lundi 29 avril 2013

Mali : contre le terrorisme, contre l'impérialisme

 Mali : non à l'intervention impérialiste !
Un soldat français heureux de faire son travail

Ce 11 avril a marqué non seulement les deux ans du président Alassane au pouvoir, mais aussi trois mois d'intervention française au Mali. L'armée française, avec ses alliés tchadiens, a certainement obtenu une grande victoire militaire par son écrasante supériorité technologique et logistique. Cependant, cette victoire reste à assurer sur le terrain avec le danger d'un glissement vers une situation de menace terroriste permanente, en plus d'avoir d'importantes conséquences politiques. Plusieurs de nos camarades ont écrit les mois derniers sur les implications et les véritables causes et raisons de cette nouvelle guerre impérialiste, mais aussi sur les alternatives populaires qui auraient pu être mises en avant à la place. Ci-dessous, une sélection de quelques-uns de ces articles.

Intervention au Mali : impérialisme ou “guerre humanitaire” ?


Face aux terribles méthodes réactionnaires des djihadistes qui ont pris le pouvoir dans le nord du Mali aux côtés du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), l’intervention militaire française (qui reçoit entre autres l’appui logistique de l’armée belge) s’est présentée comme une aide extérieure – à la demande des Maliens “eux-mêmes” – pour défendre la “démocratie” et les “droits de l’homme”. Il est certain que les terribles méthodes des groupes djihadistes réactionnaires sont absolument répugnantes. Doit-on pour autant soutenir cette intervention ? Quelles solutions sont réellement capables de pacifier la région ? 

Article par Nicolas Croes, du PSL/LSP (Parti socialiste de lutte / Linkse Socialistische Partij), section belge du CIO, publié le 4 février 2013

Une situation sociale désastreuse

Malgré ses grandes ressources naturelles (le Mali est le troisième producteur d’or d’Afrique), ce pays est aujourd’hui l’un des plus pauvres au monde. En 2011, il s’est classé 175e sur les 187 pays pris en compte par l’Indice de développement humain du Programme des Nations-Unies. Le taux de mortalité infantile est faramineux, de même que la malnutrition, l’analphabétisme… ce à quoi s’ajoute aussi la pratique largement répandue de l’excision. 

Toute la région au nord du “Mali vert” connait une situation plus dramatique encore. Cette région a toujours été défavorisée en termes d’investissements et d’infrastructures, tant durant la période de la colonisation française qu’après l’indépendance (en 1960), et plus particulièrement encore sous la dictature du général Moussa Traoré (à partir de 1968). De plus, les pluies se tarissent en raison du réchauffement climatique, une catastrophe pour tous les peuples de la région qui dépendent quasi uniquement de l’élevage et de l'agriculture. Cette situation globale liée à la chute du tourisme (en conséquence de la crise et de l’augmentation des violences) a laissé des villes comme Tombouctou totalement sans ressources à l’exception de l’aide humanitaire limitée – et souvent non désintéressée – venue d’Occident et d’ailleurs (notamment, précédemment, de la Libye de Kadhafi).

Il n’est pas exagéré de dire que les zones désertiques du Nord constituent un véritable océan de misère, de colère et de désespoir. Voilà le terreau pourri sur lequel ont pu proliférer mafias de trafiquants de drogue, milices armées, combattants de type al-Qaïda, kidnappeurs, etc.

La misère au nord du Mali

 

La responsabilité du régime de Bamako


Les problèmes dans le nord du Mali sont connus de longue date. Les révoltes y ont été nombreuses, particulièrement en 1990. Ces rébellions ont d’ailleurs été l’un des facteurs (mais ni le seul, ni le plus important) qui a conduit à la chute de la dictature de Traoré en 1991. Il a fallu attendre 1996 pour que les différents groupes touaregs brulent symboliquement leurs armes en échange de promesses d’investissements destinés à améliorer les terribles conditions de vie en vigueur dans cette région. Mais ils ont largement été trahis, et n'ont pas été les seuls dans ce cas. 

La dictature de Traoré s’est effondrée non pas du simple fait des rébellions touaregs, mais surtout à la suite d’une véritable révolte des masses, avec une mobilisation extraordinaire de la jeunesse (qui a connu de régulières explosions de colère depuis 1977), des femmes et de la base de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM). Grèves générales et manifestations de masse ont déferlé sur le pays pour réclamer la fin de la dictature, mais aussi plus de justice sociale. 

