dimanche 28 avril 2013

CI : grève des enseignants

Grève des enseignants : match-nul entre syndicat et gouvernement


C'est ce dimanche que l'Isef (intersyndicale du secteur éducation-formation) a annoncé la fin de son mouvement de grève, le troisième depuis le début de l'année scolaire. La grève, annoncée comme “illimitée”, aura finalement duré près d'un mois (en comptant les vacances de Pâques). Le bilan tiré par les enseignants grévistes eux-mêmes, sur le blog de l'Isef, n'est pas fameux. Beaucoup parlent de défaite, tous expriment leur déception, quelques-uns seulement mettent en avant l'importance stratégique et politique de ce denier mouvement, même si, dans le fond, rien n'a été obtenu en termes monétaires qui ne l'avait déjà été, et les garanties données par le gouvernement restent floues. Ce n'est sans doute que partie remise entre les enseignants et le gouvernement. L'heure est donc venue de faire un bilan du mouvement qui a englobé le secteur de l'enseignement en Côte d'Ivoire ces dernières semaines et d'en tirer les leçons, avant le prochain mouvement ?

Article par Jules Konan

Les revendications des enseignants

Les revendications des enseignants portent essentiellement sur leur revalorisation salariale, obtenue par la lutte sous le régime du populiste Gbagbo. Cette hausse de salaire étant assez conséquente, le gouvernement d'alors avait conditionné sa pleine mise en application à l'achèvement du parcours de l'initiative PPTE qui était alors suivie par le pays. Pour rappel, l'initiative PPTE est un mécanisme mis en place par la Banque mondiale et le FMI afin de soi-disant soulager de leur dette les pays pauvres très endettés (PPTE), en échange comme d'habitude de toute une série de garanties en termes de politique d'austérité. Gbagbo en effet, tout révolutionnaire qu'il se disait, plutôt que de carrément refuser de payer cette dette en grande partie illégitime, avait préféré jouer le jeu de l'impérialisme et s'était servi du prétexte de la dette pour n'octroyer aux enseignants victorieux que la moitié de la hausse salariale qui leur était due – les efforts devant tout d'abord se concentrer sur l'allègement de la dette.

Mais bon, Gbagbo est depuis en prison aux Pays-Bas, et voilà qu'un nouveau régime s'est installé pour présider à une série d'allègements de dette historiques : PPTE, Club de Paris, États-Unis, Royaume-Uni... une très grande partie de la dette est épongée. Celle-ci est ramenée à 10 % du PIB – un chiffre à faire pâlir d'envie l'ensemble des nations européennes en crise. Les enseignants (tout comme le reste de la fonction publique d'ailleurs) réclament donc à juste titre l'entrée en vigueur de la nouvelle grille salariale. En effet, les salaires n'ont en leur majorité pas été revalorisés depuis la fin des années '80, alors que le prix de la vie n'a depuis lors cessé et ne cesse d'ailleurs toujours pas d'augmenter. Outre les salaires, toutes sortes d'autres arriérés restaient encore à payer, dont une hausse d'indemnité de logement pour les instituteurs de 5000 malheureux francs (de 35 000 à 40 000 f).

Malheureusement pour les enseignants qui ne demandent qu'à pouvoir exercer leur travail le ventre plein, le gouvernement Ouattara a cherché à éviter la question en leur rétorquant que les acquis obtenus l'avaient été sous un autre régime, un régime criminel, et que donc tout était à renégocier depuis le début. Cette annonce avait suscité une première grève de l'ensemble du corps enseignant dès le mois de novembre.

Le triste état de l'enseignement ivoirien

Les revendications des enseignants sont tout à fait légitimes. Alors que le président avait promis de faire de l'enseignement son cheval de bataille, de se battre pour de meilleures conditions de vie et pour l'emploi, rien n'est fait en réalité. Les élèves, plutôt que de recevoir l'ensemble de leur matériel scolaire de l'État comme c'était le cas auparavant, en sont réduits à espérer que leur école se retrouve sur la liste des bénéficiaires de la pseudo-ONG de la “première dame”, Dominique Ouattara, ou que de bienveillants bailleurs de fonds se penchent sur leur cas, tels que la Banque islamique de développement… ou les candidats aux élections municipales ! Les bâtiments sont décrépits. On peut lire chaque mois dans la presse une annonce comme quoi le toit d'une école a été emporté par une bourrasque ou un établissement inondé. Beaucoup d'écoles n'existent encore que par le dévouement de parents qui cotisent pour la construction d'une salle de classe au campement ou qui s'organisent pour le maintien de la cantine.

