de masse des travailleurs et des pauvres de Côte d'Ivoire, quelle que soit leur nationalité. Mais cela, le FPI, parti bourgeois pseudo-radical, en est absolument incapable et n'en a pas envie.

Finalement, les quinze membres du FPI qui se sont tout de même présentés aux élections en tant qu'“indépendants” contre le mot d'ordre de leur parti, ont été radiés aussi sec par leur direction. Voilà au moins un parti chez qui on ne rigole pas avec la discipline.

Car l'autre trait frappant de la préparation aux élections a été les divisions à tous niveaux au sein de l'alliance RHDP, mais aussi au sein des partis eux-mêmes. Alors qu'ils ne cessent de clamer que le RHDP n'est pas qu'une alliance de circonstance mais représente un vrai rassemblement partageant la même “vision”, le RDR et le PDCI ont finalement chacun imposé leur propre candidat dans la plupart des régions et communes. Que cela se fasse au nom de la “démocratie”, soit, mais pourquoi alors toutes ces injures, toutes ces médisances ? Où est passé l'esprit de camaraderie censé vivre parmi les “héritiers d'Houphouët” ?

Que le RHDP vole en éclats à la première occasion, soit. Les partis politiques eux-mêmes dans notre pays n'ayant de toute façon de manière générale pas le moindre idéal politique à part le besoin de se raccrocher à la mangeoire, a fortiori il est évident que cette alliance n'a jamais été là que temporairement pour chasser le FPI du pouvoir selon le souhait de l'impérialisme.

Mais ce qui est vraiment grave et montre l'ampleur de la médiocrité des politiciens ivoiriens, est l'apparition d'innombrables candidats indépendants (la moitié des 11 000 candidats en lice, selon Jeune Afrique), pour la plupart issus des partis et se présentant contre le candidat officiellement choisi par le parti. C'est invraisemblable. Les gens qui sont membres d'un même parti politique sont pourtant censés partager la même vision, se battre pour le même programme, et pour cela respecter une structure et une discipline de parti. Mais non, pas chez nous dirait-on. Comme le disait Dembélé Lassina, candidat indépendant à Adjamé pourtant militant du PDCI, au journal “Le Dialogue” ce 17 avril : « Je préfère candidat “sans étiquette” […] Nous avons voulu nous poser en rassembleur […] Le développement n'a pas de couleur politique ». Y a-t-il une meilleure définition de l'opportunisme ?

Mais en fait, il est essentiellement ici question de démocratie au sein des partis. La plupart de ces candidats indépendants sont des candidats qui avaient été choisis localement par leur base dans leur ville ou région lors d'assemblées des sections locales, avant de se voir finalement écarter par la direction nationale des partis qui a préféré imposer ses propres candidats. En fin de compte, ce n'est là qu'un des nombreux symptômes de l'arrogance sans borne de la classe dirigeante ivoirienne, qui n'a que faire des aspirations de sa base.

Pourtant, c'est précisément à cause de cela déjà que le RDR avait été sanctionné lors des élections législatives partielles de février 2013, recevant le lamentable score de 0 voix sur 6. À cette occasion, Amadou Soumahoro, l'arrogant secrétaire général du RDR, avait déclaré ceci : « Nous nous sommes trompés sur le choix des candidats, mais il y a aussi que nous n'avons pas encore répondu aux attentes de nos militants. Nous avons compris le message qu'ils viennent de nous lancer. Nous allons prendre cet avertissement en compte Nous allons rencontrer les militants pour qu'ils disent ce qu'ils reprochent à la direction. Et nous en tiendrons compte pour les municipales et les régionales. La tenue des partielles est une chance pour nous car elle permettra d'apporter des réglages nécessaires. Les décisions prises ne sont pas immuables. » Deux mois après pourtant, le RDR récidivait.