Faute d'un prolongement politique résolu à s’en prendre aux racines du système, il vide politique a été créé. Cela a laissé l'espace à une aile de la hiérarchie militaire pour opérer un coup d’État afin d’assurer une “transition démocratique”, avant tout destinée à préserver la structure de l’État et le système d’exploitation tout en sacrifiant le dictateur (gracié en 2002). Malgré tout, le régime présidentiel autoritaire a eu du mal à être installé, et les protestations de masse se sont poursuivies (notamment en 1993). 

Le régime a continué à se plier en quatre pour servir les intérêts de l’impérialisme, essentiellement français, et s’est soumis de bonne grâce aux diktats du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale en appliquant une politique néolibérale sauvage qui a détruit les services publics existants. Ce fut plus particulièrement le cas dans les années '2000, sous le règne d’Amadou Toumani Touré, le putschiste de 1991 élu à la présidence en 2002.

Le président putsché Amadou Toumani Touré

Socialisme ou barbarie

Ni en Afghanistan, ni en Irak, ni ailleurs, la guerre n’a jamais été la solution pour instaurer la démocratie. Par contre, la “lutte pour la démocratie” a systématiquement servi à masquer la défense des intérêts impérialistes. Dans le cas du Mali, il s’agit de s’assurer le contrôle des ressources de la région, au Mali, mais aussi au Niger voisin. La France puise plus de la moitié de l’uranium nécessaire à ses centrales nucléaires au Niger (soit, un tiers de toute son électricité !). Elle vient d’ailleurs de décider d’envoyer ses troupes spéciales pour protéger l’uranium du géant français du nucléaire, Areva (c’est la première fois que les forces spéciales servent de milice pour une entreprise privée). La “Françafrique” existe toujours bel et bien, comme l’avait encore illustré l’Opération Licorne en Côte d’Ivoire, pays lui aussi voisin du Mali. S'il est possible qu'une grande partie de la population accueille aujourd’hui favorablement les troupes étrangères face au danger du djihadisme réactionnaire, la réalité du “Malifrance” ne va pas être bien longtemps masquée. Aujourd’hui, de nombreux rapports font déjà état de crimes de guerre commis des deux côtés du conflit, tandis que les troubles se sont étendus jusqu’à l'Algérie, où les braises du sanglant conflit interne des années '90 ne se sont jamais éteintes. 

Seul un mouvement organisé sur une base de classe et résolu à livrer aux masses le contrôle des ressources du pays serait capable de résoudre les divers problèmes entre ethnies (Touaregs, Bambaras, Dogons, Bozos...) en éliminant la division fratricide qu'entraine la lutte pour la survie en désespoir de perspectives communes. 

Les travailleurs et les pauvres du Mali jouissent d’une longue tradition de lutte, un tel mot d’ordre n’a rien d’un fantasme.

Le Mali dispose d'une société civile très engagée

Mali : l’intervention impérialiste n’offre aucun espoir à la classe des travailleurs


Du Libéria au Congo et à la Somalie, de la Sierra-Léone au Rwanda et au Burundi, du Soudan au Sud-Soudan et au Kenya, en Côte d’Ivoire, au Nigeria et maintenant au Mali, une grande proportion de pays post-coloniaux et néo-coloniaux d’Afrique sont victimes de faillites étatiques. Comme le Democratic Socialist Movement (DSM) l'a toujours défendu, la raison sous-jacente de cette faillite (qui se manifeste par des guerres, des rébellions, des coups d’états et l’instabilité gouvernementale), c’est l’incapacité des États à satisfaire les besoins essentiels des masses.

Par Lanre Arogundade, du Democratic Socialist Movement, section nigériane du CIO publié le 4 février 2013


Mais le glissement vers le chaos et l’anarchie est encore plus appuyé par, de temps à autre, des questions ethniques non-résolues, dont les racines se trouvent dans la volonté de s’accaparer des ressources naturelles et dans le dessin de frontières artificielles par les anciennes puissances colonisatrices.

Il y a également l’intégration des pays africains néo-coloniaux dans le giron du capitalisme mondialisé – ce qui correspond de facto à un plan de re-colonisation – qui est venue avec l’imposition de politiques publiques néolibérales et anti-pauvres à travers lesquelles la richesse se concentre en un nombre toujours plus restreint de mains pendant que l’immense majorité des pauvres et des travailleurs souffre de privations.

La vraie tragédie de l’Afrique, c’est que ses pays sont riches en ressources humaines et naturelles, à tel point qu’une telle pauvreté devrait être une aberration. Cependant, comme nous le voyons tous les jours, ces ressources sont sources de beaucoup plus de maux que de bénéfices. Ainsi, parfois, plus riche en minerai est le pays (comme la RDC ou le Nigeria) et plus grand est le nombre de guerres, de guerres civiles ou le chaos de ce pays.