Tous les paramètres éducatifs en Côte d'Ivoire sont inférieurs à ceux de la sous-région, qui ne sont déjà pas connus pour être les meilleurs du monde : un taux d'alphabétisation d'à peine 56 %, une espérance de vie scolaire de 6 petites années, un taux de transition primaire-secondaire de seulement 46 % ; il n'y a qu'un enseignant pour 50 élèves. Les dépenses pour l'éducation représentent il est vrai 25 % du budget gouvernemental, mais il faut rappeler que celles-ci s'élevaient à 44 % du temps d'Houphouët, avec une prise en charge totale du CP1 à la 3è. On estime à 4 millions le nombre de jeunes sans aucune formation qui vivent en Côte d'Ivoire. Les parents paient souvent cher des écoles privées sous-équipées et ne donnant qu'un enseignement de mauvaise qualité.

Pourtant, lorsqu'on parle de réhabilitation de l'enseignement, tout ce qu'on voit c'est l'introduction de nouvelles méthodes dites modernes de gestion, comme l'inscription en ligne pour recevoir une bourse – qui a failli priver des dizaines d'élèves d'une prise en charge étatique –, l'arrivée (en retard) de nouvelles cartes d'identité scolaires flambant neuves destinées à lutter contre la fraude aux examens, l'organisation d'une “Journée de l'excellence” à l'hôtel Ivoire, les dons ponctuels de matériel informatique à l'issue de telle ou telle rencontre médiatique, ou la numérisation des feuilles de notes et journaux de classe afin que les parent puissent suivre le parcours de leur enfant via leur iPhone (mesure utile s'il en est !).

Les seuls recrutement dans l'enseignement ont été ceux de contractuels stagiaires formés à la va-vite et sous-payés – quand ils touchent leur salaire ! Ces malheureux ont déjà dû organiser leur propre mouvement de grève à peine quelques mois après leur première rentrée, où tout ce qu'ils ont obtenu a été une vague promesse de décret présidentiel qui mettrait fin à leurs griefs. On comprend que beaucoup ont déjà fini par démissionner.

La fronde sociale en février

Bref, début de l'année, voyant que rien ne bougeait du côté du gouvernement, les enseignants ont voulu se remettre en grève. Le gouvernement s'est alors empressé d'aller chercher des associations de parents d'élèves, de chefs coutumiers et de responsables religieux pour les aider dans leur appel au calme. Cela a été suffisant pour contraindre les enseignants à remettre leur grève à février, à la suite des médecins qui étaient eux aussi entrés en grève à ce moment-là. Les enseignants du laïc, qui débrayaient pour une durée de dix jours, ont été rapidement rejoints par ceux de l'enseignement catholique, partis en grève de 48 h. Au même moment, les travailleurs de l'administration publique entraient eux aussi en lutte.

Le gouvernement se voyait ainsi confronté à sa première véritable fronde sociale depuis deux ans au pouvoir. La “lune de miel” politique d'ADO est terminée. Après la mise en place du nouveau gouvernement, les gens ont attendu, et ne voyant rien venir, ils se voient contraints de partir en lutte. La réponse du gouvernement a été dans un premier temps de qualifier les grévistes d'agents à la solde du FPI, et de procéder à des arrestations de militants et dirigeants syndicaux (condamnés à trois mois de prison avec sursis et à des amendes de l'ordre de 20 000 f pour “troubles à l'ordre dans les services publics”).

Ce choix d'employer la répression contre des enseignants qui ne font que réclamer leur dû a semé le désarroi parmi la population. Ainsi, l'Organisation des parents d'élèves et d'étudiants de Côte d'Ivoire (Opeeci), tout en appelant les enseignants à reprendre le travail pour aller négocier, a dénoncé l'arrestation et l'emprisonnement des enseignants grévistes, déclarant que le gouvernement se trompe : les enseignants ne sont pas des adversaires, mais des partenaires. Dans le cadre du procès de douze enseignants à Toumodi, la police et la gendarmerie ont dû encercler le tribunal pour en empêcher l'accès aux élèves venus soutenir leurs professeurs. On voit donc que les enseignants pouvaient déjà compter sur un certain soutien qui ne demandait qu'à être développé.