Ce qui est fascinant aussi, est que presque l'ensemble du gouvernement est parti en campagne. Presque la totalité des ministres se sont imposés en tant que candidats au poste de maire ou président de conseil régional dans leur propre village. Que ce soit Toungara à Abobo, Bacongo à Koumassi, Lobognon à Fresco, Ouloto à Guiglo… Ceux qui ne sont pas eux-mêmes candidats font quand même campagne pour le compte de leurs amis, comme Kandia Camara à Cocody. L'ensemble du gouvernement a donc pris congé pour aller parader dans les villages et les rues. Au passage, tous ces ministres ont embarqué avec eux leurs attachés et le personnel de leurs ministères, recrutés inopinément en tant que porte-drapeaux. Les bureaux étant vides, c'est toute l'administration qui s'est retrouvée à l'arrêt. Aucune décision ne pouvait plus être prise. Le président lui-même avait, selon son habitude, décidé d'aller célébrer ses deux ans de prise de pouvoir à Paris plutôt que “chez lui” en Côte d'Ivoire. Alors qu'on était par exemple en pleine grève nationale des enseignants, et que les ex-rebelles démobilisés (mais pas désarmés) manifestaient bruyamment à Bouaké et menaçaient les populations.

Amadou Soumahoro, en vacances électorales à Bouaké pour y soutenir un ami

La campagne est lancée !

Et voilà que la campagne est officiellement lancée. Ici aussi, on nage dans l'absurde, voire la ringardise quand on voit les affiches de certains candidats. On organise des meetings pour lesquels on paie les participants, et pendant lesquels on annonce toutes sortes de cadeaux qui seront octroyés à la commune en cas d'élection du candidat. On se promène dans les rues avec des sonos géantes en causant d'infernaux embouteillages. On distribue des t-shirts, des casquettes et des billets à tour de bras (le nombre de billets de 500 f en circulation s'est considérablement accru depuis lors). On fait toutes sortes de promesses grandiloquentes, du style “Faire de Daloa une ville émergente” et autres fantaisies.

“L'Éléphant déchainé” titrait d'ailleurs avec beaucoup d'humour, à l'avant-veille des élections : « Les candidats sauvent Ouattara – 5 millions d'emplois créés – Des communes et des régions émergentes ». C'est en effet le nombre d'emplois qui seraient créés dans le pays si toutes les promesses de tous les candidats aux élections municipales et régionales étaient tenues, alors qu'ADO avait récemment avoué qu'il lui faudrait un second mandat pour pouvoir accomplir sa promesse de création d'un million d'emplois !

Certains maires en place depuis dix ans se sont tout à coup pour ainsi dire réveillés. Par exemple, à Attécoubé, c'est le 11 avril qu'a été posée la première pierre du “nouveau et beau marché promis à nos mamans” par le maire Danho Paulin.

À Agboville, Adama Bictogo a fait dont de 20 tonnes de ciment pour la maternité et de soixante bancs pour l'école, tout en répétant qu'il n'a pas besoin de l'argent de la commune pour vivre – on n'en attendait pas moins de la part d'un ancien ministre viré après avoir été accusé d'avoir détourné plus de 600 millions de francs destinés aux victimes de la catastrophe des déchets toxiques de 2006 !

Parmi les arguments de campagne, la plupart des candidats étant dépourvus de tout programme et de toute idéologie, on a vu toutes sortes d'invocations à des instances supérieures. Quand ce n'est pas à Dieu qu'on fait appel, c'est à l'esprit du président Houphouët. Les cadres du RDR sont évidemment tous à invoquer leurs relations avec le gouvernement ou leur proximité avec le président, qui devraient faciliter l'arrivée d'un budget conséquent pour le développement de la commune – le budget des communes n'est pas établi par la loi ?

D'autres candidats ont préféré mettre en avant leur CV et leurs talents avérés ou non de gestionnaires. Par exemple, le ministre du Commerce Jean-Louis Billon, qui demandait de ne pas laisser la commune à des “amateurs”, alors que lui-même n'est entré dans la vie politique ivoirienne que depuis même pas six mois.

Et puis déjà, des violences. Le gouvernement a beau placarder des affiches appelant les militants à ne pas déchirer les affiches de leurs opposants, on voit des clashs se produire dans plusieurs circonscriptions.