Mine d'or artisanale au Mali


Les racines de la crise malienne

Au-delà de cela, la crise qui secoue le Mali n’est que le dernier chapitre d’un conte sordide. La réalité reste qu’en dépit de l’intervention de l’impérialisme français et des forces de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ce ne sera pas la dernière crise à cause de la fragilité croissante des soi-disant “démocraties” africaines. C’est cette fragilité qui a fait que la classe dirigeante malienne (civile ou militaire) s’est jetée dans les bras des forces d’intervention étrangères. Les jeunes officiers formés par les États-Unis, qui avaient préalablement planifié un coup d’État contre le gouvernement civil, ont dû se rétracter quand ils se sont rendus compte du sous-équipement et de la sous-motivation de leurs troupes.

Aucune défaite des forces islamistes au Nord-Mali ne pourra sortir la grande majorité des Maliens de la pauvreté, aussi longtemps que le système d’oppression capitaliste se maintiendra aux commandes.
Bien que la cause immédiate de la crise actuelle est la pression des restes des forces touaregs (qui ont conservés leur loyauté d’autrefois à l’ex-régime de Muhammar Kadhafi) pour obtenir par la force leur État propre, le facteur déterminant dans cette crise reste le fait que le gouvernement de Bamako a pratiquement perdu toute légitimité à cause de son incapacité à résoudre les problèmes fondamentaux auxquels est confrontée la population malienne. En lançant un appel à l’intervention militaire étrangère, la classe dirigeante malienne a agit de façon à “classer” l’affaire, après avoir précipité l’économie dans un état de dépendance envers l’aide étrangère qui lui permet à peine de survivre.

Comme Walter Rodney le disait dans son livre Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique : « Si le pouvoir économique est situé en dehors des frontières nationales de l’Afrique, alors le pouvoir politique et militaire est de fait situé en dehors des frontières nationales jusqu’à ce que les masses des paysans et des travailleurs se mobilisent pour offrir une alternative à ce système de parodie d’indépendance politique ».

En effet, c’est cette dépendance économique qui rend le Mali si vulnérable à n’importe quelle crise sur le marché des matières premières puisque les deux piliers de son économie restent la production agricole et la prospection d’or. En 2001, le Mali est devenu le 3e plus grand extracteur d’or d’Afrique avec 41 tonnes par an (après l’Afrique du Sud et ses 391 tonnes, et le Ghana avec 72 tonnes). Il n’est pas exclu que les riches réserves d’or du pays aient été une motivation majeure pour les rebelles, de même que les vastes ressources minières de la RDC continuent d’encourager des rébellions armées répétées, ou tout comme les “diamants du sang” ont constitué le facteur central dans la guerre menée par les rebelles de Charles Taylor qui a touché la région de la rivière Mano au Libéria, en Sierra-Léone et en Côte d’Ivoire à partir des années ’90 jusqu’à tout récemment.

Pourtant, le Mali figure dans le classement des 25 pays les plus pauvres au monde selon l’Observatoire économique africain. La croissance économique s’est effondrée pour ne plus atteindre que 1,1% en 2011, une situation économique attribuée en partie « à la crise post-électorale de la Côte d’Ivoire, à la guerre en Lybie et à la flambée des prix du pétrole, du gaz et de la nourriture », avec comme conséquence un boom de la pauvreté, tandis que le chômage frappe les catégories les plus jeunes de la population, dont 15,4 % des 15-39 ans. « Les jeunes sans emploi représentent 81,5 % du total des sans-emplois du pays ». Tout cela est arrivé après que le pays ait accepté le prêt du FMI qui a précédé chronologiquement l’incursion rebelle au Nord-Mali.

Les djihadistes du Mali

Une guerre qui coutera cher au pays

Malheureusement, ce niveau de pauvreté n’arrêtera pas les impérialistes dans leur volonté de faire payer au pays les frais liés à l’entrée en guerre, tout comme l’Irak a dû le faire et doit toujours le faire pour la guerre du Golfe, via ses ressources pétrolières, ou comme le Liberia a dû financer sa propre guerre avec ses abondantes plantations d'hévéa qui sont désormais vendues cadeau à des intérêts économiques étrangers. Le plus grand planteur mondial d'hévéa peut se vanter de ne pas avoir sur son territoire national la moindre usine de caoutchouc, même pas pour les semelles de pantoufles !