Cependant, alors que le mouvement de février était prévu au départ pour dix jours, il n'en a duré que quatre. Les enseignants ont désiré ainsi démontrer leur bonne volonté à l'opinion publique, en répondant favorablement aux appels au calme et aux promesses de négociations de la part du premier ministre Duncan. Le premier ministre a promis la mise en place d'un comité interministériel de discussion, présidé par lui-même, qui devait donner des résultats concrets dès le mois d'avril. Et a juré qu'aucune sanction ne serait prise à l'encontre des grévistes. Ce qui a fait crier victoire à l'Isef, dont un des dirigeants, Mesmin Komoé, ne cachait pas sa joie en déclarant : « Aucun gréviste n'est inquiété et encore moins sanctionné. Nos salaires ne seront pas coupés » (Soir Info, 19/02/13).

Des sanctions qui remettent en cause le droit de grève

Ceux-ci avaient en effet été quelque peu inquiétés par les déclarations agressives de divers cadres étatiques qui parlaient de ponctions sur les salaires des grévistes : « Quand on ne travaille pas, on ne s'attend pas à son salaire », « Si on est en négociation et que vous partez en grève, c'est que vous avez des moyens de subsistance » (Ibrahima Kourouma, inspecteur général et coordonnateur général de l'inspection). La ministre de l'Éducation nationale et de l'Enseignement technique, Kandia Camara, avait quant à elle demandé aux chefs d'établissement de relever le nom de tous les absents afin de pouvoir procéder à des sanctions salariales. Très grave aussi, certains syndicats jaunes avaient eux-mêmes également exigé que des sanctions soient prises à l'encontre de leurs camarades grévistes – ce à quoi Mesmin Komoé a très justement répondu : « C'est simplement de la sorcellerie, parce qu'aucun terme ne peut qualifier ce que nos camarades ont fait ».

Parmi les griefs des cadres gouvernementaux, se trouve selon eux le fait tout d'abord que les syndicats n'aient pas respecté la procédure légale autorisant le dépôt d'un préavis de grève, ensuite le fait que certains grévistes aient “utilisé la violence pour imposer” le respect de “leur” mot d'ordre à leurs camarades qui désiraient continuer les cours, au mépris de leur “droit au travail”.

Mais une grève n'est pas un acte individuel, camarades ! Kandia Camara, en tant qu'ancienne membre du bureau du Synesci (Syndicat national des enseignants du secondaire de Côte d'Ivoire), devrait pourtant le savoir. À moins que sa reconversion au pseudo-libéralisme, en 1994, ne lui ait déjà ôté ces faits de la tête (en même temps que sa maitrise de la langue française) ? Lorsqu'aucun mot d'ordre de grève n'a été lancé, tout le monde travaille, même ceux qui n'en ont pas envie. Par contre, quand un mot d'ordre a été lancé par une structure qui regroupe l'ensemble des syndicats de l'enseignement, on s'attend à ce que la minorité se plie, là aussi, au mot d'ordre de la majorité, quand bien même leur propre structure était opposée au mot d'ordre. Quoiqu'il en soit, le fait de tenir un piquet de grève fait partie intégrante du droit de grève. À moins que la ministre ne voudrait que les grévistes continuent de travailler mais en portant un ruban rouge en guise de protestation, comme au Japon ?