À Séguéla, les militants du PDCI ont dû interdire l'accès de la ville au secrétaire général de leur propre parti, venu soutenir officiellement le candidat… du RDR (!) Soumahoro, pour rendre la pareille à ce dernier qui était venu le soutenir dans sa propre région. Affirmant : « Nous aurions brulé son véhicule, s'il s'était entêté à mettre les pieds à ce meeting du RDR ».

À certains endroits, des candidats ont invité à la tribune des amis officiers de l'armée pour les soutenir, en contradiction flagrante avec la constitution qui interdit à des membres de l'armée de prendre officiellement position pour qui que ce soit, au nom de la séparation des pouvoirs.

Enfin, les artistes ivoiriens se sont plaints du fait que dans la plupart des cas, aucune royalties n'ait été payée pour l'utilisation de leurs œuvres lors de la campagne. Seule une centaine de candidats s'est montrée respectueuse de la loi à cet égard.

Une campagne “politique” d'une grande ringardise

Une mini crise post-électorale !

Mais le plus épatant a été l'ampleur des violences survenues lors du scrutin et dans les jours qui ont suivis. Il est vrai que dans beaucoup de circonscriptions, de nombreuses irrégularités ont été constatées. La Commission électorale soi-disant indépendante est en réalité jugée très partiale par bon nombre d'acteurs, dont l'ONU qui appelle depuis deux ans à sa recomposition, en vain. À Adjamé, Yamoussoukro, Lakota, Mankono… les candidats déçus ont crié à la fraude et ont engagé leurs militants dans d'improbables batailles de rue pour “prendre la mairie de force” – comme si cela allait servir à quelque chose ! On dénombrait déjà plus de cinquante blessés par balles ou machette lundi soir, lendemain du scrutin.

Mais ce qui est vraiment grave, est que certaines de ces violences ont été encouragées par des candidats qui sont ministres du gouvernement actuel ! Par exemple, à Koumassi, les partisans du député et ministre de l'Enseignement supérieur Cissé Bacongo ont tenu des barricades pendant 48 heures en faisant usage d'armes à feu, avant que ce ministre ne se fasse quelque peu tirer les oreilles par le président et ne s'empresse d'appeler au calme. À Guiglo, si on n'a pas vu de véritables violences, Anne Ouloto, ministre de la Salubrité urbaine (mais mieux connue sous le nom de “Madame Bulldozer) n'a de cesse de clamer que la victoire lui a été volée. La presse au service des différents partis est elle aussi partie en guerre. Le journal RDR “Le Patriote” traitait ainsi le PDCI d'“éternel perdant, un parti de losers, de pleurnicheurs”. Face à cela, il est consternant de constater qu'aucun de ces ministres n'ait été tout simplement viré de son poste ! Mais bon, on commence à avoir l'habitude…

Toutes ces violences sont d'autant plus surprenantes qu'elles ont pour la plupart eu lieu entre partisans du RHDP, voire entre membres du même parti ! mais qui se battaient pour des candidats différents. Qu'est-ce que cela aurait donné si le FPI s'était présenté ?! Si les choses restent en l'état, la violence actuelle ne laisse rien présager de bon pour les élections présidentielles de 2015…

En plus des violences, on peut être fort inquiet non seulement de la partialité mais aussi de l'incompétence de la CEI. Si celle-ci a été accusée d'avoir favorisé certains candidats dans toute une série d'arrondissements, d'autres actes sont absolument dépourvus de toute explication. À Aboisso, des exemplaires préliminaires des bulletins de vote avaient été distribués pendant la campagne, grâce auxquels chaque candidat expliquait à ses partisans quelle case il fallait cocher pour pouvoir voter pour lui (“la case de gauche”, etc.). Mais le jour même de l'élection, l'ordre des candidats sur les bulletins de vote présents dans les bureaux avait été modifié, sans raison apparente. Beaucoup d'électeurs illettrés ou inattentifs ont donc voté pour le mauvais candidat. Les résultats étant très serrés (2543, 2439 et 2436 voix), chacun des candidats a crié au scandale. On voit en effet mal dans l'intérêt de qui les bulletins ont été modifiés, puisque chacun des candidats estime avoir perdu des centaines de voix. C'est donc tout simplement incompréhensible.