Au Mali, cette volonté se présente sous la forme d'une nouvelle exploitation impitoyable des gisements d’or et d'une nouvelle politique économique néolibérale, via la privatisation des principaux secteurs de l’économie.


L'aide du Nigeria

Des pays comme le Nigeria sont extrêmement désireux de contribuer à l’envoi de troupes au Mali, car ils sont confrontés à leurs propres crises internes. La classe dirigeante nigériane s’appuie sur les services secrets étrangers (américains, israéliens et anglais) pour faire face aux campagnes de bombardements de Boko Haram (organisation islamiste nigériane qui est en rébellion armée dans ce pays et est également présente au Mali). Apparemment, cette intervention est aussi un moyen d’envoyer l’avertissement que l’utilisation de la force brute soutenue par des puissances étrangères peut devenir une option au Nigeria.

Cependant, nous devons mettre en garde contre cette réponse musclée et militaire qui échouera à enrayer la menace posée par l’insurrection de Boko Haram. Il convient de rappeler que ce sont les brutales réponses militaires – avec le meurtre de sang-froid du leader de Boko Haram, Mohammed Yusuf, en 2009 – qui ont conduit à l’escalade des activités de Boko Haram avec son cortège de massacres insensés et de destructions debridées des institutions d’État et de bâtiments d'église, tous deux perçus comme des ennemis.

Pareillement, après des années d’expéditions militaires par les pouvoirs capitalistes mondiaux menés par les États-Unis – et qui ont coûté des milliards de dollars et la vie de centaines de milliers (si ce n’est de millions) de soldats et de personnes sans défenses – des pays comme l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan ou encore la Libye où les forces impérialistes ont mené une guerre contre les soi-disant terroristes, restent les pays les plus instables au monde, où la pauvreté règne, des pays non-démocratiques et plus divisés que jamais.

Évidemment, les conséquences de l’actuelle expédition impérialiste au Mali ne vont qu’empirer la situation politique et sociale du Mali et du Nigeria qui a donc envoyé des soldats en tant que partie prenante des troupes de la CEDEAO. Les insurgés tuant déjà beaucoup de soldats déployés au Mali.

La direction de la force “pan-africaine” a été donnée à un général nigérian


Contre l'intervention impérialiste

Les véritables socialistes et les véritables militants de la classe ouvrière continueront de s’opposer à l’intervention impérialiste au Mali et dans d’autres parties de l’Afrique car elle n'offre aucune perspective d’espoir pour les travailleurs. Mais les forces de la désintégration continueront d’être présentes tant qu’il n’y aura pas d’intervention décisive de la classe ouvrière agissant de concert avec les paysans pauvres et les fermiers.

Il est donc devenu impératif de faire s'accroitre la conscience sociale des travailleurs à travers la construction d’un puissant mouvement politique, avec l’objectif de conquérir le pouvoir sur base des idées socialistes.

Seul un gouvernement des travailleurs et des paysans pauvres pourra opposer la garantie du droit à l’autodétermination aux tentatives des groupes armés de s’imposer non démocratiquement et par la force aux populations.

Du Mali au Nigeria, au Liberia, au Kenya et au Soudan, un tel gouvernement devra prendre les décisions pour aller vers la nationalisation des secteurs-clés de l’économie sous contrôle démocratique et sous gestion des travailleurs dans l’objectif de libérer les ressources nécessaires à la réalisation d’un programme d’investissement public massif dans l’éducation, la santé, les logements et les infrastructures rurales.

La démocratie française en marche

 

Sahel : Non à la guerre au Mali ! L'intervention impérialiste va approfondir la crise et l'instabilité


La crise des otages de quatre jours qui a eu lieu dans le complexe gazier d'In Amenas dans le sud-est de l'Algérie ainsi que son issue sanglante a constitué un véritable choc au niveau international. Ce raid et la riposte de l'armée algérienne ont tué au moins un travailleur algérien, 37 otages et 29 preneurs d'otages. Ces derniers étaient membres de la brigade al-Mouthalimin, la “Brigade des Masqués”, qui a annoncé de nouvelles attaques contre des intérêts étrangers à moins que ne cesse l'offensive militaire étrangère au Mali. Dans la foulée, le premier ministre britannique, David Cameron, a prévenu que la lutte contre le terrorisme en Afrique du Nord pourrait continuer “des décennies”. 