Particulièrement touchés ont été les directeurs et inspecteurs d'école qui ont héroïquement soutenu le mouvement en refusant de participer à la campagne de délation orchestrée par le gouvernement. Plusieurs d'entre eux ont été démis de leurs fonctions. Écoutons à ce titre notre brillante ministre de l'Enseignement : « Je n'accepterai jamais que des administratifs se substituent en enseignants grévistes. Ceux qui le feront se verront purement retirer cette responsabilité. Nous ne disons pas non au syndicalisme, mais nous ne voulons pas que nos collaborateurs s'en mêlent car nous voulons faire de notre système éducatif l'un des meilleurs d'ici l'an 2015 » – comme si grève était synonyme de casse du système éducatif !
La néolibérale Kandia Camara, ministre de l'Éducation nationale
Et donc voilà que fin mars, les enseignants sont tout surpris de constater, malgré les promesses du premier ministre, que des ponctions avaient bel et bien été effectuées sur leurs fiches de paie. Des ponctions appliquées à 50 000 enseignants et allant de 20 000 à 120 000 f. Les fonctionnaires eux aussi ont subi de telles ponctions pour leur mouvement de janvier-février. Cet acte constitue une véritable déclaration de guerre de la part du gouvernement. En effet, s'il est vrai que la loi ivoirienne prévoit des sanctions salariales en cas de grève, en particulier de grève sauvage, c'est la première fois depuis l'indépendance que cette loi est mise en application. Cet acte est d'autant plus traitre et méprisable que les enseignants avaient montré leur bonne volonté en laissant tomber leur mot d'ordre avant la fin prévue du mouvement, pour entrer en négociation. Et que depuis la fin du mouvement de février, on n'avait toujours pas vu la moindre trace du comité interministériel promis par le premier ministre.

Il est très clair que cette décision de la part des ministères de l'Éducation et de la Fonction publique, qui piétinent ainsi allègrement la parole du premier ministre, constitue une attaque en règle non seulement contre les enseignants et les fonctionnaires, mais contre l'ensemble des libertés syndicales en Côte d'Ivoire. Avec l'interdiction des piquets et la répression des grévistes, nous assistons ici à une remise en cause complète du droit de grève en général. Les enseignants ne pouvaient rester impassibles face à cela. Ils n'avaient pas d'autre choix que de repartir en grève pour laver leur honneur, montrer qu'ils ne se laisseront pas intimider, mais aussi pour défendre l'ensemble du mouvement syndical ivoirien.

La grève d'avril

La rencontre tant attendue avec le premier ministre, le 5 avril, s'étant soldée par un échec, les enseignants ont claqué la porte des négociations. On se rend compte que le délai d'un mois demandé par le gouvernement pour organiser les négociations n'était qu'une pure manœuvre dilatoire afin de démobiliser le mouvement. Les mots d'ordre sont donnés : « À situation exceptionnelle, grève exceptionnelle ! », « Salaire coupé – école coupée ! ». L'Isef n'a pas mâché ses mots : situation illégale, illégitime, scandaleuse, inacceptable ; acte inutilement provocateur, à quelques semaines à peine des examens de fin d'année ; vision néolibérale du gouvernement dont le dessein est d'affaiblir les syndicats et les partis politiques. La grève reprend donc, avec les mêmes revendications, auxquelles sont ajoutées le reversement immédiat des salaires ponctionnées et l'abandon des poursuites contre les camarades.

Dès le premier jour, six militants sont arrêtés à Abidjan, dont un directeur d'école, pour avoir tenté de fermer une école qui n'était pas la leur (dans les faits, tenté d'organiser ce qu'on appelle un “piquet volant”). La ministre y va de ses déclarations qui feraient pâlir d'envie même des monstres néolibéraux comme feu Margaret Thatcher : « Toux ceux qui seront arrêtés, seront jugés et condamnés. Ils répondront de leurs actes devant la justice. Tout auteur d'acte portant atteinte à la bonne marche de l'école, s'expose à la rigueur de la loi. C'est pourquoi j'invite les directeurs régionaux et départementaux, les chefs d'antenne pédagogique, les chefs d'établissements et les inspecteurs de l'enseignement préscolaire et primaire à prendre les dispositions utiles pour assurer la sécurité des personnes et des biens en rapport avec les préfets et sous-préfets, et à informer en détail la hiérarchie de l'évolution de la situation sur le terrain ». Ou encore : « Conformément au thème de l'année scolaire 2012-2013 “Responsabilité individuelle et collective pour une école performante”, tout auteur d'acte portant atteinte à la bonne marche de l'école, s'expose à la rigueur de la loi. Par ailleurs, tout est mis en œuvre pour garantir le droit de ceux qui veulent aller au travail ». Avant de rappeler tout ce que les enseignants ont ou auraient déjà gagné en six mois et que franchement, ils n'ont aucune raison de se plaindre. Son chef de cabinet surenchérit : la grève de l'Isef est inutile et n'aboutira à rien, les enseignants doivent écouter leur “esprit patriotique”, l'arrêt des cours risque de réduire à néant les efforts du gouvernement pour repositionner l'école.