Autre incident révélateur du grotesque des apprentis-bourgeois ivoiriens : dans un village de la commune de Bangolo, le lieutenant des douanes Té Flan Achille, candidat RDR, avait offert des billets, des tôles pour l'école, un bœuf, etc. Tout le village avait dansé pour lui. Seulement, au moment du décompte des voix, il s'avère que sur les 200 électeurs inscrits, seuls 11 ont voté pour lui ! Dès le lendemain, le candidat a débarqué dans le village et exigé qu'on lui restitue l'ensemble de ses dons. Il a finalement été contraint de s'enfuir, poursuivi par les huées des habitants.

Cissé Bacongo à la une du journal Nord-Sud :
“Moi, belliqueux ?”

Un bilan qui révèle l'ampleur de la fracture politique

Le bilan des élections a donc été tout simplement désastreux à la fois pour le RHDP et pour le RDR. “L'Éléphant déchainé” s'amusait d'ailleurs de la disparition totale d'Amadou Soumahoro depuis quelques semaines. Si celui-ci est toujours bien là, il est par contre tout à coup devenu complètement silencieux, tranchant avec le bavardage suffisant qu'il avait l'habitude de nous servir régulièrement. Pourtant maire sortant de Séguéla, déjà en octobre 2012, plusieurs chefs de village de sa commune, et cadres locaux de sa commune (dont la présidente des femmes RDR de Séguéla) étaient venus à Abidjan réclamer sa démission du poste de SG du RDR. Il a finalement été battu à 44 % des voix par Diomandé Lassina, candidat indépendant militant RDR choisi par la base. Tout un symbole.

Le FPI jubile. Le taux de participation fort restreint a en effet été estimé à à peine 30 %, 40 % pour la CEI (le FPI l'estime lui-même à 10-20 %). Et le FPI de conclure, fidèle à son incommensurable sophisme, que l'ensemble de ceux qui n'ont pas été voter sont des électeurs du FPI – une nouvelle grande victoire de Laurent Gbagbo ! La CEI est quant à elle en train de chercher une explication au faible taux de participation : selon elle, le taux de participation est similaire à celui enregistré lors des élections législatives, qui n'ont “jamais mobilisé les masses”.

Il est clair que de très nombreux Ivoiriens sont dégoutés de la politique. Après 10 ans de guerre civile, de longs combats et une crise post-électorale qui a causé la mort de milliers de personnes, les militants du RDR en particulier se sentent extrêmement déçus : « Tout ça, pour ça ? ». La non-participation aux élections est en grande partie due à la désertion des partisans de ce parti, qui entendaient ainsi sanctionner la ligne adoptée par leur parti. De manière générale, les gens voient bien que ces élections ne serviront à rien, ne contribueront d'aucune manière à améliorer leur sort, alors que par-dessus le marché ils risquent parfois leur vie en allant voter. On entend de plus en plus souvent des gens dire que « la Côte d'Ivoire n'est pas prête pour la démocratie, ce qu'il nous faut c'est un bon dictateur ».

Mais si la population n'y croit pas, à quoi bon organiser des élections ? Serait-ce la faute de la population, pas assez “citoyenne” ?