Nombreux sont ceux qui sont légitimement repoussés par les actions des groupes djihadistes réactionnaires tels que celui qui a effectué cette opération en Algérie. Cela s'est ajouté aux nombreux rapports faisant état des horribles méthodes qui prévalent sous le joug imposé par les combattants islamistes dans le nord du Mali (exécutions sommaires, tortures, amputations, lapidations, interdiction de la musique, destruction de lieux saints…). Cette barbarie constitue la principale réserve de munitions idéologiques des défenseurs de l'intervention militaire de l'armée française dans cette région, qui semble actuellement avoir un important taux de soutien dans l'opinion publique. Les derniers sondages indiquent que le soutien pour “l'Opération Serval” au sein de la population française est actuellement de plus de 60 %. Néanmoins, les récents développements en Algérie indiquent que cette offensive militaire terrestre, contrairement aux arguments officiels, est susceptible de générer davantage de crise et de violence dans la région.

Le site d'In-Amenas, après la bataille

Article par Cédric Gérôme, représentant du CIO au Maghreb, publié le 24 janvier 2013

Pour le moment, la plupart des rapports des médias indiquent que les Maliens, dans leur grande majorité et en particulier dans le Sud, accueillent favorablement l'intervention française. Avec la propagande qui accompagne inévitablement de tels épisodes de guerre, à ce stade, beaucoup de Maliens pourraient véritablement penser et espérer que l'intervention du gouvernement français pourrait les protéger contre certains des groupes armés qui terrorisent la population du Nord.

L'état d'esprit de la population dans les différentes régions du pays est toutefois difficile à estimer de façon indépendante, surtout dans le Nord, puisque tant le “gouvernement de transition” malien (qui est essentiellement la façade politique d'un régime militaire) que les militaires français interdisent l'accès aux zones de combat aux journalistes. Dans ces zones, les soldats ont reçu l'ordre de ne pas laisser passer les journalistes, certains ont même vu leur matériel saisi par les autorités.

Le fait que tant d'efforts soit effectué afin d'éviter toute libre information est en soi une raison suffisante pour faire naitre de sérieux soupçons quant au véritable agenda des dirigeants maliens et de l'impérialisme français. Cela pourrait-il être lié d'une façon ou d'une autre avec le nombre croissant de rapports qui parlent d'atrocités commises par l'armée malienne ? Quelques jours seulement après le début des opérations militaires, la Fédération internationale des droits de l'homme, Human Rights Watch et Amnesty International dénonçaient déjà des cas d'exécutions sommaires du fait de l'armée malienne et des milices pro-gouvernementales.

François Hollande, initiateur d'une nouvelle Françafrique

Représailles ethniques et violations des droits de l'homme par l'armée malienne

Lors de la reprise de villes précédemment perdues par l'armée malienne, soutenue par les forces françaises et de la CEDEAO (la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), les punitions collectives contre la population locale et les règlements de comptes sanglant avec les minorités touarègue et arabe, en particulier, on connu une escalade.

Dans les villes de Sévaré et de Niono, au centre du Mali, les preuves de massacres, de “chasse à l'homme”, de cadavres jetés dans les puits par l'armée, de soldats empêchant les témoins de quitter la ville et d'autres graves violations se sont accumulées depuis quelques jours. Deux jeunes habitants interrogés par un journaliste français ont expliqué que «  Être arabe, touareg ou habillé de façon traditionnelle pour quelqu'un qui n'est pas de Sévaré suffit à vous faire disparaitre. Le port de la barbe est un suicide ».

Port du turban interdit dans le Nord-Mali

Le modèle malien

Ces exemples dévoilent le côté sombre d'une guerre engagée sous la bannière des “droits de l'Homme” et de la “démocratie”. Tout cela porte un sérieux coup à la version d'une guerre du “Bien contre le Mal” telle que décrite par les politiciens capitalistes occidentaux. Un rapport d'Amnesty International a par exemple mis en lumière, avant même que l'offensive militaire n'ait commencé, que le recours à des enfants-soldats n'est pas la pratique exclusive des combattants djihadistes. Des officiers maliens et des milices pro-gouvernementales font de même.

La réalité est que l'exemple malien de “démocratie” et de “stabilité” tant vanté n'a jamais existé. Le régime d'Amadou Toumani Touré (“ATT”) était corrompu, clientéliste et autoritaire. Beaucoup de ses propres hauts fonctionnaires ont directement été impliqués dans le trafic de stupéfiants et ont trempé dans des trafics et des enlèvements de toutes sortes, avec l'aide de certains de ces gangsters du Nord et du Sahara actuellement désignés comme étant des “terroristes” et contre qui se mène la guerre actuelle.