La grève d'avril a été massivement suivie. L'État a été à la hauteur de sa propre logique néolibérale en envoyant les forces de l'ordre “sécuriser” les lycées dans plusieurs villes, comme à Yamoussoukro et Toumodi (où le préfet s'est impliqué personnellement pour tenter de “rétablir le calme”, en réquisitionnant la radio locale et des véhicules patrouillant les rues pour diffuser la propagande du gouvernement), en arrêtant encore des enseignants à Lakota, Tengréla, et même un inspecteur à Grand-Bassam.

Une grève largement soutenue

Très vite, les enseignants ont pu à nouveau compter sur un très large soutien. De la part de partis politiques d'abord : le soutien du FPI évidemment, qui tente aujourd'hui, comme le RDR le faisait par le passé, de se faire passer comme l'ami des syndicats (et, fidèle à son sens légendaire de la demi-mesure, a même le culot de qualifier le régime ADO de “fasciste” !), mais aussi celui du PIT (“Parti ivoirien des travailleurs”), de l'UDL (Union pour le développement et les libertés), de Lider (Liberté et démocratie pour la république), etc. De la part de la société civile ensuite : association de parents, autres syndicats, et même la Ligue des droits de l'homme entrent dans la palabre et, tout en appelant les enseignants au calme, dénoncent la responsabilité du gouvernement dans ce nouveau chaos social.

Au même moment, d'autres mouvements se sont produits en parallèle dans l'enseignement. Tout d'abord, plusieurs instituteurs issus de la promotion 2009-10 de la Cafop (Centre d'animation et de formation pédagogique) ont marché le 4 avril sur le ministère pour réclamer leurs matricules : après 18 mois sur le terrain, ils n'ont en effet toujours pas reçu ni matricules, ni salaire ! 2500 personnes seraient concernées. Gnamien Konan a promis que tout serait réglé fin avril, que le problème venait de l'informatisation du système administratif – depuis deux ans ?

De leur côté aussi, les fondateurs (patrons) d'écoles privées et la Fédération nationale des enseignants du privé laïc de Côte d'Ivoire (Feneplaci) ont saisi l'occasion pour lancer un ultimatum au gouvernement concernant le non-paiement des subventions pour les élèves affectés d'État : s'ils n'obtenaient pas promesse de toucher le reliquat de 15 milliards de francs le jour-même, ils allaient tout bonnement expulser les malheureux élèves de leurs établissements. Déjà assiégé par la grève en cours des enseignants du public, le gouvernement a agi très rapidement pour leur apporter satisfaction.

Mais le plus important soutien des enseignants est venu de la part de leurs élèves. Le 16 avril, 300 élèves venus à pied de cinq écoles d'Adjamé ont organisé un sit-in d'une journée devant le ministère de l'Enseignement. Ils portaient des panneaux avec les slogans : « Payer les professeurs », « On veux faire cours » (sic), « Kandia, on va te déloger », « Kandia, on ne veut plus te voir dans ce ministère, démissionne maintenant », « Kandia, respecte les élèves et les enseignants, tu nous crées trop de problèmes ». Cinq élèves ont été reçus par Ibrahima Kourouma qui s'est contenté de leur resservir le baratin du gouvernement comme quoi les élèves sont manipulés par leurs vilains professeurs. Au sortir du bureau, les élèves ont pris la parole pour annoncer que si les cours ne reprenaient pas la semaine suivante, il fallait s'attendre à une révolte des élèves sur tout le territoire national.

Hausse des violences

Pendant ce temps, un peu partout dans le pays, les élèves du public, dégoutés de voir les “riches” du privé faire cours, ont commencé à débouler dans les écoles privées pour en expulser les élèves en plein début de session d'examens. À Bouaflé notamment, une telle opération s'est soldée par une véritable bataille rangée entre élèves et policiers, faisant dix blessés graves, dont trois policiers. Un des meneurs qui avait été arrêté a vite été relâché, afin d'éviter une escalade et des émeutes.
Les élèves ont été un important soutien des enseignants
Dans les autres villes, on a vu des situation similaires. À Issia par exemple, un instituteur a été attaqué par des parents d'élèves, et n'a eu la vie sauve que grâce à l'intervention de ses collègues.