La foule au bureau de vote

Contre la démocratie bourgeoise, pour la démocratie ouvrière

Comme l'écrivait Lénine, dirigeant historique du mouvement révolutionnaire mondial et fondateur de l'Union soviétique, dans son célèbre livre : « L'État et la révolution » (1917) :

« Décider périodiquement, pour un certain nombre d'années, quel membre de la classe dirigeante foulera aux pieds, écrasera le peuple au Parlement, telle est l'essence véritable du parlementarisme bourgeois, non seulement dans les monarchies constitutionnelles parlementaires, mais encore dans les républiques les plus démocratiques. »

Pour nous autres, socialistes révolutionnaires, les élections soi-disant “démocratiques” telles qu'organisées selon le modèle de la démocratie bourgeoise ne sont qu'une blague destinée à tromper le peuple. De plus en plus de gens comprennent cela dans le monde, que ça soit aux États-Unis (où le taux de participation aux présidentielles de 2004 par exemple était d'à peine 50 %) ou en Côte d'Ivoire. À quoi bon mourir pour ces gens-là ?!

Cependant, cela ne veut pas dire que nous sommes contre la démocratie. Mais il faut bien entendre : de quelle démocratie parlons-nous ?

Dans le cadre du système capitaliste, la démocratie bourgeoise est en fait la dictature de la bourgeoisie. Seuls ont une chance de se faire élire les personnes qui ont les bonnes connections, qui ont fait une carrière prestigieuse en tant que patron d'une entreprise ou en tant que fonctionnaire bien placé, qui disposent des moyens pour financer leur campagne électorale – affiches, matériel publicitaire, passages à la télévision et dans les journaux – et éventuellement pour acheter les urnes à la CEI à la fin du scrutin. Cela tranche totalement avec le discours de Lénine, pour qui « Chaque cuisinier devrait pouvoir diriger l'État ».

La démocratie est nécessaire pour la bonne marche de toute économie avancée. Les anciens pays dits “communistes” (que nous préférons qualifier de “staliniens”) tels que la Russie ou la Guinée et le Mali en ont fait l'amère expérience. Car en effet, sans le droit de critiquer la décision du chef, qu'est-ce qui nous garantit que nous allons dans la bonne direction ? La confiance aveugle dans le chef de l'État ? Et quand celui-ci devient corrompu, malade, ou tout simplement paranoïaque ?

D'autre part, pour qu'un pays puisse avancer, la démocratie ne doit pas être que politique, mais aussi économique. C'est ce qui a permis au capitalisme de finalement surpasser le système stalinien dans les années '70 : la liberté de choix et de création garantit (ou garantissait) le fait que les attentes de la population en termes de qualité et de quantité des produits soit respecté. Dans le cadre du capitalisme, un mauvais patron fait faillite. Dans le cadre du stalinisme totalitaire, un mauvais gérant pouvait rester indéfiniment à la tête de son entreprise nationale. C'est d'ailleurs cet argument qui a été utilisé pour justifier la privatisation de toute une série de compagnies étatiques en Côte d'Ivoire également (CIE, Caistab, etc.).

Ensuite, la démocratie est indispensable afin de garantir que le pouvoir et la décision appartiennent réellement au peuple, et non à l'intérêt des personnes placées au-dessus. La question est donc de savoir comment ces personnes devraient être choisies, et surtout de quels moyens de contrôle le peuple peut disposer afin de s'assurer que les promesses soient tenues.

Par exemple, le mouvement chartiste, pionnier de la démocratie au Royaume-Uni, réclamait que les élections soient tenues chaque année. De la sorte, il ne faut pas attendre cinq ans avant de dégager (au prix de dizaines ou milliers de morts) un mauvais dirigeant. « Mais c'est irresponsable, cela voudrait dire que ce dirigeant ne pourrait pas mener à bien des mesures impopulaires, mais nécessaires pour redresser l'économie ! » s'écrient les bourgeois. Nous savons tous très bien que de telles mesures “impopulaires, mais nécessaires” signifient toujours voler une partie de ce qui revient aux travailleurs pour les donner aux entreprises, dans le cadre d'une économie capitaliste soumise au bon vouloir justement non pas des politiciens, mais de ces grands patrons, ivoiriens ou étrangers, qui se servent d'eux comme de pantins.

Mieux que ça : nous revendiquons le droit de révocabilité à tout moment. C'est-à-dire que, même avec des élections annuelles, toute personne élue à un poste doit pouvoir être rappelée par sa base à tout moment, sur base d'une assemblée de leurs électeurs au cas où ceux-ci s'avéreraient insatisfaits.