La vérité qui dérange, c'est que les activités d'AQMI (al-Qaïda au Maghreb islamique) et d'autres groupes armés ont été tolérées des années durant par le régime de Bamako. Ces groupes ont été un élément essentiel dans les circuits criminels qui ont contribué à l'enrichissement personnel et à la corruption de hauts fonctionnaires du gouvernement et de l'armée (d'après le Bureau de lutte contre la drogue des Nations-Unies, 60 % de la cocaïne présente en Europe aurait transité par le Mali). Ces groupes avaient également l'avantage de pouvoir être utilisés comme un contrepoids à l'influence et aux exigences des Touaregs.

Dans l'armée, les généraux siègent dans des bureaux richement décorées tandis que les soldats sont parfois envoyés au champ de bataille sans matériel appropriés, sans bottes par exemple. Le ressentiment et la colère des soldats du rang contre la corruption de la hiérarchie et contre le refus du régime d'ATT de mener une lutte sérieuse contre les groupes armés du Nord ont constitué un élément clé dans le processus qui a conduit au coup d'État militaire de mars 2012 réalisé par des officiers subalternes. Ce coup d'État, ironiquement, a été dirigé par un capitaine de formation américaine, Amadou Sanogo, et a entrainé la disparition du “régime démocratique” d'ATT.

Les puissances occidentales, dans un premier temps, ont craint que la nouvelle junte au pouvoir n'échappe à leur contrôle et l'ont donc rejetée. Ils ont même décidé, après le coup d'État, de suspendre l'aide au Mali, entrainant toute la société dans une pauvreté plus grande encore. Ils ont ensuite changé d'attitude en se rendant compte que Sanogo, qui avait tout d'abord adopté une rhétorique anti-élite et populiste afin de s'attirer du soutien, était hésitant et s'est finalement montré prêt à collaborer avec l'impérialisme.

Le régime malien est très dépendant de l'“aide” occidentale

 

Le nord du Mali : un désastre social et humanitaire en cours

Les effets dévastateurs provoqués par les politiques néolibérales du régime d'ATT, soutenu par l'Occident, ont permis au capital français de dominer des pans importants de l'économie malienne, ont ruiné la vie de beaucoup de gens et ont considérablement augmenté le chômage de masse, la pauvreté, la précarité.

Le Mali est aujourd'hui l'un des pays les plus pauvres au monde, se classant 175e sur 187 pays en 2011 selon la grille de l'Indice de développement humain du Programme des Nations Unies. Ce pays a un taux de mortalité infantile et maternelle, de maladies et de malnutrition plus élevé que dans la plupart des pays d'Afrique sub-saharienne, et un taux d'analphabétisme de 75 %.

La marginalisation sociale de longue date du nord du pays ainsi que le manque d'investissements et d'infrastructures dans cette région ont créé un océan de misère extrême et un niveau très élevé de ressentiment et de désespoir.

En outre, tous les experts affirment que la sécheresse va s'approfondir dans le Sahel et que les pluies se tarissent en raison du réchauffement climatique. Il s'agit d'un désastre environnemental de grande ampleur pour tous les peuples de la région, car ils dépendent presque entièrement de l'élevage et de l'agriculture.

La forte baisse de l'activité économique touristique suite à l'augmentation du niveau de violence a été un facteur aggravant, avec un impact désastreux sur certaines régions et villes complètement dépendantes du tourisme pour leur survie (comme Tombouctou).

Ce cocktail a créé une catastrophe sociale monumentale qui a été le terreau fertile du développement d'un territoire quasiment sans droit, fait d'une interaction complexe de mafias de trafiquants de drogue et de milices armées, aux côtés de combattants de type al-Qaïda, de kidnappeurs et de bandits de toutes sortes.

François Hollande prend un bain de foule à Gao,
capitale historique de l'empire Songhaï

 

Une guerre pour la domination et le profit

Une série de turbulences politiques ont été connues depuis l'épisode du coup d'État de Sanogo, qui a reflété la crise politique organique du pays et est l'acte de naissance de l'actuel gouvernement intérimaire. Formellement, la légitimité démocratique de ceux qui détiennent le pouvoir à Bamako est zéro. Cela n'empêche pourtant pas le gouvernement français d'exploiter le fait que ce régime militaire a “demandé” à la France d'intervenir. Il ne s'agit que de la propagande destinée à alimenter l'idée que l'intervention militaire a été décidée suite à la demande d'aide du “peuple malien” !

Mais combien de temps sommes-nous censés croire que cette guerre n'a rien à voir avec le fait que le Mali possède de l'or, de l'uranium, du bauxite, du fer, du manganèse, de l'étain et du cuivre ? Ou avec le fait que ce pays est voisin du Niger, la source de plus d'un tiers de l'uranium utilisé dans les centrales nucléaires françaises ?