Et tout cela pendant que l'ensemble des ministres défilait dans les rues de Côte d'Ivoire, en pleine campagne pour leurs fausses élections municipales !

Bilan de la grève : match nul

Finalement, c'est après dix jours de grève, le lendemain des élections municipales, que l'Isef a annoncé la fin de la grève, vu le retour du gouvernement à de meilleurs dispositions. Les enseignants ont fait leur point, ont démontré qu'ils ne se laisseraient pas intimider. Ils ont obtenu la promesse du paiement des 1,7 milliards de francs des frais de correction du Bac et du Bepc de 2012, la hausse effective de 5000 f de l'indemnité logement pour les instituteurs, le paiement, prévu en mai, de 25 % de la bonification salariale (satisfaisant ainsi à 75 % les engagements pris par l'État en 2007 sous Gbagbo), en plus de toute une série de cadeaux non-réclamés au départ, tels que des primes pour les directeurs, la prise en charge des frais de carburant des conseillers pédagogiques, etc. La date de paiement des 25 % restant de la bonification salariale n'a pas changé : 2014.

Mais au final, ils n'ont rien vraiment obtenu de plus que ce qui leur avait déjà été promis en février. Concernant le reversement des ponctions, les négociations en ce sens ont été laissées à la Société
civile, sans aucune véritable promesse concrète. De l'avis de beaucoup d'enseignants donc sur le blog de l'Isef, c'est beaucoup de bruit pour rien. S'agit-il d'une victoire ou d'une défaite ?

Il s'agit plutôt à notre avis d'un match nul. Les enseignants n'ont peut-être rien obtenu, mais ils n'avaient en réalité pas d'autre choix que de partir en grève. Ils ont lavé leur honneur et se sont rallié une grande partie de la société, y compris le soutien héroïque de leurs élèves. Cela ne présage que du bon pour l'avenir. Si l'Isef tire correctement les leçons de ce mouvement, elle peut en sortir considérablement renforcée.

Le régime révèle son vrai visage

Le mouvement des enseignants a de plus démasqué le régime. Nous avons affaire ici à un gouvernement néolibéral particulièrement dur, qui a révélé son vrai visage au cours de cette grève. Cette grève se produisant en pleine campagne électorale, alors que l'ensemble des ministres de gouvernement avait pris des vacances pour faire campagne, et que le président de la république lui-même brille par son silence, cela a eu un impact certain sur le taux record d'absentéisme aux élections. Le gouvernement a en plus montré qu'il est incapable de tenir la moindre parole, et qu'il répondra à toute contestation par la chicote, malgré les déclarations allant en sens contraire. Ce gouvernement de criminels de guerre ne se soucie absolument pas de son peuple, comme il l'a bien montré aussi par son absence de réaction après l'horrible drame de la Saint-Sylvestre.

Cette grève, avec le piètre résultat des élections locales qui ont suivi, semble marquer un point tournant dans la situation politique en Côte d'Ivoire. La confiance est rompue, même les militants du RDR déchantent. En même temps que la grève des enseignants se termine, les agents de l'OIPR (Office ivoirien des parcs et réserves) sont déjà entrés en grève pour protester contre leur manque de moyens pour affronter des braconniers lourdement armés. Les fonctionnaires ont reporté à début mai leur grève prévue fin avril, mais sans doute pour rien : là aussi, tout ce qui les attend est sans doute répression et salaire coupé. Ah, et au fait, on vient encore d'annoncer une hausse de +10 % du prix de la viande de bœuf ! Tout semble indiquer qu'après une année 2012 relativement calme, la Côte d'Ivoire se dirige à présent vers une période de conflit social généralisé.

Vers une convergence des luttes

Cependant, la population entre dans ce conflit en ordre dispersé. On le voit en ce qui concerne l'enseignement : partout règne le corporatisme, le chacun pour soi. Lorsque le public part en grève, le privé ne se sent pas concerné. Lorsque les universités manifestent, les écoles ne s'en soucient pas. Le laïc fait son mouvement, le catholique le sien. Et tout cela mène à des conflits fratricides entre élèves de différents établissements. S'il est vrai que les conditions et les revendications ne sont pas les mêmes dans les différents sous-secteurs (et qu'universités et écoles ne dépendent pas du même ministère), il est évident que chacun a son lot de doléances propres et que chacun fait face à la même machine gouvernementale réactionnaire. Dans l'intérêt du mouvement, et pour la survie des élèves et des enseignants, il faut absolument construire une plate-forme de combat commune regroupant l'ensemble du secteur de l'éducation, du pré-primaire au supérieur.