Afin d'éviter la course aux postes, nous demandons aussi que l'ensemble des politiciens élus ne reçoivent pas plus que le salaire moyen d'un ouvrier qualifié. S'ils veulent augmenter ce salaire, ils n'ont qu'à augmenter le Smig, comme ils nous le promettent depuis ! Cela, afin de s'assurer que les candidats sont là non pas pour s'installer dans des fauteuils confortables, mais pour réellement prendre cette responsabilité au nom du développement de leur circonscription.

Enfin, nous désirons abaisser l'âge minimum pour être électeur à 16 ans, afin de permettre une plus grande implication de la jeunesse dans la prise de décision.

La manière dont les élections est effectuée aujourd'hui est par ailleurs absurde, couteuse, et inutile. Pour nous, les élus doivent être élus lors d'assemblées populaires dans les quartiers, auxquelles ils viendraient se présenter devant la population elle-même. Les délégués des différents quartiers devraient ensuite entre eux nommer le dirigeant de la commune, lui-même pour une durée de un an, sans privilège financier autre que le salaire moyen d'un travailleur qualifié, et révocable à tout moment.

De telles élections ne devraient pas seulement se dérouler dans les quartiers, mais aussi dans les entreprises, et en particulier dans les entreprises étatiques, afin d'éviter la corruption et la mauvaise gestion des ressources nationales, et leur pillage par nos dirigeants voleurs ou par les groupes impérialistes.

Voilà la démocratie dont nous voulons : une démocratie ouvrière, qui n'est en réalité que la reformulation positive de la célèbre formule : “dictature du prolétariat”.

Exemple de démocratie populaire : l'assemblée des Indignés à Madrid

Comment les socialistes révolutionnaires conçoivent une campagne électorale

Nous ne cautionnons pas le système électoral actuel, d'autant plus que c'est un système qui a été imposé de toutes pièces à l'Afrique par l'Occident et qu'il ne correspond en rien à la culture locale – bien que le concept de démocratie ne soit pourtant pas étranger à l'Afrique : de nombreux peuples de Côte d'Ivoire avaient un système d'élection des chefs et des rois sur base d'assemblées villageoises, qui n'est pas sans rappeler celui que nous désirerions mettre en avant.

Mais ce n'est pas parce que nous ne cautionnons pas ce système que nous refusons d'y participer. Simplement, la manière dont nous participons aux élections dans les divers pays où nous sommes constitués en tant que parti est radicalement différente de celle qui est employée par les partis bourgeois.

Tout d'abord, le CIO ne considère pas la militance politique comme étant l'affaire de voter une personne tous les cinq ans. Pour nous, la lutte pour la libération de la population laborieuse est un combat de tous les jours. Par notre activité, nous nous lions aux différents mouvements de protestation qui naissent dans chaque pays où nous nous trouvons. Nous prenons la parole lors des assemblées, apportons notre contribution au développement de la stratégie des différents mouvements, assistons les leaders de ces mouvements dans leur formation idéologique et organisationnelle. 

Lorsque viennent les élections, nous menons une campagne offensive sur des thèmes qui touchent le quotidien des travailleurs : emploi, enseignement, cherté de la vie, soins de santé… non pas en faisant des promesses fantastiques, mais en expliquant à la population que pour obtenir la satisfaction de ces revendications, elle doit elle-même s'organiser et se prendre en main, et en avertissant la population que sitôt les élections terminées, il faudra continuer à se battre pour faire en sorte que les promesses deviennent réalité.