La dure réalité est que cette escalade militaire dans le Sahel, sous la bannière de la “guerre contre le terrorisme”, ne vise à rien d'autre qu'à servir les intérêts impérialistes de la France : garantir la poursuite du pillage des immenses ressources de la région aux avantages de ses multinationales et de ses institutions financières.
 
Les entreprises françaises ne sont pas les seules à avoir un appétit croissant pour cette région du monde. Les investissements directs chinois au Mali ont été multipliés par 300 entre les années 1995 et 2008. Le Mali occupe effectivement, avec la Zambie, l'Afrique du Sud et l'Égypte, le sommet de la liste des pays africains où la Chine réalise ses plus gros investissements.

Un rapport conjoint de l'office allemand des Affaires étrangères et du ministère de la Défense montre qu'un budget de plus de trois millions d'euros a été alloué aux activités allemandes au Mali depuis le début de l'année 2009. Une dépense supplémentaire de 3,3 millions d'euros est prévue pour les années 2013 à 2016. De toute évidence, cette guerre s'inscrit dans un contexte plus large de compétition entre les différentes puissances afin d'étendre leur influence régionale et de garantir leur accès à des ressources et des marchés importants.

La supériorité flagrante de l'armée française dans un pays sous-développé

 

Vers un “Sahelistan” ?



Politiciens et commentateurs capitalistes ont averti du danger de l'instauration d'un “Sahelistan”, un paradis pour les groupes terroristes de la région du Sahel.

Bien entendu, aucun militant marxiste ou progressiste ne peut éprouver la moindre sympathie pour les djihadistes d'Al-Qaïda et d'autres groupes de ce type, dont l'idéologie et les méthodes constituent un danger mortel pour le mouvement ouvrier et pour les masses pauvres en général. Un lieu où les couples d'adolescents risquent la mort par lapidation s'ils se tiennent la main en public est une perspective épouvantable pour l'écrasante majorité des travailleurs et des jeunes.

Ces groupes prétendent appliquer la volonté de Dieu, mais ne sont pas exempts de contradictions. Ainsi, ces groupes suivent des pratiques telles que l'amputation ou le fouettement de gens qui fument des cigarettes, tout en étant eux-mêmes impliqués dans la contrebande de cigarettes et de drogue. Pour certains de ces groupes, l'idéologie religieuse n'est qu'une préoccupation de second ordre, et parfois rien de plus qu'une simple couverture pour leurs activités mafieuses.

Ces groupes réactionnaires ne sont que des champignons naissant sur un organe pourri qui est incapable de fournir à la majorité de la population, et surtout aux jeunes, un moyen d'aller de l'avant et d'avoir une vie décente. La peur, le manque de moyens de survie, l'absence de ressources financières, le besoin de protection, ou tout simplement l'absence d'alternative intéressante pour lutter contre la corruption des élites locales et les envahisseurs étrangers sont autant de motivations pour rejoindre ces groupes. En l'absence d'un mouvement fort et indépendant de la classe ouvrière uni aux pauvres des villes et des campagnes, capable de se mobiliser pour offrir une perspective et un programme de changement social et politique, ces groupes armés peuvent continuer à exister et à se développer.

Tout cela ne rend pas l'intervention militaire plus justifiable, de même que cela n'enlève en rien la responsabilité des puissances impérialistes bellicistes et de leurs marionnettes au pouvoir à Bamako face à cette situation.

Les premiers rapports des frappes aériennes françaises contre les villes de Gao et de Konna, la semaine dernière, faisaient état d'entre 60 et 100 personnes tuées dans ces deux villes, y compris des enfants déchiquetés par les bombes. Les responsables militaires français ont eux-mêmes averti que des dizaines de morts parmi les civils sont presque “inévitables”, puisque les rebelles vivent parmi la population et utilisent une tactique de guérilla pour se cacher.

Les méthodes de lutte “très démocratiques” des djihadistes maliens

L'intervention militaire : une solution miracle ?


Tout cela jette de sérieux doutes sur l'objectif d'une brève campagne militaire de “quelques semaines”. Encore une fois, c'est une chose d'envahir un pays et d'engranger de premiers succès militaires, mais c'en est une autre de se retirer et de compter sur une armée faible, impopulaire, fragmentée et corrompue pour reprendre le contrôle d'un territoire immense sans s'en prendre à la moindre des causes de la situation sociale explosive qui prévaut. La comparaison avec le bourbier afghan vient légitimement à l'esprit : selon le dernier rapport du Pentagone sur les progrès des forces afghanes, à peine une seule des vingt-trois brigades de l'armée afghane est « capable de fonctionner sans aucune aide extérieure ».