Au-delà de l'enseignement, on voit qu'il y a aujourd'hui un malaise à l'échelle de l'ensemble de la fonction publique. Les médecins, les fonctionnaires, les gardes-forestiers, les chauffeurs de bus, et même les militaires et policiers ont leurs propres revendications. Que chacun apporte sa liste de doléance, et que l'on aille vers une journée de grève nationale de la fonction publique, avec manifestation de rue dans toutes les villes !

Et on pourrait aussi facilement trouver des alliés parmi les chauffeurs de taxi, les ouvriers de diverses usines, etc. et parmi la population en général qui lutte contre les coupures (qui ne sont pas des délestages) et contre la vie chère.

L'État n'a pas les moyens ?

Le régime néolibéral d'ADO ne pliera en effet pas si facilement. Il a derrière son cou l'haleine chaude et fétide du FMI, qui lui réclame toujours plus d'efforts pour “maitriser la masse salariale”. Car la masse salariale de l'État ivoirien dépasserait en effet les 43 % des recettes fiscales, alors que la norme dans l'Uemoa est de 35 %. Il faudrait donc, pour éviter un nouvel endettement du pays, refuser toute hausse salariale, licencier toutes les “bouches inutiles”, restreindre au strict minimum toute embauche dans la fonction publique. En contradiction flagrante avec le programme de campagne du président, qui parlait de créer un million d'emplois, de lutter contre la vie chère et d'améliorer les conditions de vie de tous. Voilà pourquoi l'argent ne circule pas.

Pourtant, il est bien connu, et cela est défendu aujourd'hui par l'ensemble des économistes sérieux, tels que Paul Krugman, ancien directeur de la Banque centrale des États-Unis, que la meilleure manière de favoriser la croissance d'un pays est de distribuer l'argent à la population pour qu'elle-même puisse, par sa consommation, favoriser la création d'entreprises, la production agricole, etc. Mais c'est tout l'inverse que l'on voit aujourd'hui. Le régime ADO est en train de suivre les mêmes mesures d'austérité qui sont en ce moment-même en train d'approfondir la crise en Europe.

La masse salariale est trop grande par rapport aux recettes fiscales ? Mais augmentons ces recettes alors ! La Côte d'Ivoire est un pays qui regorge de ressources naturelles. Mais celles-ci sont malheureusement pillées par des multinationales qui exercent leur chantage sur le gouvernement, à l'instar de Cargill qui menace de délocaliser le mois prochain si le gouvernement persiste dans son idée de lui supprimer ses privilèges fiscaux qu'elle continue à toucher indument.

Face à la misère et au chantage des multinationales, face à l'affairage et à la corruption de notre bourgeoisie ivoirienne bien installée, il nous faut exiger la nationalisation de l'ensemble de la filière cacao du transport à l'exportation, la nationalisation des grandes plantations, des mines et des champs pétroliers, la renationalisation enfin de la CIE, de la Sodeci, des télécoms, des banques et du port d'Abidjan (entre autres), sous contrôle et gestion démocratique de la part des travailleurs, sans privilèges pour les cadres élus et révocables à tout moment. C'est sur cette base seulement que l'on pourra financer des salaires décents pour l'ensemble de la population ivoirienne, en plus d'opérer une réelle renaissance de l'enseignement, des services publics et de l'infrastructure. L'argent est là, faisons-le circuler !

En attendant, c'est aux syndicats qu'il revient de tirer les leçons de la grève, d'ouvrir les yeux de la population sur la véritable nature du régime ADO, c'est-à-dire, un gouvernement capitaliste néolibéral, néocolonial et anti-pauvres dont le but n'est pas de servir la population mais de se servir soi-même tout en favorisant ses sponsors impérialistes. Marchons vers la réconciliation nationale par la lutte généralisée contre ce gouvernement bandit.

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