Cependant, nous expliquons aussi que le fait de voter pour des socialistes révolutionnaires garantit le fait que la voix du peuple combatif soit représentée, nous accorde une plus grande audience dans les médias, nous donne une autorité pour pousser la lutte plus en avant. En Irlande, notre député Joe Higgins a permis la restitution de 30 millions d'euros qui avaient été volés à des travailleurs d'origine turque par la compagnie de construction industrielle Gama. Notre député européen Paul Murphy a quant à lui eu l'honneur de faire partie de la deuxième “Flotille de la liberté” qui a tenté de briser le siège de Gaza (Palestine) en 2011, avant de se faire intercepter par l'armée israélienne. Paul a également pu se rendre au Kazakhstan pour y défendre les travailleurs du pétrole en grève contre une répression extrêmement brutale (à la grande surprise des patrons kazakhes qui s'attendaient à ce qu'il se range de leur côté comme les politiciens “habituels”).

Plus encore. En 1984, nos camarades ont été élus à la tête du conseil communal de la grande ville de Liverpool en Angleterre. Ils y ont bâti 5000 logements sociaux (avec jardin et garage), sept centres sportifs, six nouvelles garderies, embelli la ville par de nouveaux arbres et parcs, annulé les 1200 licenciements prévus par le précédent conseil communal, et engagé à la place 1000 personnes. Tout cela en pleine vague d'austérité au Royaume-Uni, alors dirigé par la terrible et détestable Margaret Thatcher (fort heureusement décédée le mois dernier), qui avait décidé de restreindre le budget des communes et envoyait la police charger les travailleurs des mines en grève à coups d'épée !

Fidèle au slogan “Mieux vaut briser la loi que briser les pauvres”, le budget établi par le conseil communal de Liverpool était donc illégal, avec des dépenses qui dépassaient les entrées. Nos camarades ont justifié cela en exigeant du gouvernement qu'il augmente le budget de la commune. Cela revenait à une déclaration de guerre contre le gouvernement. En mobilisant largement la population lors d'immenses manifestations et grèves régionales rassemblant des milliers de personnes, nos camarades à la tête de Liverpool sont parvenus à forcer la “Dame de fer” à faire la concession de valider le budget qui avait été fixé par le conseil communal “rebelle”.

Voilà la politique que nous désirons mener : se servir des élections bourgeoises comme d'un tremplin destiné à mettre en avant nos mots d'ordre et notre stratégie, afin de mobiliser la population dans la lutte pour la fin du capitalisme, et pour le socialisme.

Nos camarades du conseil communal de Liverpool en 1984, en tête de manif


Conclusion : un point tournant dans la situation politique

En guise de conclusion, nous voyons donc que ces élections, avec la grève des enseignants, ont marqué un point tournant dans l'évolution de la conscience politique en Côte d'Ivoire. Une majorité de la population, sans pour autant être partisane du FPI, est déçue, si pas dégoutée, de la politique et de l'attitude du régime Ouattara et de ses cadres, qui n'ont ces derniers mois brillé que par leur arrogance et par leur mépris du peuple, y compris de leur propre base dans leur propre parti.

C'est en réalité l'ensemble des partis politiques ivoiriens qui sont en crise en ce moment. Le RDR est en perte de légitimité, le PDCI ne sait s'il doit tenter de maintenir l'alliance du RHDP malgré les récents événements ou répondre à l'appel du FPI, le FPI est en train de perdre son implantation vu son retrait systématique de la vie politique du pays depuis plusieurs mois et étant donné le fait que la plupart de ses cadres sont en exil ou en prison. Cela explique la pléthore d'indépendants, dont la majorité est issue du RDR.

Avec le nombre de grèves en augmentation et le nombre d'importantes décisions qui sont sans cesse reportées à plus tard, il faut s'attendre à entrer dans une période de luttes sociales de plus en plus grandes. Un tel contexte est favorable à l'éclosion de toute une série de nouveaux partis politiques, mais aussi à l'organisation d'une grève nationale de la fonction publique, si pas d'une grève générale.

C'est pourquoi le CIO appelle l'ensemble des travailleurs et des jeunes de Côte d'Ivoire à prendre contact avec nous pour entamer des discussions visant à la création d'un nouveau parti des travailleurs, des jeunes et des pauvres, à l'image du WASP sud-africain ou du SPN nigérian, seule solution capable de nous mener à la réconciliation et de nous éviter une grave crise électorale en 2015.


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