Peter Chilson, des Affaires étrangères américaines, a écrit : « Le vaste désert du nord du Mali est un endroit difficile à vivre, sans même parler de guerre. Pendant huit mois de l'année, la température y dépasse 48°C pendant la journée, dans un pays vaste et peu peuplé où il est facile de se cacher, surtout pour les forces djihadistes qui connaissent bien le terrain. Toute armée, qu'importe sa taille et son équipement, aura beaucoup de mal à les chasser ».

La France sera incapable d'éviter un engagement à long terme avec ses propres forces militaires. Au fur et à mesure que le nombre de blessés civils augmentera et que l'occupation occidentale et ses abus réveilleront les amers souvenirs de la période coloniale, cette intervention pourra précisément fertiliser le sol pour les djihadistes et d'autres groupes réactionnaires et leur attirer de nouveaux candidats pour participer à la “croisade contre le maitre colonial”.

À mesure que se poursuivra le conflit et que ses dramatiques conséquences seront exposées, l'atmosphère de relative acceptation cèdera place au doute, à la réticence et à l'hostilité. L'opposition va grandir et devenir plus audible. En France, les illusions envers la politique étrangère du gouvernement soi-disant “socialiste”, qui cherche à se faire passer pour fondamentalement différent de celle de Sarkozy, aura du mal à se maintenir. Toute l'idée défendue par François Hollande de la fin de la “Françafrique” sera de plus en plus considérée pour ce qu'elle est : une plaisanterie cynique.

Par ailleurs, ce qui s'est passé dans le sud de l'Algérie n'est peut-être que le premier exemple d'une longue série d'effets “boomerangs”. En conséquence de cette intervention, plusieurs choses peuvent revenir à la face de l'impérialisme. Le chaos se répand et les problèmes de la région vont s'accumuler.

L'armée française en terrain très hostile

 

Socialisme ou barbarie

Un mouvement organisé sur une base de classe, qui lierait la lutte contre la réaction fondamentaliste à un programme économique audacieux visant à exproprier les grandes entreprises et les grandes propriétés foncières ainsi qu'à résoudre les problèmes sociaux et la corruption, pourrait rapidement obtenir un large soutien parmi la population malienne.

Un tel mouvement pour l'égalité sociale devrait respecter les revendications et les droits de toutes les minorités ethniques et culturelles de la région afin de gagner en sympathie, dans le pays comme sur la scène internationale.

La construction d'un tel mouvement de masse peut apparaître comme une solution lointaine pour beaucoup de gens. Mais il s'agit du seul moyen de sortir de ce cauchemar grandissant. Le système capitaliste a montré à maintes reprises, partout sur le continent africain et au-delà, que le seul avenir qu'il a à offrir est de plonger la majorité de la population dans un cycle de barbarie, de crise économique, de guerre et de misère.

L'intervention est globalement soutenue par la population… jusqu'à quand ?

  • Non à l'intervention impérialiste dans le Nord du Mali ! Retrait des troupes étrangères du Mali – retrait des troupes françaises du Sénégal, de Côte d'Ivoire, du Burkina Faso, du Tchad…
  • Non à l'État d'urgence, pour le rétablissement de toutes les libertés démocratiques au Mali !
  • Pour la construction de comités de défense multi-ethniques démocratiquement organisés par la population malienne afin de chasser toutes les milices réactionnaires, mais aussi de résister à toute tentative d'occupation néocoloniale militaire du Nord !
  • Pour l'autodétermination des Touaregs ! Tous les peuples du Sahel et du Sahara, ainsi que tous les peuples au sein de chaque pays, doivent avoir l'égalité des droits, et pouvoir décider eux-mêmes de leur propre avenir !
  • Les richesses du Mali appartiennent au peuple malien ! Pour le contrôle et la gestion démocratique des grandes propriétés foncières, de l’Office du Niger, des mines et des secteurs stratégiques de l'économie malienne par les travailleurs et les pauvres, et non pas par des gestionnaires corrompus ! Pour la nationalisation des secteurs-clés de l’économie sous contrôle démocratique !
  • Pour le financement d'un plan de développement économique basé sur les besoins des masses maliennes et contrôlé par elles !
  • À bas le régime de Bamako ! Pour un gouvernement des travailleurs et des paysans pauvres, afin de commencer la mise en œuvre de politiques socialistes pour développer le pays, sur base de la lutte commune des masse, organisée démocratiquement à la base.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire